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21 mai 2006 7 21 /05 /mai /2006 11:01
MORT A VENISE de LUCHINO VISCONTI

 

Descendant d'une vieille famille de Lombardie, le comte Luchino Visconti naît à Milan le 2 novembre 1906 et s'intéresse très tôt au théâtre et à l'opéra, au point d'envisager une carrière de musicien. Sa rencontre à Paris avec Jean Renoir le familiarise avec les techniques et les possibilités qu'offre le cinéma à ses exigences d'esthète et à son goût prononcé pour l'art. Sympathisant communiste, il s'engage dans la résistance, est arrêté par la gestapo et échappera de peu au peloton d'exécution. Après la guerre, il réalise un documentaire de propagande communiste Jour de colère, puis revient au théâtre et met en scène des oeuvres de Cocteau et de Sartre. Ce n'est que dans les années 50 qu'il renoue avec la caméra et tourne avec Alida Valli  son premier chef-d'oeuvre " Senso". Entre deux tournages, il travaille pour la Scala de Milan et met en scène des Opéras chantés par les plus grandes voix de l'époque, dont celle de La Callas. Au cinéma, il ne cesse plus de s'imposer avec des films comme Rocco et ses frères (1960),  Le Guépard  (1962), Sandra (1965),  Les Damnés (1969), tous couronnés par de nombreux prix. Après Mort à Venise en 1971, il tournera encore  Le Crépuscule des dieux  (1972), une biographie de Louis II de Bavière avec Helmut Berger et Romy Schneider et  Violence et passion  (1974) avec Burt Lancaster et Silvana Mangano. Il s'éteint à Rome le 17 mars 1976.                            

                                                                               

Mort à Venise, film lumineux et complexe est, sans nul doute, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du 7ème Art. Inspiré d'un roman de l'écrivain Thomas Mann, lui-même influencé par la philosophie empreinte d'un pessimisme qui s'enivre de la fascination de la mort et du néant de Schopenhauer, il est une longue méditation sur l'ambiguïté de l'artiste confronté à son art et sur la mort, envisagée comme une force de séduction et d'immortalité. Les vers de Platon : " Celui dont les yeux ont vu la Beauté / A la mort dès lors est prédestiné " - sont placés en exergue dans le film, afin de souligner l'importance de l'attrait qu'exerce la beauté physique sur le héros vieillissant Gustav von Aschenback, saisi à Venise d'une soudaine et fatale passion pour un gracieux adolescent, prénommé Tadzio. Le musicien vit une sorte de révélation lors de sa rencontre avec la splendeur presque irréelle de ce jeune polonais. Elle lui fait prendre conscience que la beauté naît d'une apparition impromptue, non de la cogitation présomptueuse et laborieuse de l'artiste. La création et la contemplation artistiques élèvent l'individu au-dessus de lui-même et le font participer à la vie universelle, seule authentique.  "La beauté et la grâce de la figure humaine, une fois associées, sont la performance la plus haute de l'art plastique". Si la beauté rêvée peut être dépassée par la beauté réelle, la mort devient inéluctable  pour l'artiste, convaincu de sa défaite. Ainsi la dernière scène du film, où le vieil homme, assis, regarde l'enfant qui s'éloigne à la rencontre de la mer et semble l'entraîner vers l'ultime voyage. Tout est suggéré dans ces non-dits, rythmés de silences, ceux mêmes de la contemplation, de l'extase caressé par une caméra devenue regard, célébrant  la perfection esthétique du jeune éphèbe. Le producteur avait suggéré à Visconti que la garçon soit remplacé par une nymphette, pensant que celle-ci aurait l'avantage de rappeler la Lolita de Nabokov, mais Visconti s'y refusa avec raison, donnant à son film une dimension plus contemplative d'une beauté intemporelle et sublimée, celle d'un amour interdit qui conduit inéluctablement à la mort, puisque rien n'est plus possible en ce monde. La vie ne vient-elle pas de donner le maximum d'elle-même : cette perfection fugitive que le temps ne pourra pas défaire, corrompre, détruire. Il faut mourir de manière à ce que l'image demeure inviolée dans sa gratuité, comme si le désir immense s'était suspendu dans sa propre vision.

 

 

