Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 10:15
MAURICE RONET, L'ETERNEL FEU FOLLET

                          

Durant toute sa vie, Maurice Ronet, acteur inclassable aura fait l'expérience de la mort. Ayant intériorisé dès son plus jeune âge la philosophie tragique et esthétique de Schopenhauer, au point de vouloir lui consacrer une étude, il traversa l'existence comme une épreuve du feu. Récemment deux ouvrages sont sortis qui relatent cette vie intense et trop brève : "Maurice Ronet, le splendide désenchanté" de José-Alain Fralon et un essai  biographique plus intimiste " Maurice Ronet, les vies du feu follet " de Jean-Pierre Montal qui cerne de près son être profond et sa vision du monde.  Appartenant, selon sa propre expression, à une génération sacrifiée, celle qui avait dix-huit ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale - il était né en 1927 - l'acteur rêvait néanmoins de grandeur éthique et d'aventure politique. Mais la réalité de l'époque ne correspondait pas à ses aspirations. A la guerre et à ses rudesses avait succédé une paix douce et émolliente dont les objectifs  s'avéraient chaque jour davantage ceux de la consommation et de la finance, d'où un mal de vivre engendré par un monde moderne partant à la dérive, en proie à un effrayant vide spirituel. A la mort de l'acteur, François Chalais rapportait dans un quotidien ces propos tenus par celui-ci : " Mon ambition est d'être quelqu'un, pas quelque chose... Pas commode. A mon âge, les hommes sont tous PDG ou anciens combattants. Quant à la jeunesse, elle ne sait plus que se réfugier dans la drogue ou dans le dynamisme à reculons. Je ne suis plus dans le coup. Et mes amis sont déjà morts."

 

Ce désespoir s'exprimait déjà dans "Ascenseur pour l'échafaud " de Louis Malle (1957), d'après un scénario de Roger Nimier. Le titre du film est évidemment une métaphore de l'existence et déjà d'une noirceur profonde qui atteindra son paroxysme dans "Le feu follet" (1963), du même metteur en scène d'après le roman de Pierre Drieu La Rochelle. Un pur chef-d'oeuvre qui se termine par le suicide du personnage principal. En Ronet, le cinéaste avait trouvé l'interprète idoine et l'acteur offrait dans cet opus une composition magistrale.  Ce rôle, à l'évidence le plus fort et le plus emblématique de sa personnalité, lui collera définitivement à la peau et il restera pour toujours, dans la mémoire des cinéphiles, ce feu follet magnifique et désenchanté. Maurice Ronet s'est d'ailleurs toujours senti solidaire des causes perdues, cultivant le sens de l'honneur et de la fidélité et lui-même fut toujours choisi pour des rôles où il trouve la mort et où son destin est sacrifié d'avance. Ce sera le cas dans "Plein soleil" et dans "La Piscine", l'un et l'autre aux côtés d'Alain Delon. " Dans mes compositions, c'est au moment où je commence à dire la vérité qu'on me bousille - soulignera-t-il. Ajoutant : "On punit toujours le héros que je représente, dans sa clairvoyance, son cynisme, sa lucidité. J'ai souvent incarné celui qui jette un défi à la morale, à la vie. Et ce personnage-là n'a pas sa place. Alors, il faut le flinguer." En 1973, Maurice Ronet part avec son ami l'écrivain et éditeur Dominique de Roux tourner un reportage pour la télévision sur la guerre menée par le Portugal au Mozambique. Appel de l'aventure, défense à contre-courant, pour l'honneur, d'un des derniers lambeaux d'empire européen en Afrique. Les deux hommes prennent des risques insensés et échappent de peu à la mort. La même année, Ronet porte à l'écran "Vers l'île des dragons", un documentaire allégorique sur les lézards géants du Komodo, en Indonésie : " C'est une chronique sur la terre, l'eau, le feu et sur ces monstres qui n'existent que là, qui sont nos ancêtres - expliquait-il alors. " Il s'agit d'animaux qui sont à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de nous-mêmes, et puis ils étaient là bien avant nous. C'est un peu le pèlerinage aux sources, ou un voyage en enfer, ou un film sur le début ou sur la fin du monde."

