1944, en pleine Seconde Guerre Mondiale, un avion vole au-dessus du désert du Sahara, piloté par un homme et transportant une femme morte. Des artilleurs allemands abattent l'avion, qui s'écrase, extrayant de la carlingue le pilote dont le visage et le corps ont été atrocement brûlés. Des bédouins le recueillent, commencent à le soigner, puis le confient aux troupes Alliées en partance pour l'Italie.
Octobre 1944, les troupes Alliées se trouvent en Toscane. On progresse vers le Nord en déminant les routes et en recueillant les blessés. L'infirmière canadienne Hana (Juliette Binoche) s'occupe de ces blessés, notamment de l'étrange « homme flambé », déclaré apatride et supposé anglais d'où le titre du film. Hana, épuisée et désespérée par une guerre qui lui a pris « tous ceux qu'elle aime », décide de s'installer seule, avec le Patient anglais, dans un petit monastère toscan. Désormais va débuter un étrange face à face entre le malade et son infirmière où l'un et l'autre vont tenter de soigner leurs blessures respectives. Hana fait alors la lecture du livre que transportait le patient, un livre d'Hérodote. Cet ouvrage contient bien d'autres documents personnels et va être le support de soudaines et nombreuses réminiscences dans l'esprit du blessé. Le film ouvre alors un flash-back sur la vie de cet homme, juste avant le début de la guerre, aux alentours du Caire.
"Le patient anglais" est un film flamboyant de Anthony Minghella inspiré du roman de Michael Ondaatje, d’une beauté cinématographique et d’une qualité narrative remarquables avec des séquences entre passé et présent qui s’emboîtent les unes aux autres sans nous faire perdre le fil de cette aventure à double visage. Finalement nous assistons à des vies superposées mais toujours contrariées par le destin et par cette guerre qui rend chaque personnage différent, comme étranger à lui-même, brûlé intérieurement par les feux de la guerre, de l’amour impossible, par le déplacement, en quelque sorte le dérangement affectif et moral. Tournées dans des paysages le plus souvent dénudés, ceux du désert du nord de l'Afrique ou de l’Italie du sud livrée à la guerre, les scènes sont d’un réalisme poignant et d’un grand romantisme, car rien n’arrive comme pourraient l’espérer les protagonistes. Il y a en permanence une contradiction qui nous fait douter de ce qu’ils sont, quel rôle ils jouent, quelle espérance les guide ou les anime, d’où ils viennent, d’où ils sont. Il semble qu’aucune patrie n’est en mesure de les recevoir, seule Katharine parle de sa maison d’enfance en Angleterre qui ouvrait sur la mer. Mais tout cela est vague, ils semblent tous étrangers dans leur propre vie. Enfin il y a l’histoire d’amour chaotique et tragique qui est celle de cette femme belle et âpre comme le désert et de cet homme Almasy, écrivain et cultivé, qui se cherche à travers elle et que l’amour transforme en torche vive, consumant son cœur et son corps à tout jamais. Ce film, c’est un "Roméo et Juliette" adulte, revisité et immergé dans une époque en pleine ébullition, en plein remise en cause de ses frontières, où l’ami devient l’ennemi involontaire, le déplacé, le soupçonné, l’incompris et où l’amour n’a plus le temps de s’épanouir que dans le désert de son propre coeur.
Film magnifique où les lumières, tour à tour, s’intensifient ou décroissent, "Le passant anglais" est un chef-d’œuvre réalisé avec une caméra ultra- sensible, une imagerie grandiose et une interprétation de tout premier ordre. Les acteurs se sont investis dans leurs rôles avec une tension qui ne se dément pas d’un bout à l’autre, donnant à cette histoire une dimension humaine bouleversante. On comprend les raisons qui ont permis à l'opus d’obtenir 9 Oscars dont celui du Meilleur film, de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Juliette Binoche, parfaite dans son personnage d’infirmière tendre et effacée qui tente de soigner ses propres blessures en soignant les autres, et aide son malade à s’endormir en paix avec lui-même. Quant à Ralph Fiennes, il est parfait dans celui difficile de cet homme carbonisé, au réel et au figuré, qui ne parvient pas à trouver sa place dans la société et dans le cœur de celle qu’il aime, tandis que Kristin Scott Thomas n’a jamais été plus belle que dans le personnage de Katharine, femme libre et intelligente qui essaie d’assumer ses propres contradictions. Un film à voir et à revoir tant il est une vision troublante de nos propres blessures intérieures.
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