Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 août 2006 6 12 /08 /août /2006 10:12
A BOUT DE SOUFFLE de JEAN-LUC GODARD

  
Né à Paris le 3 décembre 1930, Godard - franco-suisse d'origine - est, tout à la fois, acteur, dialoguiste, chef -monteur, scénariste et metteur en scène. Alors qu'il est élève en anthropologie à la Sorbonne dans les années 1949, il fréquente déjà assidûment  les ciné-clubs de la capitale et noue des relations amicales avec André Bazin, Claude Chabrol, François Truffaut, Jacques Rivette et Eric Rohmer. Godard fut l'un des premiers signataires du magazine La gazette du cinéma, fondée par Rohmer. Aussi, lorsque André Bazin crée Les Cahiers du Cinéma, est-il l'un de ceux qui y rédigent des articles. Il fait ses premiers pas de réalisateur en 1954 avec un documentaire "Opération béton" et se considère davantage comme un raconteur que comme un théoricien. "Au lieu d'écrire mes critiques, je les filme" - déclarait-il après avoir tourné en 1958 "Charlotte et son Jules" en hommage à Cocteau et "Une femme coquette" d'après une nouvelle de Guy de Maupassant. Il est vrai que la structure narrative n'a jamais été un élément important de ses films. "Je n'aime pas raconter une histoire. Je préfère une sorte de tapisserie, une trame sur laquelle je puisse tisser mes idées. Bien sûr, j'ai besoin d'une histoire comme point de départ, mais plus elle est conventionnelle, mieux c'est " - dira-t-il encore. La différence entre Godard et les autres réalisateurs de la Nouvelle Vague réside dans le fait qu'il ne cherche pas uniquement à transmettre un message social, mais se passionne pour la mise en scène et l'abolition de toutes les formes d'expérience artistique conventionnelles. Selon lui, la seule façon d'attaquer l'idéologie - de quelque nature qu'elle soit - consiste à neutraliser les formes artistiques qui en sont inconsciemment le véhicule. En quelque sorte ne pas faire un film politique mais faire politiquement un film. En cela, il est un cinéaste militant et un personnage emblématique de l'histoire du cinéma français et international, dont l'exigence a produit une oeuvre étrange, déroutante et inégale.

 

"A bout de souffle", tourné en 1959, possède les travers et les qualités d'une première oeuvre. L'impact du film tient en grande partie à la manière dont Godard expose son propos et met en scène le récit, tout en ironisant sur ses emprunts à ses propres souvenirs de cinéphile. En effet, il ne cache nullement d'avoir eu recours à l'allusion, l'hommage à l'adresse de metteurs en scène comme Preminger, Richard Quine, Melville, au point que cette accumulation de signes constitue un véritable document sur la cinéphilie. La part de documentaire l'emporte sur le réalisme qui est, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce qui fait le plus défaut à ce long métrage. Le cinéaste le reconnaissait lui-même quand en 1962 il déclarait : "Si je m'analyse aujourd'hui, je vois que j'ai toujours voulu, au fond, faire un film de recherche sous forme de spectacle. Le côté documentaire c'est : un homme dans telle situation. Le côté spectacle vient lorsque l'on fait de cet homme un gangster ou un agent secret. "Le film fut produit par Georges de Beauregard et inspiré d'un scénario de François Truffaut. Il est représentatif d'un cinéma d'improvisation empli d'irruptions novatrices dans un art que Godard considérait comme trop engourdi par l'académisme. Puisqu'il fallait filmer la vie là où elle était, il s'avérait plus rapide, et donc plus économique, de tourner les scènes avec une caméra à l'épaule, ce qui offrait en outre l'avantage de pouvoir modifier un plan sans perdre de temps à installer des éclairages compliqués. D'autant plus que cette méthode correspondait à une volonté délibérée de laisser au film la bride sur le cou et d'éviter les conventions habituelles du langage cinématographique. " Ce que je voulais - disait encore Godard - c'était partir d'une histoire conventionnelle et refaire, mais différemment, tout le cinéma qui avait déjà été fait."

 

 

Inspiré d'un fait divers, l'affaire Michel Portail, "A bout de souffle" est le plus neuf de tous les films de la Nouvelle Vague. Tourné en 4 semaines, avec des moyens de fortune, des décors naturels et deux acteurs qui n'étaient pas encore des vedettes, Jean-Paul Belmondo et l'américaine Jean Seberg, il manifeste, à l'évidence, une rupture catégorique avec les règles techniques en usage jusqu'alors, un goût certain de la provocation et, de la part de son auteur, le désir de réinventer le cinéma. A cette époque de sa vie, Godard avait autant de difficultés que de doutes dont on retrouve l'écho pathétique dans cet opus déchirant et désespéré. S'appuyant sur la virtuosité de son opérateur Raoul Coutard, il sut utiliser une pellicule ultrasensible jusque là destinée aux seuls photographes. Le filmage s'effectua sans le son direct, à la sauvette, la caméra sur l'épaule bien sûr, et s'improvisa au jour le jour selon l'inspiration du dernier moment. Heureusement le caractère approximatif de la mise en film est compensé par la fraîcheur de l'inspiration et un feu d'artifices incessant de trouvailles, de citations littéraires et de moments inspirés. Lors du premier montage, on s'aperçut que les longueurs privaient le film du dynamisme que l'auteur entendait lui imprimer, de manière à composer une oeuvre libre et imprévisible qui prenne le public à contre-pied et impose un regard révélateur sur une conception nouvelle du cinéma. Pour parvenir à cela, Godard, se refusant à enlever des séquences entières, choisit de couper dans les scènes elles-mêmes, afin de les rendre plus concises et de donner à l'oeuvre un rythme saccadé, voire heurté. De même qu'il multipliera les regards à la caméra, ce qui n'était pas habituel, et supprimera les fondus enchaînés trop romanesques à son goût. Cette audace dans l'assemblage des images imprime au film son style inimitable et une écriture totalement alerte, jamais encombrée de la moindre surcharge.
 

