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29 novembre 2006 3 29 /11 /novembre /2006 09:50
LA DOLCE VITA de FEDERICO FELLINI

                       

De la projection d'un film de Fellini, on sort rarement indemne. Certes "La Dolce Vita" n'est pas le long métrage du cinéaste que je préfère, mais il apparaît évident que c'est là une oeuvre charnière, capitale, dérangeante, comme le sera plus tard  "Satyricon" et que ce film prélude au terrible réquisitoire que le grand metteur en scène ne cessera plus d'adresser à notre société avec autant de désespoir sans doute que de dureté. Ne serait-ce que pour cette raison, il est incontournable. La perspective décadentielle de Fellini était proche de celle de Visconti, mais chacun des cinéastes traitera ce sujet avec son génie propre, l'un avec plus de faste, l'autre plus de cynisme. Aussi, en assistant à la projection, ai-je éprouvé un malaise et je me souviens avoir pris un léger remontant en rentrant chez moi. D'ailleurs ce film sulfureux suscita, lors de sa sortie, des réactions extrêmement violentes, excessives, tant il est vrai que l'étalage d'autant de vices, d'orgies, de débordements ne pouvait pas ne pas provoquer la stupeur et le courroux d'un public qui n'y était pas préparé. Il faut se reporter aux années 60 et à cette gaieté superficielle qui régnait un peu partout. C'était le temps des yé-yé, des trente glorieuses que l'on pensait éternelles. Le film fit l'effet d'un coup de poing et inspira des commentaires virulents. Un cinéaste avait osé montrer ce qui ne devait pas l'être et, de plus, ce cinéaste le faisait avec génie. C'en était trop. On aurait préféré qu'il continuât à nous émouvoir avec des films poétiques comme "La Strada" ou "Les nuits de Cabiria", alors que, sautant le pas, osant tout, prenant tous les risques, il nous jetait à la figure le spectacle de notre crépuscule, de nos illusions perdues, de nos tares, de nos méfaits, de notre déliquescence.

 


Pour le spectateur d'aujourd'hui, il est clair que Fellini est l'un des plus grands cinéastes avec Dreyer, Eisenstein, Lubitsch, Renoir, Welles, Bergman, Visconti, maître parmi les maîtres, mais en 1960, il n'était pas encore assis sur le sommet de l'Olympe cinématographique et les critiques les plus hargneuses et les plus injustes lui furent assénées. La société n'aime guère que l'on bousculât ses habitudes, encore moins sa vision des choses qu'elle s'efforce toujours de modeler à sa convenance.

 

L'histoire de "La Dolce Vita" est difficile à raconter tant elle est complexe, ramifiée autour de plusieurs personnages, tous en proie à des difficultés existentielles, tous atteints de dépression morbide qui mènent les uns au suicide ou à une vie dissolue, les autres à la boisson ou dans le cabinet feutré d'un psychiatre. Ce beau monde ne cesse point de s'étudier, s'analyser, se plaire et se déplaire, s'accoupler, s'enivrer, cédant aux excès les plus répréhensibles avec une sorte de jubilation funèbre. Avec ce film, Fellini a libéré son imaginaire et engagé son inspiration sur la voie de l'onirisme et de la psychanalyse, un monde dont on sait combien les certitudes s'effilochent avec le temps. Le metteur en scène, sans vouloir jouer les moralistes, propose à notre réflexion des interrogations auxquelles il n'apporte pas lui-même de réponse mais, à l'égard desquelles, il est difficile de ne pas réagir. Le Clézio  l'a fait avec talent :

 

" Le cinéaste nous aventure au milieu de sociétés qui n'ont rien à nous apprendre de définitif sur elles-mêmes, des sociétés de doute, des sociétés non pas de pierre mais de sable et d'alluvions. La société selon Fellini est une société incertaine. D'abord parce que cette société est une société en train de s'écrouler. Corrompue, débauchée, ivre, grimaçante, la société que nous fait voir Fellini est en complète décadence. Mais elle ne l'est pas inconsciemment : il s'agit d'un monde en train de s'interroger, de se tâter, qui hésite avant de mourir. Fellini est le plus impitoyable témoin du pourrissement du monde occidental. Le paysage humain qu'il nous montre en mouvement est à la fois la plus terrible et la plus grotesque caricature de la société des hommes. Bestiaire plutôt qu'étude humaine, elle nous montre tous les types de groins et de mufles dans toutes les situations : prostituées, déesses, androgynes, succubes, ecclésiastiques hideux, militaires abominables, parasites, artistes, faux poètes, faux prophètes, hypocrites, assassins, menteurs, jouisseurs, tous réels et tous méconnaissables, enfermés dans leur propre enfer, et perpétuant leurs crimes mécaniques sans espoir d'être libres, sans espoir de survie. En deçà de la parole, en deçà de l'amour et de la conscience, ils semblent les derniers survivants d'une catastrophe incompréhensible, prisonniers de leur zoo sans spectateurs. Cette société maudite est la nôtre, nous n'en doutons pas".

