Rio Bravo est sans doute le film le plus connu de Howard Hawks, au point que cette oeuvre bénéficie d'un statut quasi mythique, celui du dernier western classique où le réalisateur s'est plu à approfondir les sujets qui lui étaient les plus chers (comme le fit également John Ford en son temps) : humour, rebondissements de l'intrigue et attention particulière consacrée aux traits de caractère de chacun des personnages. Pour raconter une fois encore l'histoire d'un petit groupe aux prises avec un ennemi plus fort en nombre, scénario qui reprend en l'inversant celui de Le train sifflera trois fois, Howard Hawks a choisi de promouvoir un thème fédérateur, celui de l'avènement d'un ordre politique défini comme juste, parce qu'il prend en charge l'émancipation des faibles. Nous sommes donc loin des premiers westerns dont l'ambition n'était autre que de chanter les louanges de l'Etat Américain et de l'instituer dans la plénitude d'une épopée grandiose qui s'apparentait à la légende. Si bien que les 141 minutes de ce long métrage seront utilisées au mieux par un cinéaste qui sait user de toutes les ressources de son art.
Joe Burdette, homme autoritaire et coléreux abat un homme dans un saloon et est arrêté par le shérif Chance (John Wayne) qui va se battre pour empêcher que le frère de Joe ne parvienne à le libérer, grâce à sa puissante influence sur la région. Combat pour le droit, pour la morale, que le shérif entend mener au prix des risques que lui et les siens vont encourir. C'est donc a un noble affrontement auquel nous sommes conviés et, à travers lui, à la réhabilitation de Dude (Dean Martin), l'adjoint du shérif qui a sombré dans l'alcoolisme à la suite d'une déception amoureuse. Au final, ceux qui gagnent ne seront ni les plus forts, ni les meilleurs, mais des hommes capables de se remettre en cause et d'évoluer. Et il est vrai que nous n'assistons pas à un combat classique avec d'un côté les puissants, de l'autre les faibles, mais entre ceux qui ont à coeur de s'améliorer en vue du bien commun et ceux qui n'entendent servir que leurs intérêts et ne modifier en rien leurs sinistres habitudes. Cela est particulièrement vrai pour Dude qui est tombé si bas qu'il n'est plus qu'une épave humaine mais parviendra à se relever, grâce à son engagement pour une juste cause. Hawks a réellement mis l'accent sur l'aspect psychologique des personnages et ramassé son action en trois journées, n'utilisant guère les paysages extérieurs mais en faisant de Rio Bravo un quasi huit-clos. De même qu'il se plait à nous dépeindre des êtres sans volonté, redonnant vie aux perdants.
L'apport de Jules Furthman comme scénariste donne à l'intrigue une incontestable vigueur. Alors qu'à prime abord les personnages pourraient apparaître comme appartenant à la convention westernienne : le valeureux shérif, l'adjoint alcoolique, le jeune cow-boy plein de fougue, la femme de mauvaise vie au grand coeur -et que le décor est, pour sa part, tout aussi conventionnel : une ville provinciale (Old Tucson en Arizona) avec ses saloons, sa place, son hôtel, sa prison, sa grande-rue - autant d'éléments vus à de multiples reprises - Hawks saura les transcender superbement et de manière exemplaire, renouvelant le style du western et lui apportant une dimension originale et personnelle. Ainsi les rapports qui s'établissent entre Chance et Colorado (Ricky Nelson), le jeune cow-boy décidé à venger la mort de son patron et qui offre ses services au shérif, ne sont pas les mêmes que ceux de John Wayne et de Montgomery Clift dans La rivière rouge (lire ma critique en cliquant ICI), pas plus que Feathers, sublimement interprétée par la belle Angie Dickinson dont c'était là le premier grand rôle, ne rappelle les héroïnes précédentes de Hawks :Louise Brooks, Lauren Bacall, Joanne Dru, car elle possède son individualité propre. On verra également dans ce film que les rapports homme/femme s'équilibrent et Feathers prendra dans certaines occasions le dessus sur Chance, particulièrement lors d'un dialogue éblouissant où elle impose sa volonté face à son partenaire sans doute déstabilisé par son amour pour elle.
" J'ai eu l'idée de Rio Bravo - dira Hawks - parce que je n'aimais pas un film intitulé High Noon ( Le train sifflera trois fois - lire ma critique en cliquant ICI). Pour moi un bon shérif ne se mettait pas à courir la ville, comme un poulet dont on a coupé la tête en demandant de l'aide ; et pour couronner le tout, c'est finalement sa femme quaker qui devait le sauver. Ce n'est pas comme ça que je vois un bon shérif de western. Un bon shérif se retournerait en demandant : " Est-ce que vous êtes à la hauteur ? Est-ce que vous êtes suffisamment à la hauteur pour prendre le meilleur sur les hommes ? " Le type répondrait probablement que non et le shérif ajouterait : " Eh bien, en plus, il me faudrait vous prendre en charge ".
Howard Hawks s'inspirera lui-même de Rio Bravo en réalisant par la suite El Dorado et Rio Lobo. Dean Martin fait ici l'une de ses prestations les plus fameuses, John Wayne est égal à lui-même dans le rôle du patriarche qui représente l'honneur et la force et les seconds rôles sont tous excellents. Un film qui fut salué, à sa sortie, par une critique unanime comme un chef-d'oeuvre. Et le demeure.
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