Jeanne Moreau, plus de 60 ans de cinéma, un magnifique parcours qui a fait d'elle la formidable interprète de quelques-uns des plus prestigieux metteurs en scène contemporains, nommons Louis Malle, François Truffaut, Bunuel, Antonioni, Fankenheimer, Losey, Peter Brook, sans oublier Orson Welles qui fit appel à elle à deux reprises pour Le Procès en 1962 et Falstaff en 1965 et disait, à son intention, qu'elle était "la meilleure actrice du monde". Sa carrière n'a été qu'une longue suite de succès, de coups de coeur, d'emballements et de travail, car il y a toujours, à la clé d'une telle réussite, un immense labeur et une grande exigence.
Fille d'une danseuse anglaise de music-hall et d'un père hôtelier français, elle est née à Paris le 23 janvier 1928. Après avoir vécu une partie de sa jeunesse à Vichy, elle poursuit des études secondaires à Paris et commence, sans en rien dire à ses parents, à suivre des cours de théâtre auprès de Denis d'Inès. Ses premiers pas sur les planches auront lieu au Festival d'Avignon en 1947 dans "La terrasse de midi". Six mois plus tard, elle intègre le Conservatoire, ce qui la conduira en 1960 à débuter à la Comédie Française dans " Les caves du Vatican " d'André Gide, mise en scène de Jean Meyer, où elle tient le rôle d'une prostituée. Elle y est déjà si remarquable qu'elle fait (elle, la débutante) la couverture de Paris-Match et reçoit les félicitations d'un écrivain, pourtant peu enclin aux louanges, Paul Léautaud, celui-ci ayant été frappé par son insolence et son indépendance d'esprit. Ainsi s'annonce une carrière qui fera d'elle l'une des muses de la Nouvelle Vague et l'égérie du monde des Lettres et des Arts. Car nul doute, cette amoureuse des livres et des beaux textes fut l'amie de nombreux écrivains. Parmi ceux-ci et celles-là, il y eut Tennessee Williams l'américain, Blaise Cendrars le poète, Paul Morand l'homme pressé, Nimier le jeune hussard et, enfin, deux femmes : Anaïs Nin et Marguerite Duras. Et n'oublions pas ses liens avec des personnalités comme Jean Vilar qu'elle suivra au TNP en quittant la Comédie-Française et sa rencontre avec Louis Malle qui lui ouvrira les portes de la renommée avec deux films où elle s'impose comme l'une des grandes, dans le sillage d'une Simone Signoret : Ascenseur pour l'échafaud (1957) et Les Amants (1958). Puis viendront Jules et Jim de Truffaut où elle chante une romance qui fera le tour du monde et quelques 130 films dont Le journal d'une femme de chambre de Bunuel et La Notte d'Antonioni qui, de toutes ses interprétations, sont celles que je préfère.
Elle a également collectionné les récompenses les plus prestigieuses dont le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes en 1960, le British Academy Award de la meilleure actrice étrangère pour La vieille qui marchait dans la mer (1991) de Laurent Heynemann, enfin elle a été élue membre de l'Académie des Beaux-Arts le 29 mars 2000, première femme à être gratifiée de cet honneur. Son entrée dans cette estimable assemblée fut justement saluée par le discours de réception de l'un de ses proches : l'impérial Pierre Cardin. La seule chose que je regrette de la part d'une femme aussi intelligente : qu'elle ait participé au remake des Rois Maudits, événement télévisuel que je me suis empressée d'oublier... Malgré son âge, elle avait conservé une activité étonnante, puisque dans le cadre des Atelier d'Angers, qu'elle pilotait de main de maître, elle avait aidé sept jeunes réalisateurs à se lancer dans l'aventure du long métrage, ce qui prouve qu'elle n'avait rien perdu de son enthousiasme et de sa passion pour le 7e Art. D'ailleurs, n'avait-elle pas assuré à maintes reprises - le cinéma, c'est à la vie, à la mort. Aussi comment la mort pouvait-elle menacer une immortelle ?
Retirée progressivement de la vie publique par le grand âge, elle avouait avoir vécu dans ses rôles des passions extraordinaires : " On dit toujours qu'en vieillissant les gens deviennent plus renfermés sur eux-mêmes, plus durs. Moi, plus le temps passe, plus ma peau devient fine, fine ... Je ressensee tout, je vois tout." L'âge ne l'avait pas privé de sa vigilance. Elle sortait peu mais suivait l'actualité. C'est son aide ménagère qui la trouvera endormie pour toujours au matin du 31 juillet 2017. Adieu Jeanne.
Pour consulter ma critique d'Ascenseur pour l'échafaud et Jules et Jim, cliquer sur le lien ci-dessous :
LISTE DES FILMS DU CINEMA FRANCAIS