C'est ainsi qu'il restera dans ma mémoire avec son galurin penché sur l'oeil et son mégot au coin des lèvres, tel qu'en lui-même on le découvrait dans "A bout de souffle", l'un des films qui intronisait la Nouvelle Vague et le cinéma des jeunes turcs. Belmondo, une gueule à la Gabin, une démarche un peu chaloupée, un regard qui savait se faire pesant, insistant, moqueur, et l'air éternellement gavroche d'un dandy à la mode des années 60. La notoriété, elle lui était venue avec la Nouvelle Vague et le film manifeste de Jean-Luc Godard. Il devint grâce au rôle de Michel Poiccard le symbole masculin, voyou, séducteur, désinvolte et romantique, de la génération des sixties. Par la suite, il se transformera en figure mythique du héros moderne, ivre de liberté et d'amour, capable de s'affronter à la réalité criminelle de l'argent à travers un autre personnage de Godard : "Pierrot le fou" (1969).
Entre-temps, il aura tenté une autre expérience avec Jean-Pierre Melville - afin de ne pas être catalogué trop systématiquement dans un personnage marginal - en revêtant la soutane d'un jeune ecclésiastique torturé par le doute dans "Léon Morin, prêtre", prouvant qu'il était un grand acteur, en mesure d'endosser des rôles aussi différents. Et, certes, acteur, il l'était. Né à Neuilly le 9 avril 1933 d'un père d'origine italienne, sculpteur de grand talent, et d'une mère artiste-peintre, il s'était très vite orienté vers une carrière artistique après une jeunesse tumultueuse et un détour dans un sanatorium d'Auvergne à la suite d'une primo-infection. Reçu au conservatoire en même temps que Rochefort et Marielle, il était entré dans la classe de Pierre Dux où il restera 4 années à se familiariser aux arcanes du métier. Il aspire alors au Grand Prix, mais celui-ci lui échappera, les jurés s'étant rebiffés contre l'insolence débonnaire de son interprétation, tandis que le public lui faisait un triomphe. Tant et si bien que ce sera sa photo qui apparaîtra en première page sur tous les quotidiens du soir, présageant d'un avenir prometteur. Et pour lui, cet avenir ne sera pas la Comédie-Française, comme cela est le lot habituel des premiers prix, mais des rôles où sa truculence, sa gouaille, sa drôlerie bondissante feront merveille et où son physique, aussi peu classique que son jeu, sera plébiscité. Par chance, grâce à un flair étonnant, des hommes comme Godard et Chabrol comprendront d'emblée qu'il est l'acteur en mesure d'exprimer leurs aspirations de par cette spontanéité et cette insouciance insolente qui le caractérisaient et qu'il conservera aussi longtemps qu'il tournera avec des metteurs en scène comme eux et, par la suite, comme Melville, Resnais, Malle, Lelouch, voire de Broca et Sautet. Mais le succès et la facilité aidant, il sera tenté de stéréotyper son personnage et de cabotiner fatalement, devenant en quelque sorte le champion toute catégorie du cinéma commercial. Malgré des films moins bons et élaborés en fonction de lui seul, il sauvegarde son aura et son capital de sympathie qu'un public, époustouflé par ses prouesses de cascadeur et sa gouaille communicative, ne cessera jamais de lui assurer. Belmondo, c'est l'acteur français par excellence, celui avec lequel on est assuré de passer un vrai bon moment de détente. C'est ainsi qu'il aura été tour à tour, et avec la même élégante désinvolture, Stavinski, l'As des as, Borsalino, le Marginal, le Magnifique, l'homme de Rio.
Après un passage à vide aux alentours des années 90, il revient à l'écran avec un film de Lelouch qui lui vaudra un César : "Itinéraire d'un enfant gâté" et surtout au théâtre avec un rôle qui lui sied comme un gant dans "Kean", puis dans "Cyrano" sous la direction de Robert Hossein. Ce sera pour lui un grand bonheur de se retrouver sur les planches en contact direct avec son public qui lui fera un triomphe. Victime d'un accident vasculaire en 2001, lors d'un séjour en Corse, il sera rapatrié d'urgence et devra à une longue, patiente et douloureuse rééducation de récupérer en grande partie son autonomie et de revenir sur nos écrans dans un film de Francis Huster, remake du Umberto B. de Vittorio de Sica : "Un homme et son chien", que je n'irai pas voir, préférant garder de ce si sympathique acteur, l'image de l'éternel casse-cou, séducteur et espiègle, telle que celle qui lui collait tellement à la peau de "l'As des as" ou "L'homme de Rio".
Il nous a quittés à l'âge de 88 ans après une vie où il aura fait en sorte de ne jamais perdre son temps. Cet homme pressé aimait l'action, les femmes, mais également sa famille qui l'a accompagné lors de ses épreuves de santé. Nous conserverons de lui le souvenir d'une personnalité qui s'est beaucoup amusée à exercer le métier qu'il avait choisi comme le plus beau rempart à l'ennui et à la monotonie. Merci l'artiste.
Pour prendre connaissance des articles consacrés aux films de Belmondo, dont "A bout de souffle" et "Pierrot le fou", cliquer sur le lien ci-dessous :
LISTE DES FILMS DU CINEMA FRANCAIS