Alain Resnais,1922 -2014, laisse derrière lui une oeuvre d'une grande poésie et d'une inventivité qui le classent parmi les réalisateurs incontournables du cinéma français. Son film L'année dernière à Marienbad compte parmi mes films préférés. Extrêmement subtil, le cinéaste aimait retrouver une vision des choses authentique, posant sur chacune d'elles un regard qui savait encore s'émerveiller. Homme discret, voire secret, Alain Resnais appartenait à la génération de la Nouvelle Vague. Avec deux films aussi remarquables que "Hiroshima mon amour" et "L'année dernière à Marienbad", il marque de son empreinte le cinéma français en proposant une confrontation du passé et du présent et en ébauchant une nouvelle structure du temps. Cette empreinte sera considérable. Breton de naissance (3 juin 1922), il est apparenté à Merlin l'enchanteur et sera, dès sa prime jeunesse, un lecteur éclairé d'une littérature où se côtoient Proust, la bande dessinée, les poètes en général et les classiques en particulier. Bachelier en 1939, il s'inscrit au cours de René Simon et fera partie, lors de la création de l'IDHEC en 1943, de la première promotion. Son service militaire en Allemagne terminé, il travaille à "Paris 1900" et réalise "L'alcool tue" avec Remo Forlani, courts métrages où il fait ses gammes et devient un des auteurs les plus originaux du genre. Son "Van Gogh" tourné en 1948 est immédiatement remarqué comme une oeuvre riche de promesses. Primé à Venise, ce film obtient un Oscar à Hollywood. "Gauguin" en 1950 sera moins réussi, alors que "Guernica", sur un texte de Paul Eluard, est un authentique chef-d'oeuvre et obtient le Prix du film d'Art au Festival de Punta del Este. Conscient de maîtriser son écriture cinématographique, Resnais met en chantier plusieurs projets dont "Moderato Cantabile" d'après Duras, "Pierrot mon ami" d'après Queneau et "Les mauvais coups" d'après Roger Vailland. Avec "Nuit et brouillard", il aspire à toucher un public plus large et recule les limites de ce que l'on croyait réalisable, en s'efforçant de trouver les formes adaptées à la transmission de l'intransmissible : les camps de la mort. Avec Jean Cayrol, le cinéaste a rencontré le partenaire inespéré, car rescapé de Mauthausen et soucieux lui-même "non de fuir, mais de trouver le lieu et la formule". "Nuit et brouillard" obtint le prix Vigo 1956 et son audience n'a pas cessé, depuis lors, de se renouveler. Avec "Hiroshima mon amour", qui confirme la modernité de son auteur par son lyrisme incantatoire, vient le temps des longs métrages qui permettront à Resnais, déjà très apprécié, de faire une entrée fracassante dans l'histoire du 7e Art. Cela, grâce à une conception personnelle du montage et du récit, où s'opposent et se complètent les moments-clés de deux vies hypothéquées par l'Histoire. Le scénario, signé Marguerite Duras, situe d'emblée le film dans une nouvelle problématique romanesque. Ce recours aux écrivains en quête de voies nouvelles valut au réalisateur la réputation ambiguë de cinéaste littéraire, alors même que ce recours remonte aux origines du cinéma. Nombreux furent les metteurs en scène qui se sont inspirés de textes de grands auteurs et les ont adaptés selon leur propre sensibilité avec plus ou moins de bonheur. Mais la démarche de Resnais s'effectue en faisant appel à un autre processus qui vise à modifier le statut du texte écrit. Ce qu'on a englobé sous l'appellation "Nouveau roman" s'inscrit dans un engagement partagé par l'écrivain et le cinéaste de recourir à une narration objective. Ce n'est donc pas une simple transposition qui s'effectue entre eux mais une autre forme de lecture qui s'impose selon des lois qui lui sont propres et où s'ajoutent des éléments comme la musique, le son, les timbres de voix, créant un texte polymorphe. Aussi n'est-ce pas un hasard si Resnais apparaît dans l'Histoire du Cinéma comme quelqu'un qui remet en cause le romanesque traditionnel. "L'année dernière à Marienbad" en 1961 se fera avec la complicité d'Alain Robbe-Grillet (scénario et dialogues) et remportera le Lion d'or à la Biennale de Venise, récompense méritée pour un film que je considère comme l'un des plus beaux du cinéma français. Une histoire simple qui se dérobe, fuit, glisse, échappe et se refuse à l'élucidation critique, où le temps lui-même se soucie très peu du calendrier et où les souvenirs, les rêves, les désirs, viennent à tous moments brouiller les cartes d'un jeu onirique et ouvrir la voie à un ressassement sans fin. Jean-Louis Leutrat écrira à ce propos que l'on retrouve dans ce film labyrinthe "une filiation avec la tradition poétique qui, du Moyen-Age à Julien Gracq, en passant par les romantiques allemands, a su exprimer la magie nocturne et les rencontres somnanbuliques ; la charge érotique des paysages insolites solitaires et fantomatiques ; silencieux et muets comme des après-midi éblouis de soleil ou des minuits ténébreux traversés d'astres froids ".