L'histoire du film est centrée sur les états d'âme et les dilemmes intérieurs éprouvés par le héros et rendus plus intenses et crédibles par le recours aux souvenirs et aux réminiscences. Un musicien (inspiré de Gustav Malher dont la Cinquième Symphonie accompagne le film de façon grandiose) arrive à Venise et croise à l'hôtel des bains, où il est descendu, un jeune garçon d'une surprenante beauté qui le subjugue immédiatement. Leur relation se réduira à un jeu de regard, mais n'en troublera pas moins le musicien, qui voit subitement toutes ses convictions remises en question. Il tente de fuir, puis décide de rester, de prolonger son séjour, alors qu'une épidémie de choléra s'annonce et que la ville elle-même parait s'engloutir dans les eaux, ainsi qu'un navire en perdition. Tout est subtilement évoqué de cette lente érosion à laquelle le temps condamne les êtres et les choses, alors que la beauté traverse cette réalité sordide, pareille à un ange exterminateur. On voit dans le gondolier un passeur d'âme, dans le visage maquillé de poudre blanche d'Aschenback son fantôme dérisoire, dans les calli désertées et putrides une cité qui s'abandonne à l'oubli, dans l'hôtel, que les estivants s'apprêtent à quitter, un monde en train de disparaître, mort annoncée d'une époque que la guerre va bientôt déchirer et ouvrir aux lendemains inquiétants du XXe siècle. L'atmosphère rappelle celle que Marcel Proust nous décrit dans sa  Recherche. D'ailleurs le cinéaste ne cachait pas son admiration pour l'écrivain français, dont il aspirait à porter l'oeuvre à l'écran. Lui seul aurait été en mesure d'adapter cette oeuvre difficile, parce que sa sensibilité, sa notion du temps, son esthétisme étaient proches de ceux de l'auteur du Temps Retrouvé. A l'urgence temporelle correspondait, chez l'un et chez l'autre, un isolement toujours plus grand, la fascination du désir qui ne peut être satisfait, l'encerclement dans des lieux que seule l'imagination nous permet de franchir. Le recours aux zooms, que l'on a reproché au cinéaste d'user à l'excès, est une façon de défier le temps, de le remonter à volonté, de jouer de la mémoire et du souvenir, de refuser à l'action d'être prisonnière de la durée. Le seul enfermement du film est celui du désir qui clôt la vie, lui donne sens et l'ouvre sur un horizon plus vaste : celui d'une invitation au voyage sur les eaux, lieu de transition par excellence. Alors que, par ailleurs, on assiste à la lente agonie des choses dans une ville qui a perdu jusqu'à ses reflets, semble gagnée par la porosité, les moisissures, les putrescences d'une épidémie rampante. Le génie de Visconti, dont l'oeuvre figure au plus haut du palmarès cinématographique, est d'avoir su trouver le langage approprié pour exprimer la beauté et les sentiments ineffables qu'elle inspire, et,  par l'image et le son magistralement utilisés, d'évoquer l'angoisse, la mélancolie, le désir jamais comblé. Je crois que ce film est celui qui m'a le plus bouleversée, car il est l'oeuvre d'une vie, celle qui surpasse son auteur et  l'ouvre à l'immortalité des artistes de génie.

 


Pour lire l'article consacré à Luchino Visconti, cliquer sur son titre :  

 

LUCHINO VISCONTI OU LA TRAVERSEE DU MIROIR          

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA EUROPEEN, dont Senso, Le guépard et Ludwig ou le crépuscule des dieux, cliquer sur le lien ci-dessous : 

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN  
 

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MORT A VENISE de LUCHINO VISCONTI
MORT A VENISE de LUCHINO VISCONTI
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commentaires

P
Bonjour, vous avez très bien parlé d'un de mes cinéastes favoris et d'un de mes films cultes -si pas mon film culte... Merci ! J'ai visité Venise avant de voir ce film (et de lire les deux<br /> nouvelles de Thomas Mann, la mort à Venise et "Tristan" (je crois) mais quand je suis retournée à Venise longtemps après, très longtemps, je ne l'ai plus du tout vue de la même façon...
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E
J'ai vu ce film quand il est sorti, bien trop jeune alors pour bien l'apprécier en dehors de sa valeur esthétique. Alors, depuis ce nouvel éclairage... à revoir certainement pour le découvrir!
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A
Merci Armelle pour ce commentaire.<br /> <br /> Replongé dans les comédies musicales, Cyd Charisse reste pour moi une vraie et grande légende.<br /> <br /> Quant au Grand Luchino Visconti ... je ne sais plus. <br /> Je viens de regarder pour ... la énième fois "Le Guépard". Grand choc renouvelé à chaque fois.<br /> Revus aussi "Mort à Venise" et "Senso" ... et une fois encore, j'ai été bouleversé.<br /> Donc, en ce qui me concerne, je suis tout à fait incapable de choisir lequel de ses films me touche le plus. Je les redécouvre, tous, à chaque fois ! Avec un profond plaisir et une grande émotion.<br /> <br /> Petit avis personnel ... j'ai été totalement déçu par le dernier Tavernier. <br /> Rarement des acteurs auront déployé autant de "non talent" pour tuer une histoire et des dialogues "selon Madame de Lafayette". Mélanie Thierry et Grégoire Leprince Ringuet, surtout.<br /> J'aurais mieux fait de rester sur la lecture de la nouvelle et oublier, pour une fois, le cinéma. Mais ce n'est qu'un avis personnel ...<br /> Bonne journée.<br /> Alain
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M
Tout d'abord félicitations pour ce blog, très intéressant, et toujours bien écrit, agréable à lire !<br /> Je m'arrêtes sur cette article, car j'ai vu ce film il y a peu, et j'ai vraiment était dans un premier temps dubitatif, quant à sa lenteur, avant de comprendre qu'elle est essentielle, et Visconti use d'une symbolique absolument géniale et subtile.<br /> <br /> De plus la réflexion sur l'art entre les deux amis, et vraiment intéressante, est-il le fruit d'un travail, ou du génie, du don ?<br /> <br /> Un grand film à n'en pas douter.
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T
Vous nous gâtez. Comme vous, je trouve ce film magnifique et j'ai vraiment pris plaisir à écouter l'adagio de Malher avec le diaporama de photos sur Venise. Un bel instant de beauté.
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T
De la forme !Un film anti-narratif par excellence, variation sur le temps, la beauté et la condition de l'artiste. Filmé pianissimo par le maître italien, relevant plus de la tradition de la peinture que du cinéma et puis ...l'adagio de Malher qui enveloppe de sa mélancolie la divine cité des Doges.
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D
"Must" à voir une fois dans sa viePour la beauté du cadre, de la musique (à l'adagio de la 5ème symphonie de G. Mahler !), des acteurs (Bjorn Andresen et Silvana Mangano). Cette adaptation d'une nouvelle de Thomas Mann est une merveille qui avait bien mérité le prix du 25ème anniversaire de Cannes en 1971. Ce sont des films comme on ne sait plus en faire et qu'on ne pourra plus faire.
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K
Bien vuEffectivement je n'avais jamais fait le rapprochement mais il y a un certain aspect proustien dans ce magnifique film de Visconti.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


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