Grace is gone de James C. Strouse est un film d'auteur qui frappe par sa sobriété et son dépouillement, son écriture épurée et sa gravité. Aucun recours à des effets spéciaux ou à des impacts racoleurs, mais une retenue dans le narratif et l'interprétation du formidable acteur que se révèle être John Cusack dans le rôle de Stanley Philipps. Ce monsieur tout le monde, au physique désespérément banal, surprend par son jeu nuancé et sensible. Nous plongeons avec lui au plus profond d'une Amérique moyenne, sans paillette, l'Amérique des milieux modestes confrontée chaque jour aux problèmes qui sont, à peu de chose près, les mêmes que les nôtres.
L'histoire est simple : le père de deux petites filles apprend que sa femme Grace, engagée en Irak, vient d'être tuée. Submergé par la douleur, il ne sait comment apprendre la nouvelle à ses enfants et lui-même se demande comment il va faire face à un tel événement et envisager son avenir. Sa vie lui parait laminée. Aussi, en désespoir de cause, a-t-il l'idée de prendre sa voiture et de s'en aller - on a toujours envie de partir quand on souffre beaucoup - et de mener ses fillettes dans le parc d'attraction qu'elles préfèrent, en Floride. Ce road-movie fera office de voyage initiatique, presque silencieux, pesant comme un ensevelissement, mais où l'on partage les états d'âme de ce père en proie aux sentiments les plus contradictoires. Cela, sans complaisance, avec beaucoup de pudeur. En effet, John Cusack est remarquable de sobriété et de justesse, nous gratifiant de moments rares d'émotion. Cela donne au film sa tonalité et le transcende bien au-delà d'une trame politique sous-jacente mais discrète.
Ce n'est pas non plus un film sur la guerre en Irak ou sur la politique de Bush, mais la peinture d'une Amérique en proie à un dilemme entre son patriotisme profond et son opposition à une guerre qu'elle ne comprend pas. Le héros du film, patriote convaincu, syncrétise parfaitement cette dualité. Son seul recours, pour ne pas perdre pied et garder une certaine verticalité, sera de se raccrocher à ses valeurs et à celles de sa patrie conquérante. C'est là la subtilité de l'oeuvre : nous rendre sensible l'Amérique des gens ordinaires, l'Amérique d'une classe sociale modeste et besogneuse dans un quotidien difficile à vivre en ce temps de guerre en Irak qui, après celle du Vietnam, la dépasse et la perturbe. Il est certain que nous sommes en présence d'un être fragile, vulnérable, qui se culpabilise facilement et à tout propos, mais cette faiblesse n'est-elle pas la nôtre à bien des égards, d'autant qu'elle est rendue plus poignante d'être vécue à travers un acteur qui semble se l'être attribuée personnellement ? Tout le film, malgré certaines facilités, a cette lecture fondamentalement vraie et émouvante d'une population qui s'interroge, se remet en cause, cherche à comprendre et à se comprendre et nous invite à entrer dans cette interrogation d'un XXI siècle rongé par ses doutes.
En conclusion, un long métrage juste, sans prétention, dont les maladresses ne parviennent pas à ternir l'intérêt et qui, sans être à proprement parler une première oeuvre engagée, pointe du doigt, sans outrance, le barrage médiatique du gouvernement Bush autour de la mort des soldats américains en Irak.
Pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA AMERICAIN & CANADIEN, cliquer sur le lien ci-dessous :
LISTE DES FILMS DU CINEMA AMERICAIN ET CANADIEN