Dans l’Angleterre du XIXe siècle, un paysan du Dorset, John Durbeyfield (John Collin), découvre par hasard qu’il est le dernier descendant d’une grande famille d’aristocrates qui remonte à Guillaume le Conquérant. Motivé par le profit qu’il pourrait tirer de cette noblesse ensevelie à jamais sous ses dalles de pierre, Durbeyfield envoie sa fille aînée, Tess (Nastassja Kinski) se réclamer de cette parenté chez la riche famille des d’Urberville qui a acheté le nom et les titres. Le jeune Alec d’Urberville (Leigh Lawson), charmé par la beauté de cette adolescente qui dit être sa cousine, accepte de l’employer et met tout en œuvre pour la séduire. Tess finit par céder aux avances d’Alec et, enceinte, retourne chez ses parents où elle donne naissance à un enfant qui meurt peu de temps après. Fuyant la pauvreté des siens et la honte qui l'accable, elle quitte son village et trouve un emploi dans une ferme laitière où personne ne connaît son malheur. Elle y rencontre son véritable amour : un fils de pasteur nommé Angel Clare (Peter Firth). Ce dernier, croyant que Tess est une jeune paysanne innocente, tombe éperdument amoureux d’elle et, malgré l’abîme financier qui les sépare, la demande en mariage. Mais, lorsque celle-ci lui avoue qu’elle a été victime d’un viol et a eu un enfant, il la quitte pour partir au Brésil, ne pouvant supporter que sa jeune femme ne soit pas la vierge pure qu’il imaginait. Abandonnée, Tess se verra dans l’obligation de céder aux propositions d’Alec qui la sauve de la misère ainsi que sa mère et ses frères et sœurs mais ne lui offre qu’une existence de luxure et de compromis. Cela, jusqu’au moment où Angel, repenti, revienne et tente de se faire pardonner. Mais il est…trop tard.
La restauration numérique récente rend ses couleurs d’origine à ce film splendide, l’un des plus beaux de Roman Polanski, dont les images ne cessent d’évoquer les peintures ombrées de Turner et dont l’histoire reste fidèle au roman victorien de Thomas Hardy " Tess d'Urberville". Cette oeuvre classique de la seconde partie du XIXe siècle se situe dans la lignée d’une « Madame Bovary » ou d’une « Anna Karénine » par la complexité de destins hors normes et le romantisme qui les habite et parce que le personnage de Tess illustre la fragilité des femmes pauvres en un temps où aucune loi n’était sensée les protéger.
Ce film est dédié à Sharon Tate, la première épouse de Roman Polanski, assassinée sauvagement par la secte de Charles Manson en 1969, qui avait suggéré à son mari de lire le roman de Thomas Hardy et d’en faire une adaptation cinématographique. Cet opus est par conséquent un hommage à cette jeune femme. L’incrustation « To Sharon » défile à l’écran alors que danse un cortège de jeunes filles aux sons d’un orchestre campagnard, évoquant le charme émouvant de ces jeunes filles en fleurs. La musique de Philippe Sarde, parfaitement adaptée à l’histoire, ajoute une note de mélancolie à la beauté sublime de la mise en scène et des paysages de la vieille Angleterre, bien que le film ait été tourné en grande partie en Normandie. Celui-ci ne reçut pas moins de 3 César dont celui de la Meilleure actrice pour la toute jeune Nastassja Kinski, de 3 Oscar dont celui du Meilleur film et de 2 Golden Globe, c’est dire l’enthousiasme qu’il suscita à sa sortie en salles pour la simple raison que l’histoire, la mise en scène, l’interprétation sont admirables. Une mention particulière pour Nastassja Kinski qui, malgré son jeune âge, sut donner, avec une gravité touchante, visage et corps à cette jeune fille naïve mais infiniment courageuse qui assumera son destin avec une dignité bouleversante et une sorte de pulsion sacrificielle. Elle est Tess dans sa beauté et sa résignation héroïque. La scène où elle mange une fraise offerte par son soi-disant cousin et celle où elle essaie de siffler pour charmer les poules de la châtelaine dégagent une sensualité profonde et une grâce inouïe.
« J’ai toujours voulu tourner une grande histoire d’amour » - confiera le cinéaste. Et il ajoute : « Ce qui m’attirait également dans ce roman, c’était le thème de la fatalité. Belle physiquement autant que spirituellement, l’héroïne a tout pour être heureuse. Pourtant le climat social dans lequel elle vit et les pressions inexorables, qui s’exercent sur elle, l’enferment dans une chaîne de circonstances et la conduisent à un destin tragique. »
Roman Polanski a magistralement adapté ce roman au 7e Art et a su en faire une œuvre d'évocation picturale d'une rare perfection, où les personnages se meuvent dans une Angleterre reconstituée avec ses ombres et ses lumières, sa grandeur et ses misères, ses ténèbres aussi, et la fraîcheur perdue d’une jeunesse oubliée. Splendide.
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