Mais qui a tué Harry ? est une comédie sans prétention, très amusante, et assez inhabituelle chez Hitchcock Le film, sorti comme sur la pointe des pieds, dans un modeste cinéma des Champs-Elysées, ne fit pas moins salle comble pendant plus de six mois. Ce long métrage, que le metteur en scène avait tourné très librement, sur un sujet qu'il avait choisi, n'avait rencontré, une fois achevé, que bien peu d'enthousiasme de la part de ceux qui étaient en charge de l'exploiter. Adapté fidèlement d'un roman anglais de Jack Trevor Story plein d'humour, il répondait cependant au désir du maître de travailler dans le contraste, d'aller à contre-courant de la tradition et des clichés. " C'est comme si je montrais un assassinat au bord d'un ruisseau qui chante et que je répandais une goutte de sang dans son eau limpide ", disait-il. De ces contrastes surgissent un contrepoint et même une soudaine élévation des choses ordinaires de la vie. Effectivement, le metteur en scène filme des événements qui pourraient devenir sordides, en faisant en sorte que ce ne soit jamais ni laid, ni macabre. A la fin, un milliardaire donne à chaque personnage l'occasion de demander une chose, un cadeau qui lui sera offert comme on exauce un voeu. Et on ne sait pas ce qu'a demandé le couple formé au cours de cette intrigue entre le peintre abstrait et Jennifer ; ce n'est qu'à la tout dernière minute que l'on apprend qu'il souhaite un lit à deux personnes. L'humour procède ainsi d'un seul mécanisme, une sorte de flegme exagéré : on parle du cadavre comme d'un objet quelque peu encombrant...Mais lisez plutôt l'histoire : Dans le Vermontois, en automne, un petit garçon, Arnie, découvre le cadavre d'un homme, après que l'on ait entendu trois détonations. Si bien qu'un vieux capitaine, qui chassait dans les parages, se croit l'auteur de ce regrettable accident. Il enterre, puis déterre et transporte plusieurs fois le cadavre, sur l'identité duquel s'interrogent avec perplexité une vieille fille, un médecin myope, un peintre abstrait, un vagabond. Seule Jennifer identifie son mari d'une seule nuit, qu'elle a frappé d'un coup de bouteille. Les divers personnages de cette galerie d'excentriques ont donc une bonne raison de se soupçonner les uns, les autres, et ne s'en privent pas ; tandis que nous rions énormément de la verve, de la malice roborative du maître qui étaient déjà très présentes dans les premiers films de sa période anglaise. On sait combien les Anglais eurent de la peine à lui pardonner d'avoir quitté les studios londoniens pour s'installer à Hollywood.
Finalement nous saurons qu'Harry est mort de sa bonne mort comme tout un chacun, et que cette petite aventure n'a eu d'autre mérite que de former deux nouveaux couples - à certains malheur est bon - celui de Jennifer, la concrète, avec le peintre abstrait, et celui de Miss Graveley et du capitaine Miles. Hitchcock avait proposé le rôle de Jennifer à Grace Kelly, mais l'actrice, déjà sous contrat avec la Metro Goldwyn Mayer, avait dû décliner l'offre, et c'est sans doute préférable, tant il semble évident que Shirley Mac Laine - dont ce sont là les débuts - correspond idéalement au personnage faussement naïf, un brin impertinent et sans gêne. Selon moi, Grace Kelly était trop classique, trop raffinée pour ce rôle. D'ailleurs le film ouvrit, devant les pas de Shirley Mac Laine, une carrière exemplaire. Avec sa moue mutine, sa frimousse ronde, ses yeux rieurs, elle est inattendue, drôle, naturelle et charmante. Les autres rôles sont remarquablement interprétés, et on ne sait lequel de ces originaux est le plus cocasse et nous amuse le plus. Est-ce Jerry Mathers en vieille fille évaporée, Edmund Gwenn en capitaine Wiles persuadé qu'il a tiré Harry comme un lapin, John Forsythe en peintre qui n'a de cesse de justifier ses créations, mais peu importe ! ce film est une comédie qui nous montre à quel point les gens prennent un certain plaisir à se faire peur, à se soupçonner mutuellement et à imaginer toujours davantage que ce qui est.
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ALFRED HITCHCOCK - UNE FILMOGRAPHIE DE L'ANXIETE
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