Grande-Bretagne, Londres, les années 30, l'entre deux-guerres. Albert, alias Bertie, coule des jours heureux dans sa modeste demeure de Picadilly entre sa femme Elisabeth, princesse écossaise, et ses deux filles Elisabeth et Margaret. Fils du populaire Georges V, frère du charismatique Édouard VIII, timide et bègue, l'homme ne semble pas taillé pour le pouvoir. Mais l'histoire en décide autrement. Contraint et forcé de prendre la couronne des mains d'un aîné préférant l'amour d'une aventurière américaine, le jeune roi se heurte à la tendance du moment bien difficile à assumer pour un bègue : la radiophonie. A l'heure des discours de dictateurs galvanisant les foules, façon Hitler, poser et imposer une voix au rayonnement mondial, fait plus que loi, nécessité. Prêt à tout pour surmonter son handicap, Bertie entame un traitement orthophoniste, proche de la thérapie, avec un certain Lionel Logue, praticien aux méthodes originales et parfois même, peu orthodoxes, sans diplôme et sans référence honorifique. Le défi de ce dernier, qui n'est pas des moindres : redonner force et intransigeance à la voix de l'Angleterre.
Sujet difficile s'il en est, le réalisateur Tom Hooper, peu connu de nos concitoyens, s'y est attaqué avec un réalisme, une justesse de ton, une simplicité tellement éloquente, que les deux heures de projection procurent une émotion dont j'étais loin de me douter, avant d'en être pleinement victime... Oui, ce film est tout simplement, et avant tout, bouleversant. Il montre, ou plutôt démontre, comment un homme ordinaire, pas particulièrement doué, peut arriver, par sa volonté et son courage, à surmonter ses appréhensions et à accepter d'endosser et d'assumer un destin extraordinaire. Ce destin est celui du prince Bertie que l'abdication de son aîné va obliger à prendre la lourde succession de son père, le très aimé roi Georges V, en des temps plus que difficiles, dramatiques, ceux de la guerre de 39/45 et comment, par la suite, lui et son épouse seront aux côtés de leur peuple à tous moments, accompagnés de l'homme providentiel que sera le premier ministre Winston Churchill.
Film événement de par la qualité de sa mise en scène, l'évocation d'un épisode historique méconnu, ce long métrage est d'ores et déjà nominé douze fois pour les Oscars et Colin Firth vient de recevoir, pour son rôle du roi Georges VI, un Golden Globe, ce qui laisse supposer que la suite va encore réserver quelques bonnes surprises. Car le public est là. Hier après-midi, à Deauville, il n'y avait pas un strapontin de libre, ce qui est rare à cette heure de la journée. Et le public est resté longtemps assis après que la lumière soit revenue, aux prises avec une indiscutable émotion, celle que suscite cette formidable démonstration où nous assistons à l'accouchement douloureux d'un homme qui accepte, malgré ses craintes et ce qu'il croit être une indignité physique, la charge écrasante de roi. D'autant que l'époque, et les progrès de la technique, obligent désormais les chefs d'état à être, non seulement les garants du pouvoir, mais des orateurs. D'où la toujours grande actualité du sujet.
Aux dialogues irrésistibles, à la construction théâtrale parfaitement maîtrisée, aux symboles attachés à la figure du monarque, aux saynètes intimes et charmantes où l'on entre dans la vie familiale du prince puis du roi, aux paysages de la campagne anglaise baignés de brume, il faut s'émerveiller du choix des acteurs tous époustouflants dans leurs rôles et tellement convaincants, que l'on voit s'ouvrir, devant nos yeux, un pan de l'histoire contemporaine de la Grande-Bretagne, dont on ne sait que trop qu'elle a traversé les situations les plus graves et rebondi avec dignité. Après avoir tourné dans Bridget Jones, l'acteur Colin Firth entre pleinement dans la peau de Georges VI et, grâce aux conseils de David Seidler, le scénariste, bègue lui aussi, nous convainc sans peine, tant il met d'intelligence et de sensibilité, de certitude et de doute, dans son personnage. Il avoue lui-même que ce ne fut pas facile et qu'il a surtout cherché à jouer l'angoisse que peut générer une telle difficulté à s'exprimer, ce blocage qui survenait, chez le monarque, dès qu'il était tenu à prendre la parole. Face à lui, magistral, nous trouvons un autre acteur Geoffrey Rush, lui aussi peu familier du public français, qui endosse avec force et humour, insolence et humanisme, un acteur raté, australien d'origine, devenu orthophoniste à la suite des difficultés d'élocution d'hommes et de femmes qu'il a croisés dans son existence et dont le nom est resté longtemps secret : Lionel Logue. Soigner un membre de la famille royale ne l'impressionne nullement et, dès le premier contact, il va imposer ses exigences et la discipline qu'il entend faire respecter par son client. L'amitié qui s'installe entre ces deux hommes ne faiblira jamais et ne subira aucune éclipse. Leur face à face est un grand moment de cinéma et une réussite rare, un vrai régal pour les spectateurs. N'oublions pas les autres rôles admirablement assumés : celui de l'épouse de Georges VI, la délicieuse reine Elisabeth, joué avec charme et sobriété par Helena Bonham et celui d' Edouard VIII, au règne si bref, par le sémillant Guy Pearce. Une seule erreur de casting dans cet opus brillantissime : un Churchill trop caricatural, grimé en cabot à la lèvre pendante et aux clins d'oeil ironiques vraiment trop forcés.
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