J’avais raté la sortie de cet opus en 2004, aussi ai-je sauté sur l'occasion de le découvrir l’autre soir sur Arte. Je n'ai pas été déçue.
En 1665, dans la ville hollandaise de Delft, une jeune fille de 17 ans, Griet, est engagée comme servante dans la demeure de Johannes Vermeer. Le peintre vit avec sa femme Catharina, ses nombreux enfants et sa belle-mère Maria, qui dirige la maisonnée d'une main de fer. Discrète et soumise, Griet est vite fascinée par le travail de son maître, dont elle est chargée de nettoyer l'atelier. Attiré par la beauté de la jeune femme, Vermeer en fait son assistante, lui demandant d'acheter et de mélanger ses couleurs. Il accueille même avec intérêt les remarques de la jeune servante au sujet de ses compositions picturales et finit par lui demander de poser pour un portrait. Mais l'œuvre devra être exécutée en secret pour ne pas éveiller la jalousie de Catharina. Appelé soit "Jeune fille au turban", soit "Jeune fille à la perle", le célèbre tableau de Vermeer, qui a servi d'inspiration au roman de Tracy Chevalier (d'où est tiré le scénario), est parfois surnommé la Joconde du Nord. L'histoire de sa création, telle qu’elle est racontée ici, est en grande partie fictive. En effet, si bon nombre de détails évoquant la vie familiale de Vermeer sont authentiques, le personnage de la servante a été inventé par l’auteur du roman et ne fait qu’ajouter au charme de l’œuvre picturale. C'est à travers le regard attentif, admiratif, parfois troublé et effarouché de cette jeune fille sensible à l'art que le spectateur est invité à pénétrer dans l'intimité créatrice d'un des peintres les plus fascinants du XVIIe siècle, celui que Marcel Proust considérait comme son peintre préféré. L'intrigue elle-même demeure mince, mais le film est riche en observations sur la hiérarchie sociale et son cloisonnement à l’époque, sur les détails psychologiques subtilement allusifs de la relation qui se tisse entre le peintre et son modèle. Il faut dire aussi qu'au-delà de son récit, l’opus a le mérite de plonger le spectateur dans l'atmosphère du temps et qu’il est merveilleusement servi par le travail remarquable du directeur de la photographie Eduardo Serra.
Néanmoins, Peter Webber devait faire face à deux difficultés majeures. En adaptant le roman de Tracy Chevalier, le réalisateur risquait de passer à côté du raffinement et de la délicatesse du roman. Le second enjeu est inhérent au cinéma et à la peinture : comment rendre compte du génie pictural de Vermeer qui réside justement dans son sens aigu de la lumière et des accords chromatiques ? Or, c’est dans ce registre qu’excelle Peter Webber dont la reconstitution de l’atmosphère et des détails de l’époque est remarquable et nous offre une suite de scènes de la vie quotidienne flamande éblouissante. Par petites touches, le réalisateur se glisse dans l’antre de la création, distillant les reconstitutions des œuvres les plus connues du maître hollandais. La caméra traite son sujet comme le ferait un pinceau et nous offre des images d’une harmonie rare, au point que certaines scènes s’élèvent comme de purs instants de grâce. Et si le réalisateur ne parvient pas aussi subtilement que dans le roman à teinter de romantisme et de tension charnelle la relation entre la muse et l’artiste, l’interprétation touchante et délicatement nuancée de Scarlett Johansson et le flegme de Colin Firth illuminent La jeune fille à la perle que l’on contemple avec la même fascination que le tableau original, tant le sujet semble avoir pénétré le tableau.
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