1967, durant la révolution culturelle chinoise, Chen Zhen, un étudiant originaire de Pékin, est envoyé en Mongolie intérieure afin d'apprendre le chinois à une tribu de bergers nomades. Dans la steppe, Chen tombe nez à nez avec une bande de loups. Fasciné par l'animal, il voudrait adopter un petit et tenter de l'apprivoiser. Jean-Jacques Annaud filme une Mongolie à perte de vue, avec ces ciels souvent bas qui semblent vous emporter dans leurs mouvements, une terre âpre, solitaire comme une mer minérale arrêtée dans le temps, où une population vit en étroite intimité avec la nature la plus sauvage qui soit. Voici un décor d’une beauté saisissante qui nous sort de nos vies citadines pour nous livrer un magnifique message : l’équilibre si fragile entre la nature et les hommes doit être maintenu si nous ne voulons pas disparaître, car le progrès tel que nous le concevons, n’est sans doute pas celui qui sauvera notre planète. Inspiré du roman de l’écrivain Jiang Rong, cet opus nous explique comment la Chine de Mao Tsé-toung, au moment de la Révolution culturelle des années 60, tenta le remplacement d’une civilisation par une expérience politique. Le héros du roman et du film, l’étudiant Chen Zhen et quelques autres sont chargés de soumettre les Mongols au socialisme, ce qui revient à dire qu’ils doivent cesser d’être eux-mêmes. Mais la civilisation mongole existe depuis la nuit des temps dans ces espaces invincibles où elle cohabite avec les loups qui la précédèrent dans la steppe.
Le loup a toujours hanté l’imaginaire humain. C’est un animal mythique que l’on retrouve dans l’inconscient collectif à tous les niveaux. Figure emblématique, il terrorise et fascine, et les artistes l'ont évoqué à maintes reprises dans leurs œuvres, que ce soit roman, conte, poème (La mort du loup de Vigny) film (Danse avec les loups), tant il exprime la force, le courage, la cruauté, la malignité. On ne compte plus les expressions qui ont recours à lui : « l’homme est un loup pour l’homme », « avoir vu le loup », « un froid de loup », « à pas de loup », sans oublier les légendes comme celle de la louve de Rome qui aurait nourri Remus et Romulus. Les Mongols ont su partager les grands espaces de leur pays avec le loup. C’est de lui qu’ils ont appris à combattre, car ce dernier est un guerrier quasi invincible qui préfère se suicider que de se soumettre, sait patienter des heures durant avant de livrer combat pour se nourrir et survivre. Il sait adapter ses méthodes aux circonstances et chasse, soit en solitaire, soit en meute, avec une intelligence de stratège. Les Mongols le respectent et le considèrent non comme un ennemi mais comme un adversaire tant il concoure à l’équilibre de la nature. D’ailleurs, lorsqu’ils meurent, leurs cadavres sont enveloppés dans des linceuls et déposés à même la terre afin que leurs corps servent à nourrir les animaux sauvages. Juste retour des choses, pensent-ils, puisqu’eux-mêmes se sont nourris de la chair animale.
Dans le film de Jean-Jacques Annaud, nous voyons le gouvernement de la Chine régionale piller les réserves des fauves, affamer les loups qui vont alors s’en prendre aux chevaux, rompant ainsi un équilibre millénaire. Alors que pour les Hans, il s’agissait de « recréer les monts et les mers, et les plaines d’après une autre volonté » - comme l’écrivait Emile Verhaeren. Le film souligne le danger et dépeint l’agonie des Mongols livrés à une idéologie en total décalage avec la nature et aux diktats d’un gouvernement totalitaire. Dès lors, il ne s’agit plus de chasse mais de l’éradication du loup, cet animal gênant pour l’homme d’aujourd’hui. En effet, il est nécessaire de gommer un passé encombrant pour faire surgir un présent en adéquation avec la modernité ambiante. Il faut effacer à tout jamais ce passé légendaire afin de faire des Mongols des citoyens comme les autres, engager la disparition progressive de leur civilisation avec ses chevauchées fantastiques, son génie du mouvement et son adaptabilité aux conditions d’existence extrêmes. Cela au nom d’une illusion perverse qui entend soumettre la nature aux délires productivistes et consuméristes des lobbies en place
Néanmoins, Jean-Jacques Annaud n’a pas voulu conclure sur une note trop pessimiste ce film d’une beauté âpre comme les paysages solitaires et sublimes de la steppe mongole. Il laisse filtrer une raie de lumière, fragile certes, mais qui touche : le jeune lettré urbain Chen Zhen, conquis par cette vie en Mongolie- intérieure, adoptera en cachette un jeune loup pour le rendre quelques mois plus tard à la nature, hissant ainsi le film au rang de parabole. Une fable poignante et magnifique.
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