Un père Hsiao-kang et ses deux enfants vivent en marge de Taipei, entre les bois et les rivières de la banlieue et les rues pluvieuses de la capitale. Le jour, le père gagne chichement sa vie en faisant l’homme sandwich pour des appartements de luxe pendant que son fils et sa fille hantent les centres commerciaux à la recherche d’échantillons gratuits de nourriture. Tous trois, depuis la disparition de la mère, connaissent la plus grande précarité, couchant dans un immeuble abandonné, sur des matelas posés à même le sol et obligés d’aller se laver dans les toilettes publiques. Une femme, vendeuse dans une grande surface, qui donne à manger aux chiens errants du quartier, va apporter un peu de tendresse maternelle et de nourriture aux enfants et adoucir leur errance morale et physique dans ce milieu urbain où le rythme de vie est devenu infernal et où l’existence quotidienne ne cesse pas de se déshumaniser.
Sur ce scénario ramassé, le cinéaste taïwanais Tsai Ming-liang a composé une sorte de sublime et déchirant oratorio de la misère et de la solitude, une symphonie poignante de pluie et de larmes qui vous bouleverse et vous hante des heures durant. Il parvient, malgré cette désespérance cousue à petits points et à larges plans, à produire un film d’une beauté tragique, quasi apocalyptique, qui m’est apparu comme une œuvre testament, peu bavarde, un résumé superbe de l’imagerie cinématographique lorsqu’elle atteint ce degré de sensibilité et d’émotion. Lors des dernières séquences, l’art du cinéaste se résume en quelque sorte, mêlant peinture, musique, détresse humaine et interrogation dernière sur le sens de la vie, sur la tragédie perpétuelle qu’elle inspire, sur les regards qui se croisent et se séparent, sur la douleur infinie, sur la cacophonie d’un monde devenu sourd comme si nous apparaissaient soudain juste au moment de disparaître le premier Adam et la première Eve au cœur d’un désert minéral et en face d’une fresque qui exprime l’ultime image fantasmée de l’art et des hommes.
Difficile de parler des acteurs tellement le film les a pris sur le vif, tant les personnages semblent saisis à leur insu dans leur quotidien, tant ils sont naturels et vrais. Bien entendu, on ne peut oublier de mentionner la prestation de l’acteur fétiche du réalisateur Lee Kang-sheng que les spectateurs ont vu grandir et vieillir avec lui, son alter ego comme le fut Antoine Doisnel pour Truffaut, plus émouvant que jamais dans ce rôle où il perd peu à peu son humanité, s’abime dans la solitude et le désarroi. Son regard ne risque pas de s’effacer de nos mémoires car il exprime la grande peine des êtres en marge d’un univers urbanisé à l’extrême, au point que la campagne n’est plus qu’un désolant bourbier, un jardin d'Eden déserté à tout jamais sous des pluies torrentielles.
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