Adèle H est l'histoire romancée de la fille cadette de Victor Hugo qui, courtisée par l'officier britannique Pinson (Bruce Robinson), va le suivre jusqu'à Halifax et le harceler de son amour exalté dans ses diverses affectations. La première idée de Truffaut était de faire un film sur l'amour à sens unique, total, absolu, définitif, qu'une jeune femme peut éprouver pour un homme qui ne l'aime pas. La seconde était de faire une oeuvre avec le maximum de violence intérieure, de violence émotionnelle s'entend. Ces deux intentions seront rendues possibles grâce au jeu exceptionnel d'Isabelle Adjani dans le rôle d'Adèle et de la musique tout aussi persuasive de Maurice Jaubert, bien que cette dernière ait été composée bien avant les premières prises de vue. Maurice Jaubert, connu des cinéphiles pour ses illustrations musicales des films de Vigo et de Carné, devait mourir en 1940 et fut, par conséquent, le compositeur posthume de 4 films de Truffaut : L'histoire d'Adèle H. L'argent de poche, L'homme qui aimait les femmes et La chambre verte. Si bien que le film ne fut pas seulement écrit à partir d'un canevas littéraire inspiré du journal d'Adèle Hugo mais du schéma musical qui prend sa source dans la bande-son de la Suite française de Jaubert, rédigée entre 1932 et 1933. On comprend aisément pourquoi François Truffaut a pu être séduit par cette musique. En dehors de la violence émotionnelle de la dernière partie du film, le saxophone assourdi fait entendre la voix d'un instrument qui correspond absolument aux vibrations du coeur déchiré d'Adèle et devient en quelque sorte sa voix, l'expression de sa solitude et de son absolue et passionnée dévotion pour le lieutenant français. Car cet amour non partagé est devenu obsessionnel au point que la jeune femme se ment à elle-même, qu'elle vit une sorte de dédoublement permanent, une quête folle qui, après l'avoir menée à Halifax, la conduira jusqu'à l'île de la Barbade avant qu'elle ne passe les quarante années restantes de son existence dans un asile d'aliénés (comme Camille Claudel qu'Adjani interprétera également à l'écran). Musicalement le film recrée les ambiances des années 30, de ces harmonies auditives qui, à l'époque, marquèrent profondément Truffaut. Selon Adjani, ce qui intéressait presque exclusivement le cinéaste, était la peinture d'un caractère solitaire. Avec un certain nombre d'autres thèmes récurrents de sa déjà importante filmographie, dont celui d'écrire une fiction à partir de la réalité. Pour lui, Adèle Hugo se considérait comme orpheline et rejetée par les autres parce que son père avait toujours préféré Léopoldine dont la mort l'avait brisé. Truffaut a très bien su faire le lien entre la noyade de Léopoldine et la symbolique de l'eau qui marque le film dès la première scène où l'on assiste à l'arrivée d'Adèle à Halifax à bord d'un navire et la dernière qui se clôt sur un plan où elle est à nouveau debout devant les vagues. Adèle est ainsi associée à l'eau à travers ses cauchemars répétés. Il apparaît que la mort de sa soeur a intronisé son propre drame d'avoir été cette autre fille que son père n'a pas su ou voulu aimer.
La vie d'Adèle sera donc un naufrage annoncé, dominé par les bruns et les teintes assourdies et par la musique qui amplifie ce qu'il y a de sombre dans cette passion sans issue et ce désir inassouvi. Les plans et le cadrage sont eux aussi très soignés. Par ailleurs, le film étant consigné sur le visage d'Adjani, il fallait - écrira Nestor Almandros - un décor presque monochrome. Au cinéma, nous voyons les images dans l'obscurité, notre vision est de ce fait intensifiée. Si l'on souhaite obtenir des tonalités vraies, il faut baisser les tons du décor et des costumes. Ici la composition et l'éclairage rappellent le XIXe siècle des lettres et des journaux intimes. Et que fait Adèle H sinon de consigner d'une plume fiévreuse ses souvenirs comme pour nous convaincre que sa passion malheureuse est d'abord une quête intérieure romantique.
Le succès d'Adèle H aux Etats-Unis fut immense et le film couronné de nombreux prix. Quant à Adjani, elle est dans ce rôle absolument bouleversante. Son metteur en scène disait d'elle : " Je ne peux la comparer à personne et, à cause de cela, elle me maintient dans une grande tension, car elle me demande beaucoup d'explications qui m'obligent à m'interroger moi-même sur la fonction d'acteur ". Ce qui me donne le courage de faire des films - disait-il encore - c'est qu'au cinéma on ne se sent pas solitaire. Le drame des peintres abstraits et des musiciens actuels, c'est la solitude. Mais quand je tourne un film et que j'ai le trac, je sens que les acteurs sont plus fragiles que moi, je sens qu'ils sont perdus dès le premier jour de tournage et qu'ils me font confiance. Je sais aussi que je peux les aider à progresser dans leur carrière, que nous allons faire un travail très concret qui va peut-être nous réchauffer le coeur".
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FRANCOIS TRUFFAUT OU LE CINEMA AU COEUR
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