Contrairement à la plupart des cinéastes de la Nouvelle Vague, les Godard, Truffaut, Rohmer, Chabrol, Jacques Demy ne venait pas de la critique, ni de la prestigieuse école de l'IDHEC. Lorsqu'il acheta sa première caméra à quinze ans, il ne connaissait strictement rien au cinéma. C'était un novice qui allait apprendre le métier sur le tas, mais avait quelque chose à dire et entendait le dire à sa façon. Après quelques courts métrages où l'on sent l'influence de Cocteau et de Max Ophuls, il se lance en 1961 dans son premier long métrage Lola qui, malgré ses défauts et ses maladresses, retint l'attention des cinéphiles. Ceux-ci reconnaissaient au film le mérite de secréter un charme indiscutable, de s'évader joliment dans les sentiers de la poésie, une poésie familière qui évoquait les vieilles cartes postales découvertes un peu jaunies dans les greniers. On ne pouvait pas non plus rester insensible aux chassés croisés amoureux entre la petite Cécile et le matelot Frankie, entre Roland et Lola qui guette le retour de son grand amour Michel.
Déjà étaient réunis, à l'aube d'une carrière qui saurait marquer son époque, les ingrédients que l'on apprécie dans Les parapluies de Cherbourg et dans Les demoiselles de Rochefort : les danseuses et les marins, les villes portuaires et la musique. S'il sut évoluer, par la suite, avec plus ou moins de succès, Demy fut, grâce à ces deux films encensés par la presse américaine, flattée des allusions que le cinéaste ne manquait pas d'établir avec les célèbres comédies musicales hollywoodiennes, l'un des rares producteurs français invité à aller travailler Outre-Atlantique. Le résultat fut Model Shop, où il retrouvait Anouk Aimée, mais qui, malgré ses atouts, ne reçut pas l'aval du public, si bien que Demy regagna en hâte le pays de ses ancêtres pour y poursuivre une carrière plutôt heureuse, avec des réalisations ravissantes comme Peau d'âne et Le joueur de flûte.
Mais revenons à Lola où quatre personnages s'apprêtent à vivre un moment décisif. Ce sont Lola, mi danseuse, mi entraîneuse au cabaret l'Eldorado, qui a eu autrefois un enfant d'un homme qu'elle n'a pu oublier et dont elle attend le retour depuis sept ans ; Roland, son ami d'enfance, qui traîne ses rêves et son mal de vivre et aspire à embarquer sur un navire jusqu'à ce que, revoyant Lola, il s'éprenne d'elle à nouveau ; Frankie, le matelot de passage, qui trouble Lola parce qu'il lui rappelle Michel mais pose, quant à lui, ses regards sur la jeune Cécile ; enfin Michel, qui a focalisé la nostalgie de Lola et qui revient à Nantes pour l'enlever avec son fils à bord, non d'un navire, mais d'une somptueuse voiture, tandis que Roland s'embarque définitivement, emportant avec lui ses rêves saccagés.
L'histoire est mince, assez peu crédible, et pouvait sombrer dans le mélo, si elle n'était traitée, après des préliminaires quelque peu laborieux, avec une fraîcheur, un naturel, une spontanéité, une grâce qui lui confèrent une authentique saveur. Tout d'abord, il y a l'ode à la ville de Nantes, filmée avec amour par Demy, qui y vécut sa jeunesse et sait magnifier ses quais encombrés de navires, son passage Pommeraye qui inspira à Pierre de Mandiargues une nouvelle fantastique, ses rues auxquelles la pluie prête une luisance féerique. Ainsi se déploie un univers fait de rêves et de nostalgie, dont le mélange est suffisamment bien dosé pour que l'on croise sans déplaisir les filles de bar et les matelots dans l'épaisse fumée de la nuit malgré cette bluette décidément peu convaincante.
Il est vrai aussi que le film bénéficie de la musique de Michel Legrand, qui débutait lui aussi, et dont on sait le duo réussi qu'il formât avec Demy. Quant à l'interprétation, elle ne se montre pas à la hauteur de nos espérances avec une Anouk Aimée trop minaudeuse pour nous toucher et dépourvue du charme qui frappait dans Le rideau cramoisi et fera merveille en 1966 dans Un homme et une femme ; oui, l'imagerie opère et me parait être le seul mérite du film, de même que les clairs-obscurs de Coutard, le lyrisme de l'hommage à Lola Montès et la passion saisie sur fond de souvenirs et de ralentis, monde qui s'évanouit doucement avec des larmes de pluie.
Un film qui mérite d'être revu et marque une date dans le cinéma de la Nouvelle Vague.
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