Dix ans de préparation pour ce film qui est tout ensemble une ode à la nature, à la beauté, à la liberté, à la solitude et, par ailleurs, une odyssée personnelle, celle d'un jeune américain frais émoulu d'une université et qui, tournant le dos à la civilisation et à nos sociétés consuméristes, abandonne sa voiture, lègue les dollars de sa bourse à une oeuvre caritative et prend la route pour un voyage initiatique, effaçant ses traces au fur et à mesure de son avancée, afin de se fondre à tout jamais dans la nature. Sa vraie naissance - dira-t-il - au long de ce parcours raconté en une suite de brefs épisodes et sous forme d'un journal intime par ce héros au beau sourire, qui a largué les amarres et fait retour à la vie sauvage.
Christopher était le nom réel de cet Ulysse des temps modernes, épris d'indépendance et de grands espaces qui mourut en 1992 après deux années d'un itinéraire qui, au fil des semaines et des mois, s'avéra être une rédemption, un retour aux sources, à l'espérance, à la reconquête d'un moi perdu. Une enfance difficile, au sein d'un couple conflictuel, avait amené le jeune homme à renoncer à poursuivre une existence, tracée d'avance, de cadre supérieur formaté à Harvard. Sean Penn, le réalisateur, dont on comprend vite qu'il a trouvé en cet aventurier le catalyseur idéal de ses propres fantasmes, a poussé la reconstitution à l'extrême jusqu'à rebâtir à l'identique le car désaffecté où Christopher acheva sa brève existence. Rien n'est laissé au hasard de la désocialisation progressive de ce héros qui avait choisi de gagner l'Alaska, sa terre d'élection, par le chemin des écoliers. Son retour à la vie primitive, son grand plongeon dans une nature quasi vierge ne se feront pas sans douleur. Si la nature, chantée en une succession d'images sublimes, lui offre sa beauté suffocante, ses immensités âpres et sauvages, si elle contribue à installer en lui-même le mythe de la terre reconquise, elle apporte aussi son lot d'épreuves et la mort. Sous l'apparence d'une fleur, hélas vénéneuse qu'il a confondu avec une autre comestible et qu'il avalera par mégarde, il tombe dans un état de grande faiblesse et parvient à ce seuil où il n'est plus de retour possible, comme le ferait un jeune dieu qui, ayant compris le sens de la vie et atteint le Nirvana, se retirerait du monde des hommes pour s'avancer triomphant vers l'autre lumière. C'est cet ultime message que le metteur en scène propose : celle d'un homme qui accepte sereinement la traversée du miroir, parce qu'il a bouclé sa vie en un accéléré de deux ans et compris que le bonheur n'existe que s'il est partagé.
Rencontre avec soi d'abord, rencontre avec les autres ensuite, cette route est avant tout une quête intérieure, une découverte de la foi qui fait basculer de l'égoïsme à l'altruisme, de l'enfance à l'âge adulte, du doute à la certitude, de l'insoumission à la sagesse, et se réalise dans cette mort acceptée comme le passage définitif, l'entrée dans l'Alaska spirituel. Servi par un narratif admirablement cadencé, économe de mots afin de mieux atteindre l'essentiel, silence expressif capté par une imagerie grandiose, Into the wild est une totale réussite, un film concertiste où le héros inscrit sa partition dans celle plus symphonique de la nature, en une suite de mouvements rythmés par ses rencontres. Et ces rencontres seront décisives, chacune apportera son lot de chaleur et de tendresse, infinie consolation humaine : tour à tour Christopher se liera d'amitié avec un exploitant agricole pour lequel il travaillera, un couple de hippies sympathique et convivial, une jeune fille qui lui offrira un amour qu'il ne peut encore accepter mais dont il conservera en pensée l'image radieuse, enfin un vieux militaire qui lui proposera de l'adopter pour qu'il hérite de ses biens et ne soit plus dans une situation aussi aléatoire. Interprété par Hal Holbrook, ce personnage est particulièrement touchant et la scène de leur adieux l'une des plus poignantes du film.
Ces rencontres constituent les étapes capitales de son cheminement personnel, contribuant à son éveil aux autres dans un contexte tellement plus authentique que celui de ses années en université, et autant de révélations pour conforter l'altérité. Emile Hirsch, conduit d'un doigté sûr par son metteur en scène, campe avec une force, une humanité, une sincérité captivantes le personnage de Christopher et assume pleinement le mythe du vagabond inspiré, ses joies, ses emballements, ses craintes, ses doutes. Il ne cesse de nous toucher, de nous questionner, de nous bouleverser par cette sorte d'élan irrésistible qu'il manifeste jusque dans ses instants d'abattement ; il est en permanence dans une attitude positive, poursuivant sans faiblesse son périlleux défi. Magistral.
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