"Muriel" (1963), sur un texte de Jean Cayrol, ne recueillera qu'un piètre succès et sera suivi de "La guerre est finie" (1966), avec la collaboration de Jorge Semprun (scénario et dialogues) et l'interprétation d'Yves Montand, alors que "Je t'aime, je t'aime" (1968) sortira dans un contexte peu favorable. En effet, la dissection de l'imaginaire, de l'inconscient et des rêves coïncidait mal avec la confusion idéologique d'une période de crise. En 1980, "Mon oncle d'Amérique" obtient, quant à lui, le Prix spécial du Jury au Festival de Cannes et un succès inespéré auprès du public. Ce film, ainsi que "Providence" et "La vie est un roman" sont trois variations sur les rapports entre la théorie et la fantaisie, la réflexion et l'imagination, la comédie et le drame. En 1984, "L'amour à mort" sera à son tour présenté à Venise et s'articule autour de l'idée que mourir d'amour peut arriver à n'importe qui. "L'amour jusqu'à la mort, l'amour est plus fort que la mort ou l'amour est si fort qu'il peut conduire à la mort"- dira son auteur lors de la présentation à la Biennale de Venise. Ici les références au Dreyer de "Ordet" ou au Bergman des "Communiants" sont évidentes ; elles confrontent la vérité de la Parole (ou du Verbe) à celle de la chair, comme pour en mieux signifier le divorce ou le malentendu. Pour Resnais, l'agnostique, la conscience de la mort est la seule voie grâce à laquelle l'homme et la femme peuvent imaginer le bonheur et l'amour. "Mélo", en 1986, est construit selon un schéma assez proche de celui de "L'année dernière à Marienbad", mais reste dans le registre du théâtre filmé et n'a nullement l'ampleur du précédent. Néanmoins, le film dépasse de loin le simple exercice de virtuosité et débouche, comme toujours chez Resnais, sur une réflexion intelligente à propos du langage parlé et de l'amour à l'épreuve du mal, et permet de distinguer ce qui relève de l'aventure frivole ou du véritable sentiment. Parmi les dernières réalisations du cinéaste, "On connait la chanson", est une brillante variation sur la chanson populaire, où se mêlent un jeu de références et une comédie sur l'image de soi, alors que "Smoking No Smoking" met en scène celui des apparences et est adapté d'un cycle théâtral réputé injouable de l'anglais Alan Ayckbourn. Virtuose du montage, paradoxal et inclassable, Resnais a réalisé une filmographie qui frappe par son exigence, son originalité, sa force, sa poésie, son charme lancinant et s'organise autour de deux pôles : l'amour et la mort, éminemment attractifs, qui ont pour vocation d'affirmer la prééminence de la vie, des émotions, des rêves et de s'octroyer le pouvoir de recourir au mythe constitutif de notre propre sensibilité culturelle, celui magique et envoûtant d'Orphée. A 90 ans, le jeune homme avait proposé son avant dernier opus "Vous n'avez encore rien vu", tout un programme que le public avait accueilli mollement et, alors qu'il vient de s'éloigner, un ultime film va nous le rendre éternellement vivant et nous prouver que s'il quitte le cinéma, le cinéma ne le quitte pas.
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