Séverine, jeune épouse d'un chirurgien fortuné (Jean Sorel), semble vivre avec difficulté sa vie sexuelle et est assaillie par des phantasme confinant au sado-masochisme. Conseillée par un ami, elle se rend dans une maison close et propose timidement ses services.. C'est là qu'elle trouvera, dans l'avilissement et la servitude, son épanouissement intime, tout en poursuivant, auprès de son mari, sa vie respectable et bourgeoise. Tiré d'un médiocre roman de Joseph Kessel, Belle de jour (1966) ne parvient pas à convaincre le spectateur pour la bonne raison que l'héroïne est aussi peu crédible que possible. Film érotique mais d'un érotisme suggéré, fantasmé, quasi irréel, il est troublant a plus d'un titre : principalement la coexistence, chez une même personne, de deux mondes, le réel et l'onirique, et la démonstration tentée, me semble-t-il en vain, par le cinéaste que le chimérique est, chez certains, mieux éprouvé que le vécu. Le film apparaît ainsi comme un songe éveillé où l'illusion semble plus vraie que la réalité et où les tabous sont franchis plus aisément par l'esprit que par le corps. L'héroïne transgresse mieux en pensée ses perversions qu'elle ne s'en affranchit, car elle reste, dans l'existence, prisonnière de ses sentiments, de son milieu, de son couple. Ainsi Bunuel essaie-t-il de composer un puzzle, afin de rendre compréhensible un langage totalement irrationnel et à nous brosser le portrait malhabile d'un personnage en proie à ses propres contradictions et à un vertige intérieur qui donne un goût désespéré à cette liberté supposée, acquise dans les dédales de la corruption.
Catherine Deneuve n'a pas caché les difficultés qui furent les siennes lors du tournage : " Connaissez-vous un acteur ou une actrice qui n'aurait pas envie de travailler avec Bunuel ? (... ) Or, curieusement, notre relation dans " Belle de jour " a été très difficile. Sur le plateau, Bunuel ne voulait pas de quelqu'un aussi farouchement réservé que moi. Il m'a utilisé, j'ai suivi, c'est tout. Séverine ressemble aux obsessions de Bunuel, pas à moi. De plus, je n'ai pu mettre que peu de moi-même dans ce personnage masochiste. Bunuel ne veut que l'obéissance des acteurs. De moi, il n'a exigé qu'une extrême lenteur ; le mouvement du corps féminin l'intéresse beaucoup plus que l'expression du visage ou que les paroles ". Ciné- revue 1967
" Je ne suis pas sûre que Bunuel ait fait le film qu'il voulait. Il pensait à quelque chose de plus audacieux, et que ma réserve, ma froideur... il aurait voulu faire un film un peu plus cru ". Actuel 1987
En professionnel, le cinéaste s'applique à tirer de ses acteurs le meilleur d'eux-mêmes. C'est le cas ici avec Geneviève Page, l'inoubliable Chimène de Gérard Philipe au TNP, de Michel Piccoli, cynique à souhait, mais Catherine Deneuve me parait trop lisse pour le rôle et ne correspond en rien au personnage torturé, obsédé qu'elle est sensée incarner. Avec les ans, l'esthétisme du film a pris des rides, l'oeuvre manque d'audace et reste circonscrite dans un registre petit bourgeois, annonciateur néanmoins de la décadence de notre civilisation, prise entre rêve et cauchemar, illusion et révélation, exhibitionnisme et indifférence.
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LUIS BUNUEL OU LE DETACHEMENT VOLONTAIRE
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