L'oeil a plus de ressource qu'on ne le croit. Non seulement il épie, il surprend, il caresse, il photographie, mais il accommode sa vision selon ce qui l'arrange et ce qu'il désire. Dans Mortelle Randonnée de Claude Miller (1982), l'Oeil (interprété par Michel Serrault), sobriquet donné à un détective privé, se lance à la poursuite d'une meurtrière (Isabelle Adjani) qu'il croit être sa fille, perdue de vue depuis vingt ans, à la suite de son divorce, et dont il n'a conservé qu'une petite photo d'écolière. Après l'avoir harcelée, il va tenter de la protéger, éliminant ceux qui l'approchent, principalement l'aveugle (Sami Frey) qui souhaite l'épouser. Catherine, tel est le nom de la jeune meurtrière qui assassine ses amants en leur chantant " La Paloma", va tenter de tuer l'Oeil afin de s'en délivrer, mais celui-ci a recours à un leurre et Catherine va réaliser trop tard qu'elle est découverte et, prise de panique, se jeter avec sa voiture du haut d'un parking. Ce n'est que plus tard que l'Oeil apprendra que sa fille - qui s'appelait Marie - est morte depuis longtemps. Le thème de l'oeil abusé, aveuglé, structure l'oeuvre de Miller. Il aime comme dans L'Effrontée (1985), La Petite Voleuse (1988), L'Accompagnatrice (1992) broder des variations sur la fascination : généralement celle d'une adolescente subjuguée par son alter ego qui est, selon les circonstances, une pianiste, une chanteuse, une star, et qu'un regard a suffi à parer de toutes les qualités dont la jeune personne se croit dépourvue. Sur une intrigue, tirée d'un roman de Marc Behm, Jacques et Michel Audiard ont bâti un scénario solide et élaboré un thriller envoûtant qui, mal reçu à sa sortie, fut vite réhabilité et est considéré aujourd'hui comme l'une des meilleures réalisations de Miller, ne serait-ce que pour l'interprétation des acteurs tous excellents et le message proposé par ce polar intelligent d'envisager les choses autrement qu'elles ne sont.
Dans le film, l'unique personnage qui soit épris de celle que l'Oeil s'obstine à prendre pour sa fille Marie, est aveugle. Son amour ne doit donc rien à la vision de son objet et tout à l'intuition de ses qualités secrètes qu'il est le seul à percevoir. Jaloux et possessif, l'Oeil éliminera ce rival, mû par la logique de son propre aveuglement et poussera Catherine, qui comprend qu'elle est irrémédiablement traquée, à se réfugier dans le suicide. Ainsi la passion est-elle aussi meurtrière qu'aveugle ! Déjà dans Dites-lui que je l'aime (1977), un amoureux transi tuait celle qu'il aimait après l'avoir revêtue de la robe de mariée qu'il espérait lui voir porter. De film en film, Miller invite le spectateur à ne pas suivre, ni subir, le regard de ses héros, à ne pas être manipulé à son insu et à refuser le regard hâtif des premières impressions, lui suggérant d'avoir recours à son discernement pour se forger une opinion personnelle. Il cherche, en quelque sorte, à réhabiliter le regard intérieur. C'est sans doute dans le rôle de ce détective minable, malheureux et tourmenté, en quête de son enfant perdu, que Michel Serrault a trouvé son plus bel emploi, alors qu'Isabelle Adjani, en icône vénéneuse et en tueuse psychotique, nous surprend par son jeu aux multiples facettes et son personnages aux multiples travestissements. Elle est étonnante au côté d'un Sami Frey égal à lui-même et d'une distribution à tous égards remarquable qui réunit Geneviève Page, Stéphane Audran, Macha Méryl et Guy Marchand.
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