Au XIXe siècle, dans un petit village luthérien du Jutland, au Danemark, un pasteur dirige sa communauté d'une main austère et pieuse. Il a deux jolies filles, Martine et Filippa, dont il ne veut se séparer à aucun prix au grand dam des jeunes hommes du village. Lorens, un jeune officier tombe follement amoureux de Martine, mais malgré tous ses efforts pour intégrer le cercle familial il repartira seul. Filippa sera, quant à elle, repérée par Achille Papin, un baryton français en villégiature, qui voit immédiatement en elle une future diva qui pourrait avoir tout Paris à ses pieds. Après plusieurs mois de cours particuliers et malgré les progrès, Filippa met fin à leur relation, à la grande satisfaction du pasteur. Trente-cinq ans plus tard, le pasteur est mort et les deux sœurs toujours célibataires. Un soir de tempête, une femme frappe à leur porte. C'est Babette, une Française qui leur demande refuge en proposant ses services. Elle est recommandée par une lettre d'Achille Papin qui explique qu'elle a dû fuir la guerre civile de la Commune de Paris et qu'elle « sait faire la cuisine ». Martine et Filippa acceptent, même si elles n'ont pas les moyens de la payer. Babette a gardé, pour unique lien avec la France, un billet de loterie qu'une amie lui achète chaque année. Elle apprend le danois et la cuisine locale. Durant quinze années, elle va servir avec humilité les deux sœurs qui pourront ainsi se consacrer pleinement à l'aide des pauvres de la région.
Comme dans un conte, on entre dans "Le festin de Babette" (1987) par la voix de Michel Bouquet. Impression d'une petite communauté qui vit hors du temps, dans un pays d'exil, avec ses chaumes humides, ses maisons basses, ses brumes fréquentes. Gabriel Axel est resté proche du beau texte de Karen Blixen respectant sa construction et se montrant fidèle à son esprit. Film intimiste, s'il en est, dans la tradition des maîtres de la peinture flamande et du cinéma en clair-obscur de Carl Dreyer, dont Axel se veut le successeur. Au cours de ce repas, les langues se délient enfin, tant il est vrai que la fête délivre des soucis médiocres. Chacun raconte un moment important de sa vie. Ce festin n'est pas sans rappeler le repas eucharistique et les noces de Cana. Le discours du vieux général, qui clôt le banquet, annonce la réconciliation de la chair et de l'esprit, du renoncé et de l'offert. La gratuité du don dénoue les coeurs et invite à la louange, à la libération, à la joie, au dessaisissement de soi par amour, l'amour comme exercice du coeur. Gabriel Axel a fait en sorte de placer Babette au centre de son film et s'est appliqué à faire d'elle un personnage lumineux, proprement évangélique, interprété à la perfection par Stéphane Audran qui trouve là son plus beau rôle. Sa retenue, son sourire, son regard énigmatique rendent tangibles le pouvoir rayonnant qu'elle exerce sur cette société dévote et puritaine. Plus tard, penchée au-dessus de ses marmites, tandis que la caméra suit le moindre de ses gestes, elle réussit le miracle de la réconciliation entre les deux mondes et exalte l'artiste et l'art comme principes fondateurs du plaisir et de sa satisfaction. Ce film est en quelque sorte un hymne au pouvoir créateur que résume très bien le général Löwenhielm par cette simple phrase : " Transformer un repas en une espèce d'affaire d'amour qui ne fait plus la distinction entre appétit physique et appétit spirituel". C'est donc sur tous les plans une réussite absolue, non seulement parce que l'histoire est belle mais parce qu'elle prouve que par des actes simples, humbles même, les esprits peuvent se libérer et les coeurs s'épancher davantage. On entre dans une vraie communion dont la gratuité est la clé de voûte. D'ailleurs la chaleur qui émane de la cuisine, où Babette s'active à la préparation de ses mets, tranche avec l'austérité des paysages environnants, bien qu'admirablement mis en valeur, comme dans les toiles des peintres flamands, par le chef opérateur Henning Kristiansen. C'est d'autre part une célébration du don de soi et du bonheur de vivre qui réunit en un festin somptueux tous les sens en un grand moment de plaisir et de volupté.
Le film a été couronné en 1988 par l'Oscar du meilleur film étranger.
Pour lire l'article que j'ai consacré à Stéphane Audran, cliquer sur son titre :
Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA EUROPEEN, cliquer sur le lien ci-dessous :
LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN