Film très attendu, Angel raconte l'histoire d'une jeune romancière anglaise au début du XXe siècle qui, après avoir connu une gloire passagère et vécu la plus grande partie de sa vie dans l'illusion permanente, retourne à l'anonymat et sombre progressivement dans la déchéance. Avec ce film, François Ozon signe pour la seconde fois une adaptation littéraire. Celle-ci est tirée d'un ouvrage de l'écrivain britannique Elisabeth Taylor (1912 - 1975), publié en Grande-Bretagne en 1957 et en France en 1991. Elisabeth Taylor s'était elle-même inspirée de la vie de Marie Corelli, un auteur de romans à l'eau de rose, très populaire à son époque ( la reine Victoria était l'une de ses ferventes lectrices ), et, ce, malgré que les critiques les plus acerbes ne se soient pas privées de la moquer à longueur de colonnes. Ses livres avaient du moins eu le mérite de plaire un certain temps, jusqu'à ce que l'indifférence s'installe et que cette oeuvre médiocre tombe définitivement dans l'oubli.
Pour cette réalisation, Ozon a porté son dévolu sur Romola Garai, après avoir pressenti Nicole Kidman. On avait déjà vu cette jeune actrice dans Dirty dancing 2 et dans Scoop de Woody Allen. Ce qui a finalement déterminé le choix du cinéaste est que l'actrice a tout de suite été emballée par le personnage, malgré ses excès et ses ridicules. Ozon le précise en affirmant qu'elle n'a pas eu peur de la dimension parfois grotesque d'Angel Deverell et qu'elle a su lui prêter une séduction, une candeur avec ses grands yeux d'enfant rêveuse. De plus, ajoutait-il, elle se sentait attirée par ce personnage de poupée capricieuse et puérile, dont le drame se vit dans l'illusion et le factice et qui finit par transformer son paradis en enfer.
Ozon s'est toujours plu dans le pastiche ironique, se refusant toutefois à de coupables facilités. Depuis le début de sa carrière, l'amour et la mort ont été ses thèmes de prédilection, au point que ceux-ci reviennent de manière récurrente dans son univers singulier, déjà riche de 8 longs métrages et de 16 courts métrages. Dans Regarde la mer, Sitcom, Les amants criminels, Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, Sous le sable, Huit femmes, Le temps qui reste, la mort est déjà présente, ainsi que l'amour fatalement contrarié et impossible. Influencé par un cinéaste comme Rainer W. Fassbinder, avec lequel il partage le même désir de subversion parodique, il entend conserver au coeur du mélodrame une rigueur formelle. L'excentricité n'est là que pour mieux faire ressortir ce qu'il y a de distancé dans cet apparent mélange des genres et dissimuler, autant que faire se peut, l'intime inquiétude du réalisateur. Ne vivons-nous pas constamment dans l'illusoire et le virtuel, les faux-semblants et le mensonge ? Avec Angel la question se pose avec plus d'acuité encore.
" J'ai tout de suite senti que l'adaptation de ce livre était l'occasion de me confronter à un univers romanesque et que cela pouvait donner lieu à une grande épopée dans la tradition des mélodrames des années 30/40, racontant la destinée d'un personnage flamboyant sous forme de grandeur et décadence. Et puis je suis tombé amoureux du personnage d'Angel qui m'amusait, me fascinait et finalement me touchait profondément" - a déclaré François Ozon, lors du dernier Festival de Berlin. Pour adapter cette oeuvre romanesque, il s'est assuré la collaboration du dramaturge britannique Martin Crimp. La précision historique est donc respectée, mais parfois reléguée au second plan par une surcharge un peu vaine et le faste des somptueux décors et costumes. On retrouve, chez le Ozon de la première partie du film, baroque et foisonnante, la magnificence du Ophuls de Lola Montès. Passé le temps de gloire, où la jeune femme dépense sans compter, voulant tout acheter et tout posséder, Ozon dépouille sa mise en scène et ralentit le tempo pour aborder le temps de la déchéance, si bien que l'espace se rétrécit et que l'on voit l'héroïne se replier sur les blessures que la vie ne va plus cesser de lui infliger. Tout est donc voué à se perdre ? La caméra du cinéaste change de registre, fouaille les abîmes intérieurs d'une femme confrontée soudain aux doutes et à la souffrance. Le manège s'est arrêté de tourner dans l'euphorie et les rires, tout se délabre et nous voyons cet Icare féminin se briser les ailes sous le regard impitoyable et scrutateur de la caméra. Il y a beaucoup de cruauté dans cette vision ambiguë d'une Angel tantôt princesse en représentation constante, monstre d'égocentrisme et de vacuité mondaine, artificielle et exaspérante et, soudain, cette femme prenant chair sous l'effet de la douleur. C'est là tout l'art d'Ozon qui, subjugué par le pire, ne peut se satisfaire d'un conventionnel trop redoutable à ses yeux, et entend nous entraîner au coeur d'un cyclone psychologique qui se révèle être une tragédie personnelle. On comprend mieux, à la démesure de cette oeuvre, les capacités de renouvellement et d'invention qui sont les siennes. Charlotte Rampling, déjà présente dans deux de ses films, est magnifique de froideur acidulée face à Romola Garai, véritable tornade de charme et d'odieuse vanité qui rappelle parfois la Vivien Leigh d'Autant en emporte le vent. Les deux histoires ne sont pas sans certaines similitudes : les amours contrariés, la guerre qui se déclare, l'amant qui s'éloigne, les lumières qui s'éteignent... Mais la comparaison s'arrête là. Scarlett avait ceci de plus qu'Angel : elle aimait sa plantation, elle avait un but, sauver son domaine, sa terre, alors qu'Angel n'en a jamais eu d'autre qu'elle-même. C'est là son drame. Curieux, par ailleurs, que la sortie de ce film coïncide avec l'arrivée de la jeune navigatrice Maud Fontenoy à la Réunion, dont le magnifique exemple nous invite à croire qu'il y a en tout homme quelques chose de plus que lui-même.
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