Dans les années 1920, les problèmes divers que posèrent aux équipes de cinéma le passage du muet au parlant ont inspiré l'intrigue de ce film qui n'a d'autre prétention que d'être un parfait divertissement. L'histoire est simple : inquiet de la voix nasillarde de sa vedette, un metteur en scène - sachant son film très attendu - a l'idée de le transposer en comédie musicale. A partir de ce mince sujet, Stanley Donen aura l'intelligence et le talent de se livrer à un travail d'orfèvre. Il commence par choisir des mélodies à succès, un bon chorégraphe et surtout d'excellents artistes, dont certains ont déjà fait leurs preuves dans le music-hall et la scène. Enfin pour jouer les rôles principaux, il pose son dévolu sur Gene Kelly, qui vient de remporter un immense succès avec Un américain à Paris de Vincente Minelli, et Debbie Reynolds, âgée alors de 19 ans, et considérée à Hollywood comme l'ingénue malicieuse du moment. Ce film contribuera d'ailleurs à la propulser au rang de star. Il est vrai qu'elle apparaît dans cette comédie rafraîchissante, rayonnante de charme et de fantaisie, et qu'elle ne retrouvera jamais plus un rôle qui lui conviendra à ce point. A côté d'elle et de Gene Kelly, on découvre, lors d'un duo devenu pour les cinéphiles un numéro d'anthologie, une Cyd Charisse qui faisait là des débuts prometteurs. On sait la carrière éblouissante qui fut la sienne par la suite.
Le film (1952) se présente donc comme une satire savoureuse des débuts du parlant et, tout au long de son déroulement, nous distille, comme le ferait un bon vin ou une coupe de champagne, une délicate ivresse. Pas d'état d'âme, mais une bonne dose de philosophie optimiste qui aborde les inévitables tracas de l'existence comme autant d'obstacles à franchir dans l'allégresse. La pluie, elle-même, devient un élément ludique de diversion avec lequel on joue et que l'on accepte en riant. Jamais elle n'a été dans un long métrage une partenaire aussi convaincante, aussi gaillarde et guillerette. Tout est motif à chanson et à danse, d'où l'entrain irrésistible de ce film qui est un remède souverain contre la morosité. Cette gaieté de l'entre-deux-guerres n'est pas sans rappeler celle des années 60. Même insouciance, même légèreté dans une actualité où rien ne semble devoir peser. C'est frais comme un sorbet, pétillant comme un gin-tonic et se laisse regarder avec délectation. " C'était une très bonne idée de faire un film sur la période de transition du muet au parlant. (...) Ainsi au départ, nous ne disposions d'aucune ligne directrice ; aucune vedette prévue si ce n'est Kelly " - dira Stanley Donen en 1963. Pour réaliser le scénario, Adolph Green et Betty Comden n'hésitèrent pas à travailler dans les cabarets et à se pencher, en vrais professionnels, sur les moindres détails relatifs aux spectacles de chant et de danse. Dans un premier temps, le film devait se présenter comme un remake de Bombshell de Victor Fleming dont Jean Harlow était la vedette. Mais, réflexion faite, il fut décidé de renoncer à cette idée pour un scénario totalement original. Gene Kelly, ayant été choisi par Stanley Donen, il restait à trouver la vedette féminine en mesure de chanter et danser avec naturel face à un partenaire de la compétence et de l'envergure de Kelly. Debbie Reynolds ne savait effectuer ni l'un, ni l'autre, mais Louis B. Mayer tenait à ce qu'elle soit la vedette féminine de la comédie musicale, aussi Gene Kelly la soumit-il à un entraînement intensif et épuisant durant 3 mois, à raison de huit heures de travail par jour. Sur le point de craquer, Debbie fut aidée par Fred Astaire qui répétait Mariage royal sur un plateau voisin.
Eblouissante comédie, Chantons sous la pluie est, en effet, un film dont chaque instant porte la marque du souci de perfection de ses créateurs. Les centaines d'heures d'apprentissage, d'entraînement et de répétition aboutissent à quelques minutes de pur ravissement. Par ailleurs, le film pose un regard à la fois tendre et ironique sur le cinéma d'autrefois et évoque avec humour les derniers mois du muet et les débuts compliqués du parlant. Les références y sont nombreuses et pertinentes. La plus judicieuse est l'utilisation d'extraits de The three Musketeers (1948) de George Sidney. C'est l'exemple le plus intelligent de ré-emploie, puisque certains plans du film de Sidney s'enchaînent directement avec ceux tournés par Gene Kelly et Stanley Donen. La scène, inoubliable entre toutes, est probablement celle où l'on voit Kelly chanter et danser sous la pluie, pataugeant dans l'eau avec bonheur, sous les yeux médusés d'un agent de la circulation. L'autre grand moment n'est autre que l'apparition de Cyd Charisse qui danse d'abord avec Kelly comme une vamp, avant de le retrouver peu de temps après dans un club de jeu. Cyd Charisse danse de nouveau avec Kelly alors que sa longue traîne évolue dans l'air au gré d'une soufflerie, puis la jeune femme disparaît et son partenaire retrouve brusquement l'agitation de Broadway, passant du rêve à la réalité sans transition, comme s'il n'y avait pas, à proprement parler, de ligne de démarcation précise entre le vécu et l'espéré. Ainsi tout fut mis en oeuvre afin d'assurer la réussite de ce film : que ce soit les costumes de Walter Plunkett, les décors, la musique, la précision de la chorégraphie, même la voix de Debbie Reynolds, jugée insuffisante, fut doublée pour les chansons par celle de Betty Royce ; oui, aucun détail ne fut laissé au hasard par une équipe soudée dont l'ambition était de donner le meilleur d'elle-même et de faire de ce spectacle un époustouflant moment de bonheur. Elle y a parfaitement réussi et cette comédie musicale fait partie des films-cultes que l'on aime à se passer et repasser sans éprouver la moindre lassitude.
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