 

Trois ans plus tard, Maurice Ronet réalisera "Bartleby" (1976), un drame intimiste d'après la nouvelle éponyme d'Hermann Melville avec Michael Lonsdale et Maxence Mailfort. Il s'agit du récit d'un homme désespéré se conduisant comme un somnambule. Un mort en sursis, prostré dans une armure invisible, hermétique aux autres hommes, médiocres et parfois haineux à son endroit. Un seul se propose à l'aider, mais cela ne suffit pas. Un voyage au bout de la nuit que Ronet filme sous l'influence littéraire de Louis-Ferdinand Céline, une oeuvre déroutante et sans concession ou l'existence est envisagée sous son angle le plus tragique. Maurice Ronet est mort d'une cancer le 14 mars 1983, à l'âge de 55 ans, en homme de l'ancienne France et de la vieille Europe. Son projet de l'adaptation télévisée de "Semmelweis" de Céline ne verra pas le jour. Il nous reste heureusement ses films, tous d'une grande qualité, où son interprétation sonne toujours juste et où sa beauté grave et son regard noyé dans une indicible mélancolie ne cessent de nous émouvoir. Et puis, coup sur coup, ces deux livres qui évoquent sa vie d'homme totalement décalé d'avec son temps et illustrent, à nos yeux, l'éternel chevalier des causes perdues.

 

Pour consulter les articles consacrés à certains de ses films, cliquer sur leurs titres :

 

PLEIN SOLEIL de RENE CLEMENT         LA PISCINE de JACQUES DERAY

 

RETOUR A LA PAGE D'ACCUEIL

 

 

99743-maurice-ronet-le-splendide-desenchante.jpg  9782363710673FS

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

D
Bonsoir Armelle, je suis en pleine période "Maurice Ronet". C'est vrai que mourir à 55 ans, c'est terrible mais j'ai du mal à l'imaginer à 94 ans (âge qu'il aurait eu cette année). Je viens enfin de lire les les deux livres de Fralon et Montal qui m'ont donné envie de voir des films de Ronet que je ne connaissais pas comme Trois chambres à Manhattan ou Les grandes personnes. Merci pour cet article. Bonne soirée.
Répondre
D
Bonjour Armelle, merci pour cet article sur un acteur qui n'a pas eu forcément la carrière qu'il aurait mérité. Je l'ai revu tout récemment dans Mort d'un pourri face à Alain Delon. Il est parfait mais pour moi Ronet restera Raphaël ou le débauché. Bonne fin d'après-midi.
Répondre
E
J'ai aimé Maurice Ronet jeune fille parce qu'il était beau, et je ne voyais alors, je crois, dans les films en général, qu'une histoire. Je n'avais donc alors aucune conscience du jeu réel de cet acteur, ni du choix des rôles tenus. En tout cas pas une conscience consciente :). <br /> <br /> Mais j'ai revu souvent ascenseur pour l'échafaud, et il est intéressant de découvrir l'homme sous l'acteur,ce qui apporte un plus personnel (que peu d'acteurs ont... ils "jouent" et ne font que ça)
Répondre
A
Voilà bien un homme remarquable. Une carrière exemplaire sans jamais tomber dans la facilité. Il avait tout pour devenir ce que l'on nomme aujourd'hui et très facilement "une star". Il est resté un<br /> grand comédien. C'est beaucoup plus que toutes ces étoiles filantes qui ne marqueront pas nos mémoires.
Répondre
T
Un grand acteur en effet et tellement beau ! J'ai aimé tous les films que vous citez et j'ai toujours plaisir à le revoir. Mort trop jeune, il pouvait tout jouer et aurait certainement bien<br /> vieilli. Merci de cet article. je vais peut-être me procurer l'un des deux livres. Actuellement je termine le vôtre et je suis sous le charme de votre écriture.
Répondre

Présentation

  • : LA PLUME ET L'IMAGE
  • : Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
  • Contact

Profil

  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.

Texte Libre

Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


Charlie Chaplin

 

"Innover, c'est aller de l'avant sans abandonner le passé."

 

Stanley Kubrick

 

 

ET SI VOUS PREFEREZ L'EVASION PAR LES MOTS, LA LITTERATURE ET LES VOYAGES, RENDEZ-VOUS SUR MON AUTRE BLOG :  INTERLIGNE

 

poesie-est-lendroit-silence-michel-camus-L-1 

 

Les derniers films vus et critiqués : 
 
  yves-saint-laurent-le-film-de-jalil-lespert (1) PHILOMENA UK POSTER STEVE COOGAN JUDI DENCH (1) un-max-boublil-pret-a-tout-dans-la-comedie-romantique-de-ni

Mes coups de coeur    

 

4-e-toiles


affiche-I-Wish-225x300

   

 

The-Artist-MIchel-Hazanavicius

 

Million Dollar Baby French front 

 

5-etoiles

 

critique-la-grande-illusion-renoir4

 

claudiaotguepard 

 

affiche-pouses-et-concubines 

 

 

MES FESTIVALS

 


12e-festival-film-asiatique-deauville-L-1

 

 13e-FFA-20111

 

deauville-copie-1 


15-festival-du-film-asiatique-de-deauville

 

 

Recherche