Voici le dénommé Paul Dédalus (patronyme que l’on ne croise pas pour la première fois dans la filmographie de Desplechin), anthropologue, interprété, dans sa maturité, par un Mathieu Amalric au regard toujours aussi fixe. Ayant vécu loin de France pendant près de vingt ans, il s’apprête à quitter le Tadjikistan pour retrouver sa terre natale et y prendre un poste dans un ministère. À sa descente d’avion, des policiers l’attendent et lui demandent de les suivre. Le voilà bientôt devant un enquêteur des services secrets (André Dussolier), qui doute de sa véritable identité et lui révèle qu’un autre Paul Dédalus, né au même endroit et le même jour que lui, demeure en Australie. Qui est le vrai ? Le spectateur est ainsi embarqué sur une piste qui, finalement, va le conduire à une actualité tout autre et, la parenthèse fermée, lui conter une histoire d’amour bancale mais très attachante.
À la suite de cette brève entrée en matière, Arnaud Desplechin nous entraîne dans une quête vertigineuse de l’identité, ce qu’avait probablement pour objectif le préambule rocambolesque et qui, désormais, constitue le tissus sensible de cet opus. Car la singularité d’une existence est-elle affaire de date, de nom, de lieu ou d’expériences ? Procède-t-elle d’une somme de moments successifs et souvent disparates ou, plus précisément, de la mémoire que l’on en conserve ? Devant l’enquêteur dubitatif, Paul Dédalus évoque un voyage effectué en Ukraine avec sa classe de lycée, où, pour aider un camarade engagé dans le soutien aux Juifs d’Europe de l’Est, il avait pris de gros coups de poing dans la figure, au propre et au figuré. Puis d’autres souvenirs s’égrènent : familiaux la plupart, entre crises de folie de la mère, (que l’on s’explique mal, c’est le seul point obscur de ce film délicat), violence incompréhensible du fils aîné, solitude du père devenu veuf, mysticisme du fils cadet mal dans sa peau et l'idylle en dents de scie de Paul avec Esther, grande passion jamais oubliée. Une jeunesse à Roubaix – où le cinéaste est né en 1960 –, puis à Paris, avec les études d’anthropologie auprès d’un professeur qu’il admire, l’ouverture au monde et la distance qui sépare Esther de Paul, et Paul d’Esther. Une liaison constamment entrecoupée de séparations qui est, parmi cette succession d’évocations, la plus prégnante. Narrés avec une certaine distance, un ton décalé, un ton souvent désabusé, mais aussi un sens certain du lyrique et du tragique, ces Souvenirs… sont portés avec naturel par deux jeunes acteurs : Quentin Dolmaire (Paul Dédalus jeune), repéré au Cours Simon, et Lou Roy-Lecollinet (Esther), tout droit venue de sa classe de terminale, option théâtre. Ces deux novices, très prometteurs, s’épanouissent sous l’œil de la caméra d’Arnaud Desplechin, qui n’a pas son pareil pour puiser chez ses acteurs la matière la plus sensible, la plus frémissante de son film. Il signe avec eux un voyage romanesque vers la jeunesse telle qu’on la vit aujourd’hui avec ses excès et ses dépendances. Et, toujours, sans retour possible.
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