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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 15:24
RIZ AMER de GIUSEPPE DE SANTIS

                     

Après des études de droit, Giuseppe De Santis, né le 11 février 1917, obtient un diplôme de metteur en scène au "Centro sperimentale de Rome". Puis il devient critique dans la revue Cinéma et côtoie les pères du néoréalisme, parmi lesquels Visconti, Rossellini et De Sica. En 1942, il collabore au scénario des "Amants diaboliques" de Visconti, puis à celui de  "La proie du désir"  de Rossellini. Au sortir de la guerre, il se lance à son tour dans la réalisation en participant à un film collectif sur la Résistance et le fascisme "Jours de gloire" (1945). Son premier film personnel sera "Chasse tragique" en 1947, drame social dénonçant le chômage et le marché noir en Italie. Théoricien du néoréalisme, il plaide pour un cinéma engagé dans l'actualité politique, aussi n'a-t-il de cesse de filmer les milieux populaires, paysans et ouvriers pour dénoncer les travers de la société. S'inspirant du cinéma soviétique révolutionnaire, son style trouve son plein épanouissement dans "Riz amer", drame d'amour et de lutte des classes au milieu des rizières de la plaine lombarde. Ce sera son unique grand succès commercial, où il révèle au public celle qui sera sa femme, la splendide Silvana Mangano, première en date des stars italiennes de l'après-guerre. A travers ce scénario, le metteur en scène propose la violence comme force d'émancipation. Par la suite, la carrière de De Santis sera victime des soubresauts et des contradictions de la politique culturelle du Parti communiste italien, dont il est l'un des membres éminents ; les conceptions marxistes ayant influencé l'ensemble de son oeuvre. Il meurt à 80 ans le 16 mai 1997.

                   

Une rencontre dans une gare sera à l'origine de Riz amer. "Une nuit - raconte le cinéaste -  j'avais débarqué à la gare de Milan, en provenance de Paris, où j'avais été invité pour jouir du succès inattendu réservé à mon premier film "Chasse tragique" par les critiques cinématographiques français qui se consacraient tous, durant cette période, à la découverte du néoréalisme italien. Dans l'attente du train qui devait me ramener à Rome, j'errais sur les quais déserts comme un matou heureux et insouciant, flairant tout autour de moi. Il devait être trois heures du matin et sous peu le jour allait se lever. Autour de moi, il n'y avait que cette faible lumière électrique, offusquée que l'austérité obligée de l'après-guerre, permettait d'allumer même dans les grandes gares. C'est peut-être pour cette raison que je ne distinguai pas quelques silhouettes groupées autour d'une fontaine, en train de remplir d'eau des bouteilles et des gourdes, en traînant derrière elles des musettes, des besaces et peut-être des couvertures jetées sur leurs épaules. Je me rapprochai, ce n'était pas un groupe mais une armée. Non pas de soldats mais de femmes. De tous les types et de tous les âges : jeunes, mères, vieilles, jeunes filles, adolescentes. Au-delà de la fontaine, elles m'apparurent toutes ensemble et je fus investi d'une cascade de cris, d'appels, de chants, de plaintes qui ébranlèrent bien vite le silence solennel de toute la gare. Certaines se penchaient aux portières de deux longs trains, face à face, formés de wagons mixtes de troisième classe et de marchandises, qui venaient d'entrer en gare et qui étaient maintenant à l'arrêt qui sait pour combien d'heures avant de reprendre la route vers les rizières éparpillées dans la plaine piémontaise et lombarde.
S'asseoir parmi elles, parler, interroger, avec sympathie et amitié. Savoir qui elles étaient, où elles allaient, d'où elles venaient. Chanter, accepter une tranche de pain... J'ai raté mon train pour Rome mais c'est ainsi qu'est né  "Riz amer.

