Il ressemble à Beethoven dont il a le faciès rude, taillé à la serpe, et à personne d'autre dans le monde du spectacle qu’il habite depuis quelques années avec une incontestable présence. On ne peut oublier le visage aride de cet homme qui semble fait pour la tragédie et la violence, les rôles ambigus et les destins voués au drame. Il n’y a pas si longtemps qu’il a pris place parmi les grands acteurs du 7e Art, car sa carrière a mis du temps à démarrer et, dans un premier temps qui s’est révélé long, l’acteur s’est surtout passionné pour le théâtre, plus à l’aise sans doute sur les planches que derrière une caméra avec son physique de bûcheron peu fait pour les rôles de jeune premier. C’est grâce à Jacques Audiard qu’il s’impose définitivement dans le film « De battre mon cœur s’est arrêté » où il crevait l’écran comme il le fera, davantage encore, dans "Un prophète" du même Audiard qui lui méritera un second César et l’imposera définitivement comme un comédien incontournable. Dans "Quai d’Orsay" de Bertrand Tavernier, il obtient un troisième César et surprend et subjugue dans le rôle d’un ambassadeur à la voix de velours qui a tout vu et tout su. Si on interroge l’acteur sur le secret de cette réussite tardive, il vous répondra qu’il n’a jamais couru après les honneurs, que le théâtre est sa maison-mère et qu’il enrichit ses personnages fictifs grâce à ses blessures personnelles. S’il veut apporter quelque chose au public, il faut que ce soit quelque chose avec laquelle il est lui-même en cohérence, avoue-t-il. Il reconnait qu’il est volontiers un iceberg car son existence lui appartient, voilà pourquoi il n’aime pas parler de lui. C’est un territoire que j’essaie de préserver parce que je suis timide, introverti. Je n’ai pas envie de parler de mon monde intérieur fait de fébrilité. Je pense que nous sommes tous à la fois des barbares et des êtres intelligents. Comme tout le monde, j’essaie quotidiennement de maîtriser le barbare qui est en moi pour laisser place à l’intelligence. J’y arrive plus ou moins. Mais la particularité de l’acteur est de laisser parler le barbare en l’incarnant. Par exemple, je ne pourrais pas mimer une envie de tuer, ce serait ridicule. Alors je fais appel à des choses sombres qui rôdent en moi et qui s’en approchent. Je fais appel à mon cerveau reptilien, à cette pulsion de vouloir détruire l’autre. Je ne peux jouer qu’en m’oubliant moi-même ; il n’y a pas de plus grand bonheur pour un acteur que d’être l’autre. Dans « 96 Heures » de Frédéric Schoendoerffer, l'un de ses derniers films où il joue un truand qui kidnappe un flic, Niels en impose par son jeu complexe. Il fait passer en virtuose son personnage d’une relative courtoisie à une brutalité exacerbée face à un Gérard Lanvin qui excelle lui aussi dans son rôle de commissaire malmené. Ce truand, nous dit Niels, est un type dangereux, un malade rongé par une obsession : savoir qui l’a donné. Il a besoin de cette information pour pouvoir continuer à vivre. Et il est prêt à tout, même à kidnapper un commissaire. Je suis parti de ça pour construire le personnage, même si je ne sais toujours pas s’il agit par honneur ou par bêtise. Face à moi, j’ai découvert en Gérard Lanvin un acteur d’une grande justesse, extrêmement doué et très honnête sur sa ligne de jeu. Pour moi, cette rencontre aura été enrichissante sur le plan humain. Gérard n’est peut-être pas quelqu’un qui est toujours dans le bonheur, mais moi non plus. Alors ? Une fois encore, je vais vous dire, pour jouer, on doit planter des trucs dans la peau du personnage qui appartient à notre propre territoire. Un territoire qui, dans ce métier, est souvent fait d’amertume, de frustration, de dégoût… Heureusement, il y a aussi des choses enthousiasmantes.
Chaque acteur est placé dans un couloir – poursuit Niels Arestrup, fils d’un danois et d’une bretonne. J’ai hérité de celui du mauvais, du méchant, du complexe. Pourtant, j’adorerais jouer un truc sentimental, mais l’âge joue et j’ai 65 ans. Au théâtre, ça me plairait d’être dans une comédie. Et au cinéma, je me verrais bien dans l’univers de Dupontel. Je serais très heureux dans cette folie-là. Je ne le connais pas du tout mais pourquoi pas ! Je suis seul. Mes rencontres n’ont jamais débouché sur de vraies amitiés. Je ne sors pas, je ne vais pas aux premières ni dans les restos où il faut aller ; j’aime rester chez moi, en famille. Côtoyer mes contemporains ne me manque pas, je préfère me concentrer sur ma femme et mes enfants.. Oui, j’ai deux bébés, des vrais faux jumeaux. C’est une aventure de vie. Pour envisager d’avoir des enfants, il a fallu que je sois très amoureux, que j’arrive à un moment de mon existence où je suis enfin stabilisé. Avoir un petit garçon et une petite fille à mon âge, c’est bouleversant. Pas un rôle, non. C’est la vie, la vraie. Le bonheur, quoi. Quant à Albert Dupontel, il a du entendre cette déclaration d'amitié car Niels en impose une fois encore dans le remarquable "Au revoir là-haut".
Pour consulter la liste des articles de la rubrique ACTEURS DU 7e ART, cliquer sur le lien ci-dessous :
LISTE DES ARTICLES ACTEURS DU 7e ART