Ingmar Bergman, né le 14 juillet 1918 à Uppsala et mort le 30 juillet 2007 dans l'île de Farö, compte parmi les quelques très grands réalisateurs du 7e Art pour la raison que son oeuvre cinématographique approfondit les questions existentielles qui se posent à l'homme avec une puissance telle qu'elle lui assurera très vite la consécration de ses pairs. Interrogation sur le sens de l'existence, hantise d'un bonheur en errance, d'une communauté de pensée continuellement à refaire. Issu du théâtre, le réalisateur lui restera toujours fidèle, aussi ses débuts à l'écran seront-ils marqués par des influences littéraires, celles d'auteurs abordés à la scène, Strindberg en premier lieu, Ibsen, Anouilh, Pirandello, Camus. Il a d'ailleurs mené une réflexion savante sur la notion de spectacle _ ainsi dans "Jeux d'été" (1950), "La nuit des forains" (1953), "L'oeil du diable" (1960) ou "Fanny et Alexandre" (1982) - et ses films les plus intimistes recèlent eux-mêmes une méditation sur la théâtralité à l'écran dépouillée de toute invasion des codes théâtraux. Plus encore que le cinéma, Bergman aimait le théâtre. " Je peux exister sans faire de films, mais je ne peux exister sans faire de théâtre" - disait-il. Et, cependant, bien que s'étant retiré de derrière la caméra en 1982 après "Fanny et Alexandre", une oeuvre-testament sur son enfance et sa passion du spectacle, couronnée par quatre Oscars, il ne put s'empêcher d'y revenir en 2003 avec "Saraband" pour la télévision suédoise, vision assez noire de la vieillesse qui fut diffusée par la suite sur grand écran. C'est dès 1945 que le cinéaste, marqué par une jeunesse douloureuse et compliquée, débute, tout ensemble, une carrière de metteur en scène avec un stage à l'Opéra de Stockholm et un parcours personnel, en rédigeant des pièces et des romans. C'est, en effet, un réalisateur complet qui écrit lui-même ses intrigues, ses dialogues - pour la plupart d'entre eux - et utilise sa caméra comme une plume chargée d'exprimer l'angoisse de l'homme face à la solitude, à l'amour, à la mort, en quelque sorte à l'infinie tristesse d'un monde sans Dieu. Mais l'angoisse exige une affirmation constante de foi en l'homme. "Le Septième Sceau" est né d'une réflexion sur la précarité de la condition humaine au XXe siècle. Sa force a été de permettre l'intrusion continuelle du fantastique dans le quotidien.
Le cinéma de Bergman se révèle être le plus souvent tragique, s'attachant aux visages, à la lumière, aux fondus-enchaînés et aux thèmes fondateurs de l'inquiétude humaine. Authentiquement existentialiste en ce cas précis, l'auteur se plaît à pourfendre les pressions sociales et la morale conventionnelle et à démystifier la mythologie chrétienne et son puritanisme répressif. Fils de pasteur, il a souffert dans son enfance d'un climat familial étouffant et sera marqué à jamais par une culpabilité chronique qui ne cessera de transparaître dans ses personnages. Sa mise en scène rigoureuse bénéficiera du concours de grands acteurs qui lui resteront fidèles comme Harriet Andersson, Bibi Andersson, Gunnar Björnstrand, Max von Sydow, Ingrid Thulin, Liv Ullman, Erland Josephson. La vie, la mort, le suicide, l'avortement, la passion sont le plus souvent abordés du point de vue de la femme qui a le rôle déterminant dans ses compositions. - y compris dans ses films indirectement ou directement autobiographiques comme "Scènes de la vie conjugale" et "Face à face". Au confluent de ses investigations et de son questionnement métaphysique, il réalise une série de films que l'on pourrait intituler, en référence à la musique de chambre : des films de chambre, où les couples sont surpris dans leur huis-clos et rêves et fantasmes durement confrontés à la réalité : "A travers le miroir", "Persona", "L'heure du loup", "La honte". C'est le triomphe à l'écran de cette fascination pour les visages qu'il a souvent revendiquée, en affirmant : Notre travail au cinéma commence avec le visage humain. En même temps, sa mise en scène se libère : il brise l'harmonie du récit, sa continuité. A l'écart des modes, son réalisme cinématographique répudie les images banales et, à sa manière, il pratique la déconstruction. Ainsi "Personna", méditation sur les masques et les apparences, ajuste les brisures de la forme à celles que provoque le thème du double, tandis que "Cris et chuchotements", réflexion douloureuse sur la mort, se sert de la couleur - le rouge principalement - pour théâtraliser sa dramaturgie. Aussi n'a-t-il pas toujours été bien compris du public, désorienté à maintes reprises par ce cinéma austère et exigeant. Ses concitoyens allèrent même jusqu'à lui reprocher de contribuer à la triste réputation de la Suède comme d'un pays de névrosés. Marié à cinq reprises, il eut 9 enfants et ne cessa de se pencher sur la nature féminine, étant certainement l'un des cinéastes qui a le mieux compris les femmes.
"Fanny et Alexandre" représentera en 1982 la somme totale de sa vie de réalisateur. Ce chef-d'oeuvre incontesté, convaincant dans son art de l'ellipse, est la somme édifiée sur ses films antérieurs et s'est bâti selon un récit en partie inspiré de son enfance. Si par la suite Bergman a abandonné le cinéma au profit du théâtre et de la télévision, l'évolution des techniques a tout de même permis son retour dans les salles avec des créations vidéo comme "Saraband" (2003). Mais la notoriété internationale lui était venue dès 1955 avec Sourires d'une nuit d'été, qui ne sera pas sans influencer la Nouvelle Vague et, peu de temps après, "Le septième sceau" l'avait intronisé comme le maître inspiré d'une oeuvre magistrale qui faisait tout autant appel à la transcendance qu'à la subjectivité dans ce qu'elles ont de plus pur, sans faire, pour autant, l'impasse sur l'aspect charnel des choses. Jean-Luc Godard écrira à son sujet : " C'est le monde entre deux battements de paupières, la tristesse entre deux battements de coeur, la joie de vivre entre deux battements de mains". Qu'ajouter à cela ?
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