 

Dont voici l'intrigue  : Walter et Francesca se retrouvent dans une gare, envahie par des centaines d'ouvrières agricoles qui se rendent dans la région de Vercelli pour procéder au repiquage du riz - à la suite d'un vol de bijoux que Walter a commis dans un hôtel milanais. Alors que Francesca se mêle aux ouvrières, Walter parvient à s'enfuir. Arrivées à l'exploitation, les jeunes femmes travaillent dans des conditions quotidiennes pénibles, les jambes dans la boue, le dos courbé. L'une des mondines, la belle Silvana, courtisée par un militaire sur le point d'être rendu à la vie civile, découvre dans les affaires de Francesca l'un des bijoux volé, un collier magnifique. Walter, qui s'est réfugié dans un silo de riz, soucieux de récupérer l'objet, va tenter de séduire Silvana qui ne se dérobe pas à ses avances et se détourne progressivement de son fiancé Marco. Découvrant que le bijou est faux, Walter organise le vol du dépôt de riz avec la complicité de Silvana. Celle-ci inonde les rizières de façon à détourner l'attention des responsables pendant que Walter charge le riz sur les camions. Mais l'alarme est donnée et les camions sont aussitôt bloqués. Par la suite, des échauffourées auront lieu, des coups de couteau et de feu seront échangés. Walter est tué, Marco blessé. Silvana, ayant compris que son amant ne l'a approchée  que pour mener à bien son dessein, se jette du haut d'une tour, tandis que Marco et Francesca partent ensemble dans l'espoir de connaître une vie plus heureuse.

 

 

Ce film, d'une très belle facture, mêle astucieusement des structures dramatiques à une esthétique qui emprunte aussi bien aux constructions rigoureuses du cinéma soviétique des années 20 qu'à l'expressionisme scandinave. De même que cohabitent la dimension d'un documentaire et celle d'une analyse politique. Sur ce support se développe l'intrigue amoureuse, jointe à la fiction policière, ce qui donne au film un rythme alerte et une connotation lyrique. Le cinéaste joue de la diversité psychologique des quatre personnages qui, au final, aboutira à l'éclatement des couples et à leur refondation. Silvana représente la victime désignée d'un destin qui broie les êtres opprimés par leur situation de dépendance économique. N'oublions pas que, dans ses principes de base, le néoréalisme s'était imposé des critères stylistiques très stricts. En réaction contre les studios qui avaient favorisé l'apparition de comédies sophistiquées à l'extrême, les metteurs en scène de cette nouvelle vague italienne avaient opté pour des décors naturels, ceux que leur offraient les villes et les campagnes de la péninsule. C'est pleinement le cas de "Riz amer" qui nous montre la vie de ces mondines les jambes plongées dans les boues de la rizière, vie de plein air rude, sauvage et âpre, où la beauté plastique de Silvana Mangano fait merveille. Le public fut charmé par ce vent de naturel qui soufflait soudain sur la pellicule et offrait une réalité prise sur le vif.

 

Les acteurs choisis par De Santis étaient tous d'origines artistiques très diverses. Silvana Mangano n'était alors qu'une débutante, mais devint en quelques semaines - le film ayant remporté un immense succès - un sex-symbol. Raf Vallone vivait à Turin où il était journaliste à L'Unità et collaborait à la page culturelle du quotidien communiste. Seul Vittorio Gassman jouissait d'une certaine expérience. Il avait été la vedette de plusieurs films de Soldati, Camerini et Alessandrini et on sait la carrière magnifique qu'il fît par la suite. Quant à Doris Dowling, qui interprète le rôle de Francesca, c'était une actrice américaine qui était arrivée en Italie avec sa soeur Constance en 1947 : toutes deux allaient apparaître dans plusieurs films jusqu'en 1950. L'anecdote veut qu'elles aient séjourné en Italie pour le compte de la CIA, afin de rencontrer des intellectuels et des artistes communistes. Enfin, pour conclure l'analyse de ce film, rappelons-nous qu'une certaine propension au mélo était une tentation pour les cinéastes du néoréalisme, parce qu'ils tenaient presque tous à utiliser le canal de l'affectif pour servir une cause politique qui se révéla, par la suite, produire les effets contraires de ceux envisagés. Aussi doit-on souligner que De Santis n'y a pas cédé,  emporté par une action virile et plus directe, des personnages aux caractères affirmés et un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Ce film plut et on le comprend. Les ingrédients y sont dosés subtilement : des acteurs superbes, un scénario solide, un réalisme épique qui sollicite notre imaginaire.
 

     

Pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA EUROPEEN, cliquer sur le lien ci-dessous :  

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN
 

 

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