 

anitaekberg15.jpg

 

Qu'ajouter de plus à cette analyse de l'écrivain, sinon que personnellement je reproche à ce film de ne pas inclure une lueur d'espérance, de nous montrer une civilisation irrémédiablement perdue, sans l'ombre d'un salut possible, de cadenasser toutes les issues qui pourraient nous laisser entrevoir, ne serait-ce qu'une raie de lumière. Ce vaisseau-là sombre corps et biens et nous assistons à son naufrage avec une certaine indifférence car, malgré tout, nous savons que le monde n'est pas aussi noir que le cinéaste met une certaine complaisance à le dépeindre. Il y a ici et là des hommes et des femmes de bonne volonté, des gens de devoir et de conviction, des artistes sincères et de vrais poètes, des aventuriers intrépides et des mécènes, des infirmiers du corps et du coeur ; oui, il y a encore des portes qui ouvrent sur des lendemains meilleurs.



Comme dans tous les films de Fellini, la distribution est éblouissante. Marcello Mastroianni interprète avec son naturel désarmant un journaliste spécialisé dans les faits divers et les chroniques mondaines, Anouk Aimée est une Maddalena inquiète, ne sachant ni où se situer, ni où porter ses pas ; Alain Cuny est sinistre à souhait en écrivain-philosophe atrabile, muré dans ses concepts au point que, pris de vertige à la vue de son propre abîme intérieur, il se suicide après avoir tué ses deux enfants ; Magali Noël, en danseuse de cabaret, apparaît comme le seul personnage à peu près normal dans cette galerie de portraits sinistres et s'auréole d'un semblant de grâce ; quant à Anita Ekberg, elle rassemble sur sa personne les ridicules de la star hollywoodienne insupportable, capricieuse, provocante, outrancière, exhalant en permanence un relent de scandale. La scène, où elle se baigne tout habillée dans la fontaine de Trévi, est restée l'image la plus célèbre du cinéma italien. Comme des millions de touristes visitant la ville éternelle, je n'ai pu m'empêcher d'évoquer Fellini sur ces lieux mythifiés par ce film mémorable, empreint d'un charme pervers, presque maléfique, en même temps que doté d'une puissance incantatoire qui le situe parmi les oeuvres cinématographiques majeures du XXe siècle. Et, en ce début de XXIe siècle, où le monde traverse des perturbations d'une gravité rare, ce film restauré est ni plus, ni moins prophétique, nous donnant à voir l'image même de notre société décadente.

 
 

Pour lire les articles que j'ai consacrés à Fellini, cliquer sur leurs titres  :

   

 FEDERICO FELLINI

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA EUROPEEN, dont "La Strada", cliquer sur le lien ci-dessous :  

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN

 

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LA DOLCE VITA de FEDERICO FELLINI
LA DOLCE VITA de FEDERICO FELLINI
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commentaires