 

Alors que celui-ci reste un grand moment de cinéma, son auteur, avec le recul qu'imposent les années, l'a jugé comme la plus réactionnaire et la moins réussie de son impressionnante filmographie et, ce, malgré qu'elle fût son seul vrai succès commercial, ayant enregistré, durant les sept premières semaines de sa projection, 259.000 entrées. Si le public fut déconcerté, il apprécia le style neuf, l'originalité, le saisi sur le vif, l'insolence, et se laissa charmer par l'histoire qui réunissait un couple aussi fascinant que ceux que connurent les années les plus fastes d'Hollywood. Jean-Paul Belmondo, sa clope aux lèvres, son chapeau de guingois à la Bogart, sa désinvolture, son je-m'en-foutisme, sa lippe, son pouce qu'il passe sur sa bouche comme Humphrey, sa muflerie, est inoubliable dans le rôle de ce Michel Poiccard, petit escroc qui se fait arrêter par un policier alors qu'il regagne la capitale dans une voiture volée et le tue sans vergogne pour continuer sa route et retrouver à Paris une jeune étudiante américaine et le magot d'un précédent hold-up. Jean Seberg, en jeune étudiante vendant sur les Champs-Elysées le New York Herald Tribune, est merveilleuse de naturel et de féminité malgré sa coupe de cheveux ultra courte qui fut si souvent imitée, son jean serré, son t-shirt qui l'était tout autant, sa grâce émouvante, sa finesse, son délicieux accent, dans ce rôle de Patricia qui aime un mauvais garçon et tente de le sauver en le dénonçant, afin qu'il puisse fuir à Rome, où elle le rejoindra. Tous deux sont éblouissants de charme et semblent improviser leur dialogue au fur et à mesure des scènes, avec des temps morts, des silences, des questionnements. La mort surviendra au bout d'une rue étroite pour cette fripouille que Belmondo, par son implication  passionnée, parvient à rendre attachante. "Entre le chagrin et le néant, je choisis le néant. Le chagrin est un compromis " - a écrit Godard. A la fin du film, le public, qui a fait de cette réalisation un film-culte, a sans nul doute choisi le chagrin avec Jean Seberg. Après "A bout de souffle", il y eut au cinéma un avant et un après.

 

Pour lire les articles consacrés à Godard et Belmondo, cliquer sur leurs titres :

 

JEAN-LUC GODARD OU UN CINEMA IMPERTINENT              

 

JEAN-PAUL BELMONDO

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA FRANCAIS

 

RETOUR A LA PAGE D'ACCUEIL

 

A BOUT DE SOUFFLE de JEAN-LUC GODARD
A BOUT DE SOUFFLE de JEAN-LUC GODARD
Partager cet article
Repost0

commentaires

M
Grand classique ! Magnifique.
Répondre
B
interessantemerci pour l'information
Répondre
P
satisfactionmerci pour l'article
Répondre
C
très bon article !! et film bien entendu culte !
Répondre
B
Voici un film que j'ai vu il y a de cela très longtemps mais dont je garde un souvenir impérissable!
Répondre
P
Armelleles affaires reprennent et ton blog a repris un second souffle : tu vas en avoir besoin pour souffler tes 800 000 bougies.<br /> Je n'ai pas vu ce film car je ne comprends pas trop Godard mais Jean-Paul BELMONDO mérite les hommages que l'on voit fleurir en ce moment sur beaucoup de blogs. Il nous a beaucoup fait rêver quand même et il a l'air toujours aussi heureux
Répondre
M
Une parfaite et subtile analyse d'un film qui reste culte et que j'ai du voir une dizaine de fois. Ne serai-ce que pour Bébel. Je l'adore dans son personnage de Michel Poiccard. C'est vrai que sa façon de jouer était tout-à-fait dans l'esprit du cinéma américain de l'époque qui était très en avance sur nous. Bébel avait le profit western idéal. Dommage qu'il se soit compromis souvent, par la suite, dans des films de facture discutable. Il avait une tronche ce type... fabuleuse et de l'étoffe rugueuse et solide. C'était du Gabin version années 60. Grandiose.
Répondre

Présentation

  • : LA PLUME ET L'IMAGE
  • : Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
  • Contact

Profil

  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.

Texte Libre

Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


Charlie Chaplin

 

"Innover, c'est aller de l'avant sans abandonner le passé."

 

Stanley Kubrick

 

 

ET SI VOUS PREFEREZ L'EVASION PAR LES MOTS, LA LITTERATURE ET LES VOYAGES, RENDEZ-VOUS SUR MON AUTRE BLOG :  INTERLIGNE

 

poesie-est-lendroit-silence-michel-camus-L-1 

 

Les derniers films vus et critiqués : 
 
  yves-saint-laurent-le-film-de-jalil-lespert (1) PHILOMENA UK POSTER STEVE COOGAN JUDI DENCH (1) un-max-boublil-pret-a-tout-dans-la-comedie-romantique-de-ni

Mes coups de coeur    

 

4-e-toiles


affiche-I-Wish-225x300

   

 

The-Artist-MIchel-Hazanavicius

 

Million Dollar Baby French front 

 

5-etoiles

 

critique-la-grande-illusion-renoir4

 

claudiaotguepard 

 

affiche-pouses-et-concubines 

 

 

MES FESTIVALS

 


12e-festival-film-asiatique-deauville-L-1

 

 13e-FFA-20111

 

deauville-copie-1 


15-festival-du-film-asiatique-de-deauville

 

 

Recherche