Elle m’avait toujours touchée par sa fraîcheur, ses yeux d’un bleu transparent emplis de mélancolie, avec quelque chose, dans la délicatesse de ses traits, d’une Blanche Neige égarée au XXe siècle. Elle avait tout pour plaire : la beauté, la grâce, la gentillesse, la modestie, l'apparence lumineuse d’une éternelle jeune fille qui semblait devoir attendrir les cœurs les plus endurcis. Je l’avais beaucoup aimée dans «La maison des bories» de Jacques Doniol-Valcroze en 1970, tant elle était à l’unisson de ce paysage sauvage et pur, de cette vie simple qui lui allait comme un gant. Cette femme, dont on ne parlait plus dans les gazettes, est partie de ce monde sur la pointe des pieds dans sa maison de retraite de Lescar près de Pau le 15 octobre 2014 à l’âge de 77 ans, après avoir longtemps souffert d’une sclérose en plaques qui s’était déclarée très tôt, ce qui explique son progressif effacement dès la fin des années 1970. Elle s'en expliquait ainsi sur le site Doctissimo, dans un entretien datant du 25 février 2003 : « J'avais 23 ans lorsque la maladie s'est déclarée. C'était après le tournage du film de François Truffaut «Tirez sur le pianiste». Heureusement, cette première alerte n'a pas été trop sévère et je me suis empressée de l'oublier ; mais la maladie, elle, ne m'a pas oubliée Elle m'a rattrapée après le tournage de « La menace », avec Alain Corneau, quelques vingt ans plus tard. Ces années de répit m'ont permis de mener à bien ma carrière sans que la maladie ne soit omniprésente. »
Elle était née Claudine Lucie Pauline Huzé, le 12 janvier 1937, à Paris. Son adoubement cinématographique correspondra à celui de la Nouvelle Vague et sa première et brève apparition à l'écran aura lieu dans un film d'Eric Rohmer "Le signe du lion" en 1959. On la retrouve ensuite chez Jean-Luc Godard, au côté d'Anna Karina, dans «Une femme est une femme» en 1961. Mais son véritable Pygmalion se nomme François Truffaut. C'est lui qui la remarque à la télévision, lui qui la torture dans un casting où il la pousse, vainement, à l'insulter, lui qui choisit enfin son nom de scène. Celui-ci est emprunté à un roman de Jacques Audiberti, intitulé Marie Dubois, publié en 1952. L'histoire d'un policier obsédé par les femmes mais qui, ne pouvant en posséder aucune, finit par tomber amoureux d'une morte qui les incarne toutes. Ces motifs si truffaldiens annoncent en même temps, avec une intuition renversante, son destin d'actrice, sa douceur, sa malléabilité, sa discrétion, sa propension au registre dramatique de la souffrance. Après «Tirez sur le pianiste» (1960) et «Jules et Jim» (1962), elle part vers d'autres horizons, alternant les films grand public comme « Les grandes gueules » de Robert Enrico en 1964 et «La Grande vadrouille» de Gérard Oury en 1966, avec des films plus singuliers : «Le voleur» de Louis Malle en 1966, «Vincent, François Paul et les autres» de Claude Sautet en 1974, « Mon oncle d'Amérique» d'Alain Resnais en 1980. Par la suite, victime de sa maladie, elle n’aura que rarement l'occasion de mettre son talent au premier plan, mais il sera néanmoins récompensé par un César de la meilleure actrice dans un second rôle pour son incarnation surprenante de femme jalouse et machiavélique dans «La Menace» d'Alain Corneau (1977). Immobilisée désormais dans un fauteuil roulant, elle consacrera son temps à lutter pour une meilleure connaissance de cette maladie et écrira un livre de souvenir publié chez Plon "Je n’ai pas menti, mais je n’ai pas tout dit". Elle avait eu la douleur de perdre son mari Serge Rousseau en 2007, agent et acteur de cinéma et père de sa fille Dominique, qui avait toujours été auprès d'elle dans les moments d'épreuve. Elle repose aujourd'hui à Ville-d'Avray auprès de lui.
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