W
That's right, this film is a great moment in the history of cinemas, as it did all the work of Fellini and he never disappoints his viewers. So those who have the opportunity to see this film, do not hesitate a moment.
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A
Bonsoir Armelle. Ce n'est pas la première fois que vos articles qui reviennent à la une correspondent à mes envies du moment. Je suis "en crise Fellinienne" et La La Dolce Vita est au programme du week-end ! En ce qui concerne votre très sympathique commentaire sur l'article du film "Una pistola en cada mano" c'est par le plus grand des hasards que j'ai vu l'affiche dans un cinéma à Saint Sébastien. J'ai voulu en savoir plus ... et voilà. Rien à voir avec un chef d'œuvre mais un film qui m'a profondément touché. À bientôt Armelle et très bon week-end.
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T
Un film marquant et assez désespéré, en effet. Mastroianni y était magnifique.S'il repasse dans une salle près de chez moi, je ne manquerai pas d'aller le revoir car je pense avoir oublié bien des<br /> scènes.
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A
Immense chef d'œuvre ! Un vrai bijou du cinéma ! Merci pour ce très bel article !
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N
Revu hier soir aen dvd ce film m'a autant impressionner que la première fois ou je l'ai vu. Je ne regrette pas mon achat. Un film sublime! Je l'aborderais bien sur sur mon blog ce week end.
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B
Bravo pour votre article.<br /> <br /> Je l’ai revu dernièrement, avec beaucoup de nostagie. Certaines scènes restent absolument modernes, et préfigurent la suite des sixties. La séquence d’entrée, avec l’hélicoptère transportant la<br /> statue d’un christ géant, planant au dessus de Rome, avec ces pilotes faisant du sur place pour mater les pin-up se bronzant sur les terrasses est un raccourci extraordinaire !<br /> Elle m’a fait penser en la revoyant, au corps de Che Guevarra, que ces tortionnaire avaient cru bon d’exhiber ainsi, sans se douter qu’ils contribuaient à en faire presque un saint...Mais cela est<br /> une autre histoire !<br /> <br /> Les grands cinéastes, en tant qu’artistes, sentent parfois avec beaucoup de justesse et de prémonition les névroses, présentes et à venir. Fellini, vous avez raison de le remarquer fait avec<br /> beaucoup de finesse le tour de cette société névrosée, brisant ce ton trop franchement optimiste, qu’on a tendance à lui projeter. D’autres metteurs en scène à l’époque, tel que Dino Risi, dans ce<br /> film tout aussi formidable qu’est « le fanfaron » à peu près la même analyse.<br /> <br /> Et que dire des films de Michelo Antonioni, « la nuit » , et surtout « l’aventura » avec Monica Vitti éblouissante, et ce scénario extraordinaire, et poétique, qui ouvrit toute une dimension<br /> inconnue à des cinéastes de l’errance comme Wim Wenders.<br /> Quel dommage que ces films ne soient plus diffusés sur grand écran.
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G
C'est vrai, ce film est un grand moment de cinéma comme d'ailleurs toute l'oeuvre de Fellini qui ne déçoit jamais. Alors ceux qui ont la possibilité de voir ce film, n'hésitez pas un instant.
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N
Très grand chef d'oeuvre de Fellini, je ne l'ai vu qu'une fois mais il est rester graver dans ma mémoire. Ton article m'a donné de le revoir.
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K
Il m'aura fallu un peu de courage pour venir critiquer ce film, classique parmis les classiques à qui l'on décerne presque unanimement le titre de chef d'oeuvre. Je découvre depuis peu toute la richesse du cinéma italien avec grand plaisir, et il était logique que je fasse conaissance avec l'un des touts grands maitres en la personne de Frederico Fellini. Qui plus est, avec le cultissime "La Dolce Vita".<br /> <br /> Hé bien, force est de l'avouer, ce fut une vision des plus ennuyeuses en ce qui me concerne. Je me demande si c'est ma faute, si mon jugement ne serait pas à revoir, si je ne devrais lui laisser une seconde chance, mais ce serait me mentir. Les 2h45 du film furent difficille à atteindre, je ne suis jamais réellement entré dans le film. <br /> <br /> Commençons néanmoins par le positif : les acteurs sont tous en très grandes formes, la composition de Nino Rota réussie sans être exceptionelle, et puis les quelques séquences magistrales qui permettent au film de pendre son envol l'espace de quelques instants (la fontaine, la soirée avec le père de Marcello,...). <br /> <br /> Mais malheureusement ces élévations ne peuvent faire oublier l'ennui global qui règne sur le film. Beaucoup parlent de la critique de la société (qui a fait scandale), je veux bien l'admettre mais je ne vois pas en quoi elle est si extraordinaire : je lui trouve un manque de nuance (trop pessimisite à mon gout, je suis à ce niveau d'accord avec toi)) et je n'y vois pas la maestria d'un "orange mécanique" par exemple, dont le témoignage sur la violence est toujours d'actualité ! <br /> <br /> Un autre gros point sur lequel je n'adhère pas du tout est le traitement des personnages. Beaucoup parlent des différentes histoires sur un même film comme caractéristique du style Fellinien. Je ne vois pas l'intéret ici de ce côté "film à sketches" où les différentes trajectoires ne trouvent pas de lien et souvent son incomplètes. Fellini semble préférer filmer les humains,je préfère ceux qui filment l'humain. <br /> <br /> Sans rancune pour ce réalisateur à qui je donnerai une deuxième chance volontiers
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S
Le phénomène des critiques qui sous-estiment un réalisateur au moment de la sortie de ses films est récurrent : régulièrement, des oeuvres ont été massacrées à leur sortie parce qu'elles ne correspondaient pas au conformisme de l'époque. Ce n'est que bien des années après que l'ont prit conscience de leur importance (et ça continue actuellement).<br /> "La Dolce Vita" fait partie de ceux-là et n'est à mon sens pas si sombre que vous ne le décrivez... Pour moi, cette noirceur désespérée est "acceptable", ne m'a pas assommée car elle est tout le temps présentée de façon phantasmée, rêveuse : la célèbre séquence dans le château en est l'exemple-type : les personnages se perdent dans une société pourrie à tous les étages mais ils sont décrits d'une manière que je qualifierais de négligente, un peu décalée par un regard venant d'ailleurs (certainement pour ne pas ressentir tout cette tristesse), presque surréaliste par moments...
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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