Dès son plus jeune âge, Jean-Luc Godard, né le 3 décembre 1930 dans une famille de la bourgeoisie protestante, se singularise par son refus de toute discipline imposée et préférera toujours les salles obscures aux amphithéâtres des universités. Néanmoins, après des études partagées entre la Suisse et la France ( son père dirige une clinique helvétique ), il s'inscrit à la Sorbonne pour suivre des études d'ethnologie, mais appelé sous les drapeaux, il déserte et part faire le tour des deux Amériques durant deux années. En 1953, embauché comme ouvrier sur le barrage de la Grande-Dixence, il en profite pour tourner parallèlement son premier film : Opération béton. Il faudra attendre six ans avant qu'il se lance dans un manifeste qui lui ressemble et touche enfin le grand public : ce sera A bout de souffle (1959 ). Lui ne l'est nullement et, à la suite de ce film de fiction d'une audace insolente et véritablement novateur, il va enchaîner quinze longs et sept courts métrages en moins de dix ans. Ainsi Vivre sa vie (1962), Le mépris (1963), Alphaville (1965), Pierrot le fou (1965) menés à la hussarde pour arracher au réel, par surprise, des lambeaux de vérité sur la vanité des espoirs humains, sur l'abîme à combler entre les êtres et les illusions, sur le vertige de chacun de nous face au néant et à l'éternité, sur l'art enfin, seule lueur dans les ténèbres qui nous entourent. Dans "Le mépris", il fait référence à un cinéaste aimé Fritz Lang et y ajoute une variation sur le thème d'"Un voyage en Italie"de Rossellini. Ces films représentent la première partie de sa vie de réalisateur, sa première vague en quelque sorte, certainement la plus féconde et la plus riche sur le plan cinématographique, les années Karina, son épouse et son inspiratrice. Leur séparation coïncidera avec l'apparition, chez le metteur en scène, des idées politiques et générales et toujours abstraites qui occuperont le second volet de son existence et de son oeuvre.
Déjà avec Deux ou trois choses que je sais d'elle (1966) et La chinoise (1967), il privilégie le concept sur le vécu afin de mieux exprimer l'aliénation des individus pris dans l'engrenage de la consommation et prisonniers des structures conservatrices. Mai 68 va hâter l'évolution de Godard vers un cinéma militant et soumis lui aussi à des impératifs idéologiques, mais ceux-là puisés dans les écrits de Mao. Est venu le temps des certitudes qu'assènent une intelligentsia nourrie de sève marxiste et que s'instaure un politiquement correct qui nuira, ô combien, à la liberté d'expression. Après les films des années Mao (1968 - 1974) demeurés pour la plupart invisibles, Jean-Luc Godard va renouer avec un cinéma plus commercial, des budgets importants et des acteurs prestigieux, films qui seront accueillis avec curiosité et intérêt par un public séduit autrefois par ces premières grandes réalisations. Ceci peut paraître surprenant que la lecture de ses oeuvres nouvelles Sauve qui peut la vie (1979), Je vous salue Marie (1984), Soigne ta droite (1987) se révèlent de plus en plus difficiles et que les propos de l'auteur se complaisent à être de plus en plus abscons. Mais Godard a ceci de particulier que des éclairs de génie viennent parfois déchirer les nuées où il semble s'être retiré, trop loin des hommes pour perpétuer l'émotion de jadis. Il vient de nous quitter en ce 13 septembre 2022.
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