Jean-Louis Trintignant vient de nous quitter. En apparence seulement, car il restera sur l'écran de notre souvenir, tant il était un acteur qui a marqué le 7e Art. Il faisait parti de notre paysage cinématographique depuis si longtemps qu'on avait l'impression de le bien connaître, alors qu'il était un homme timide et pudique dont nous ne savions que peu de choses, sinon que ses prestations au théâtre, comme au cinéma, ont toujours été de qualité et qu'il a mené sa carrière avec une étonnante lucidité. Né le 11 décembre 1930 à Piolenc (Vaucluse) dans un milieu aisé d'industriels du Sud de la France, neveu du pilote de course Maurice Trintignant, le jeune Jean-Louis fut très tôt sensible aux beaux textes en découvrant la poésie d'Apollinaire, d'Aragon et de Prévert. A 19 ans, sans doute pour plaire à sa famille, il entre à la Faculté de droit d'Aix-en-Provence, mais n'y reste pas car, entre-temps, est intervenu un événement qui va l'orienter différemment : il assiste à la représentation de l'Avare de Molière dans une mise en scène de Charles Dullin. Ce choc est si déterminant que le jeune homme n'attend pas plus longtemps pour s'inscrire aux cours du célèbre acteur avec un second objectif, celui de vaincre sa terrible timidité. En 1951, la thérapie est si positive qu'il débute au théâtre dans la Compagnie Raymond Hermantier et la pièce A chacun selon sa faim. Ses débuts au cinéma seront moins heureux avec deux films Une journée bien remplie et Le maître-nageur qui seront deux échecs. Cela ne se reproduira plus. En 1956, après quelques figurations, il fait ses vrais débuts à l'écran dans un film de Christian-Jaque "Si tous les gars du monde", ensuite dans le sulfureux long métrage de Roger Vadim "Et Dieu..créa la femme". Celui-ci misait alors sur l'affolante plastique de sa femme Brigitte Bardot. Ce film, assez médiocre, aura du moins le mérite d'assurer au jeune acteur la notoriété internationale et de lui valoir une idylle tapageuse avec la star, dont les conséquences seront de faire exploser le couple qu'elle formait très bourgeoisement avec le metteur en scène.
Mais il lui faut faire son service militaire, d'abord en Allemagne, puis en Algérie durant trois longues années, ce qui le marquera à jamais et l'éloigne de la scène et de l'écran, alors même qu'il venait de réaliser des débuts prometteurs. A son retour, par chance on ne l'a pas totalement oublié et il retrouve la scène avec Hamlet de Shakespeare et l'écran avec Roger Vadim (qui n'est guère rancunier) et s'apprête à tourner un nouveau film, tout aussi sulfureux que le précédent, inspiré du roman de Pierre Choderlos de Laclos, "Les liaisons dangereuses", avec Gérard Philipe, Jeanne Moreau et sa nouvelle épouse Annette Vadim. En 1962, il est le partenaire de Vittorio Gassman dans "Le fanfaron" de Risi, une réussite éclatante. En 1966, ce sera la gloire internationale avec un film culte sur les amours romantiques de deux veufs : "Un homme et une femme" de Claude Lelouch qui obtiendra la Palme d'or à Cannes la même année et l'Oscar du meilleur film étranger aux Etats-Unis. On le voit également, toujours en cette année faste, dans un film politique, à l'opposé du précédent, "Z" de Costa-Gravas au côté d'Yves Montand, film qui aura un incontestable retentissement et lui méritera le Prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes 1967. Désormais, il mènera sa carrière en se partageant entre la scène et l'écran et, après avoir divorcé de Stéphane Audran, épousera l'actrice, scénariste et réalisatrice Nadine Marquand avec laquelle il tournera de nombreux films et aura trois enfants, un fils et deux filles, dont Pauline qui moura subitement en 1966 et dont la disparition inspirera à sa mère le film "Ca n'arrive qu'aux autres" (1971), où Jean-Louis devait tenir son propre rôle auprès de Catherine Deneuve, mais il y renoncera et sera remplacé par Marcello Mastroïanni qui, lors de ce tournage, tombera amoureux de sa partenaire. Et puis, il y a Marie qui sera actrice comme lui et jouera très souvent avec son père, avant de trouver une mort tragique à la suite d'une dispute avec son compagnon. Jean-Louis sortira brisé de cette épreuve. Il disait : Il ne peut y avoir que des moments de bonheur et certains peuvent être exceptionnels. Moi, je n'ai jamais été aussi heureux que quand j'étais avec Marie. Notre relation était unique. Ma fille Marie, j'éprouve un tel bonheur quand je la vois. C'est ainsi depuis qu'elle est toute petite. Un cadeau du ciel. C'est un peu injuste, cette passion, mais l'amour vient de nous deux. Nous nous sommes connus au bon moment. Le moment où j'avais envie d'être père.
La filmographie de Jean-Louis Trintignant est impressionnante et prouve son discernement, car elle ne comporte que peu d'oeuvres médiocres. On le verra dans "Ma nuit chez Maud", le meilleur Eric Rohmer selon moi, dans "Le train" de Granier-Deferre en 1973 auprès de Romy Schneider, dans "Les violons du bal" de Michel Drach en 1973, "La terrasse" d'Ettore Scola en 1980 et dans "Passion d'amour" toujours de Scola en 1981, dans "Vivement dimanche" de Truffaut en 1983, dans "L'été prochain" de Nadine Trintignant en 1985, dans "Merci la vie" de Bertrand Blier en 1990 et on l'appréciera d'autre part sur scène, lors de ses récitals de poésie qui sont pour lui l'occasion de renouer avec ses amours de jeunesse. Depuis 1996, il s'est retiré à Uzès et lancé dans une nouvelle aventure en achetant le domaine vinicole Rouge Garance (un hommage à Arletty). Il y produit 20.000 bouteilles de côtes du Rhône chaque année. Je passe mon temps dans les vignes, je veille aux assemblages - dit-il. Après une carrière exemplaire, conduite avec intelligence, et des épreuves très douloureuses, l'acteur avait retrouvé la paix dans ce tête à tête avec la nature, le seul poème qui les surpasse tous. Néanmoins, il sortait de cette réserve pour des récitals de poésie et pour le film "Amour" de Michael Haneke au côté d'Emmanuelle Riva qui obtint la Palme d'or du Festival de Cannes 2012. Bien qu'atteint d'un cancer, Jean-Louis avait encore tourné avec Haneke "Happy End", peut-être le film de trop pensaient certains critiques qui ne cessaient de l'étriller, tout en reconnaissant que Trintignant parvenait à tirer son épingle du jeu de cet opus affligeant. Et puis n'oublions pas "Un homme et une femme" de Claude Lelouch en 1966 dont la musique, comme les visages des deux acteurs, resteront à jamais en nos mémoires.
Pour prendre connaissance de mes critiques sur certains films où apparaît Jean-Louis Trintignant, dont MA NUIT CHEZ MAUD, UN HOMME ET UNE FEMME et Le FANFARON cliquer sur les liens ci-dessous :
LISTE DES FILMS DU CINEMA FRANCAIS
LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN