Né en 1898 dans une famille qui sera ruinée par la crise économique de 1904, Kenji Mizoguchi eut une enfance difficile et très pauvre auprès d'un père violent qui vendra sa fille comme geisha et frappera sa femme. Devenu apprenti peintre sur tissu, le jeune kenji se passionne bientôt pour la peinture et obtient un diplôme de l'académie des arts plastiques, puis travaille dans la publicité. En 1918, alors qu'il participe à des émeutes, il perd son emploi. C'est alors qu'il entre dans l'industrie cinématographique comme acteur et, en 1942, réalise son premier film "Le jour où l'amour revint", tellement imprégné de ses convictions socialistes qu'il sera censuré par le gouvernement. Après le drame de sa soeur vendue par son père à un riche protecteur, une nouvelle épreuve le frappe. Une de ses anciennes maîtresses le blesse d'un coup de couteau peu après son mariage, si bien que la femme comme victime, cumulant sur ses épaules toutes les épreuves du monde, deviendra l'un des thèmes récurrents de son oeuvre. Le courage des femmes, leur détermination et également leur violence vont illustrer nombre de ses productions dont "Cinq femmes autour de Utamaro" (1946), où l'on voit une femme jalouse s'attaquer à la rivale qui lui a pris son amant. Malheureusement, la plupart des opus de sa féconde période des années 1920 ont disparu mais on sait qu'il se passionna pour le plan-séquence et qu'il a usé le plus souvent comme dans "Les contes des chrysanthèmes tardifs" (1939), de longs travellings accompagnant la marche des personnages, figures de mise en scène qui rappellent la peinture sur rouleau japonaise (emaki), où la latéralité se substitue à la profondeur du champ. Mizoguchi a toujours privilégié la rigueur du cadre à une trop grande mobilité de la caméra.
Epris de littérature, le cinéaste s'est plu à adapter à l'écran les oeuvres des auteurs japonais comme Junichiro Tanizaki dans "Mademoiselle Oyu" (1951) ou Monzaemon Chikamatsu dans "Les amants crucifiés" (1054) et même Guy de Maupassant, un auteur français parmi ses préférés dont il adaptera "Boule de suif" devenu "Oyuki la vierge" en 1935. Par ailleurs, il posera un regard sans complaisance sur la bourgeoisie commerçante du XVIIe siècle, obsédée par l'argent et le sexe, ainsi ce thème apparaîtra-t-il dans l'une de ses oeuvres majeures "La vie d'Ohara, femme galante" en 1952. Après la guerre de 39/45, Muzoguchi va se consacrer à montrer le désastre des conditions de vie, ainsi dans "Femmes de la nuit" (1948) inspiré du néoréalisme rossellinien. Son souci de l'introspection va nourrir l'histoire de son temps et se manifestera par un esthétisme raffiné que ce soit dans les grandes fresques historiques comme "L'intendant Sansko" (1954) ou dans les drames plus intimes comme "La femme d'Osaka" ou "Cinq femmes autour d'Utamaro" (1948) qui restitue un peu de l'existence du célèbre peintre d'estampes.
Son actrice de prédilection sera Kimuyo Tanaka, capable de par sa complexion fragile et la détermination de son caractère, de tout jouer. On la découvrira tour à tour en jeune fille, en actrice de théâtre, en mère accablée par l'enlèvement de ses enfants, en vieille prostituée, riche incarnation de la femme confrontée en permanence à la lâcheté et à la trahison des hommes. Ce portrait de la femme trouvera son plein accomplissement dans "La rue de la honte" (1956), le film le plus sombre du réalisateur où des prostituées, après avoir quitté leur maison close, préfèrent y retourner, découragées par la condition féminine dans la société. Chez Mizoguchi, le quotidien frustrant et désespérant n'en reste pas moins transfiguré par l'intensité des sentiments qui s'allie à une quête sacrificielle du sublime. Rares sont ceux qui auront porté à ce degré d'élévation leur exigence de vérité et de beauté. Mizoguchi meurt à Tokyo le 24 août 1956 à l'âge de 58 ans. Il reste, pour la plupart des cinéphiles, le plus grand des cinéastes japonais.
Pour consulter les articles des films de Mizoguchi que j'ai critiqués, cliquer sur leurs titres :
LES CONTES DE LA LUNE VAGUE APRES LA PLUIE de MIZOGUCHI
LA VIE D'OHARU, FEMME GALANTE de KENJI MIZOGUCHI