Luchino Visconti aura marqué le 7e Art d'un esthétisme flamboyant, contribuant ainsi à la stylisation de la réalité et à la mise en opéra de l'histoire. De sa famille, l'une des plus nobles d'Italie, Luchino Visconti hérite d'un raffinement inouï, d'une vaste culture et de l'amour du théâtre. Le cinéma l'attire également et il décide de faire carrière dans la mise en scène. Son goût très sûr mais ses idées progressistes dans l'Italie fasciste de Mussolini l'incitent à se rendre en France, où il travaillera avec Jean Renoir dans "Une partie de campagne" en 1936. La guerre interrompt leur collaboration qui devait se poursuivre en Italie avec "Tosca" et figurait déjà l'attraction qu'il éprouvera toujours pour l'art lyrique et les récits raffinés. Son oeuvre cinématographique s'inspire souvent d'éléments et de faits puisés dans un temps historique situé de préférence entre 1850 et 1950, qu'il déploie à la manière ample d'un opéra, parce que son intuition a très tôt fondé son art de telle sorte que la perfection atteigne sa somptueuse plénitude. C'est l'expression d'une exigence qui ne laissera au hasard aucun détail, aucune nuance, aucun des sentiments les plus subtils de l'âme humaine. "Ossessione" (Les amants diaboliques), en 1943, donne le coup d'envoi de ce que sera le néo-réalisme et se révèle être aussi sombre et pessimiste que certaines oeuvres de De Sica, à la différence que Visconti se refusera toujours au didactisme et à tout sentimentalisme démagogique.
Au lendemain de la guerre "La terre tremble" (1948), qui a le don d'exaspérer le monde de la finance, forme avec "Ossessione" et "Rocco et ses frères" une trilogie imprévue qui brosse un portrait social de l'Italie des pauvres, de ses violences et de ses migrations illusoires, mais l'oeil que pose le réalisateur sur la civilisation et les hommes reste avant tout un regard poétique, au sens fort du terme. Dans la fable merveilleusement mélodramatique de "Bellissima" (1951), où Anna Magnani se révèle être plus que jamais telle qu'en elle-même, l'auteur ironise sur l'envers de l'illusion, sur le temps du rêve, mais veille à ne pas s'attendrir exagérément sur la crédulité populaire. Visconti sait ne retenir que ce qui est le plus significatif dans la narration et entend l'épurer de toute complaisance, car seul lui importe ce qui suggère et dénonce. Le réalisateur sait trop que la réalité ne se charge de sens qu'en fonction de l'impact de l'écriture et de l'unité interne de l'oeuvre. Ainsi des intérieurs rustiques de "Rocco et ses frères" aux somptueuses natures mortes de "Senso" ou du "Guépard", il met une scrupuleuse attention, aussi bien historique que sociale et psychologique, aux gestes, aux objets, aux toilettes, afin de recréer dans sa globalité le milieu et le climat de l'époque et lui restituer son authenticité et sa vraisemblance, car la vérité de ces recréations en constitue le label, l'ombre de l'échec et celle de la mort s'étendant peu à peu sur la vie. C'est à cause de ce regard tout ensemble critique et poétique que le concept de nostalgie existe et établit un lien, qui coure sans se rompre jamais du premier au dernier de ses films, que ce soit "Le Guépard", "Sandra", "Mort à Venise", " Ludwig", "Violence et passion", Visconti contribuant ainsi à la stylisation de la réalité, à la mise en opéra de l'histoire. Il y a de sa part, et en contre-champ, un moralisme stendhalien que la fréquentation de l'histoire n'incline guère à l'optimisme et un goût identique, chez le metteur en scène de "Mort à Venise" et l'auteur de "La Chartreuse de Parme", pour les passions sans retenue.
Chacun de ses sujets exalte un peu plus, un peu mieux son exceptionnel génie plastique, son esthétisme flamboyant qui évolueront des gris d"'Ossessione", des noirs et blancs de "La terre tremble", à l'impressionnisme raffiné de "Mort à Venise" ou au romantisme pictural de "Ludwig". Mais il arrive que le metteur en scène cède à la parodie et que le souci de vérité - ce sera le cas dans "Les damnés" - l'incite à peindre d'un pinceau acéré certains portraits de névropathes et qu'il mette ses pas dans ceux de Dante pour mieux nous plonger dans l'enfer des damnations humaines. Dans ces derniers opus "Violence et passion" (1974) et "L'innocent" (1976), l'inspiration s'embrume d'une douleur à peine voilée, s'infléchit dans une contemplation amère et pessimiste de l'art et de l'histoire qui rejoint la prémonition de la mort imminente, alors que le sublime amour, interdit, impossible, inavouable, fait peser sur les fragments de vie l'ombre opaque de son échec. Un combat avec le temps, et contre lui, investit l'oeuvre et nous la restitue en un oratorio pathétique, d'où ne sont exemptes ni la faiblesse, ni la grandeur.
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