Ce yacht appartient à un peintre hollandais que nous découvrons, au tout début du film, en train de peindre un tableau consacré à l'irréelle Pandore, alors qu'une femme s'approche à la nage et débarque à son bord. Curieusement, cette femme, Pandora Reynolds, ressemble à la mythique héroïne et va connaître un destin assez semblable au sien. Pour elle, des hommes vont sacrifier leur vie : le poète Reggie Demarest s'empoisonnera lorsqu'elle se refusera à lui ; le pilote Stephen Cameron renoncera à la course automobile et ira jusqu'à précipiter sa voiture du haut d'une falaise et le matador Juan Montalvo, après avoir poignardé son rival le peintre Hendrick Van Der Zee, mourra dans l'arène. Alors que la tempête se lève, Pandora comprenant que le peintre, dont elle s'était éprise et qui vient d'être assassiné par sa faute, se croyait chargé du destin du Hollandais volant, condamné à errer, se sacrifiera à son tour et le rejoindra dans la mort, afin qu'il puisse goûter au repos éternel.
" Percer les mystères d'une âme est aussi vain que de tenter de vider l'océan avec une coupe " - dit Geoffrey Fielding lorsque les pêcheurs remontent les corps des deux amants. Ainsi Pandora, admirablement interprétée par la splendide Ava Gardner, fascine-t-elle au point de détruire ceux qui ont le bonheur d'abord, puis très vite le malheur de croiser sa route, selon le mythe antique qui disait que malgré sa belle apparence, cette déesse était à l'origine de bien des maux... "Quand nous voyons pour la première fois le Hollandais volant, écrivait le cinéaste, il est occupé à peindre le portrait d'une femme qu'il n'a jamais vue. Voilà un aspect purement surréaliste de ce personnage. Il était donc naturel pour moi d'essayer de faire un film délibérément surréaliste. Ce désir prit forme pour Pandora. L'habitude qu'avaient les surréalistes de juxtaposer des images anciennes et modernes, qui est particulièrement remarquable dans l'oeuvre de Chirico et de Paul Delvaux, m'a surtout troublé. J'ai trouvé dans le personnage du Hollandais volant, qui avait été condamné à vivre pendant plusieurs siècles, un symbole de cette juxtaposition des époques."
Que l'intrigue, située en 1930, ait son équivalence avec un drame qui se passait, selon la légende, au XVIIe siècle trouve ainsi sa justification. Hendrick Van Der Zee, campé par un James Mason très convaincant dans le rôle de l'artiste en proie à un dilemme intérieur et en quête d'un amour impossible, ajoute sa part d'étrangeté et de fantastique. Tout est fait pour surprendre, troubler, fasciner. Un orchestre joue " you're driving me crazy ", tandis que des hommes en habit dansent avec des jeunes filles dénudées sous le regard des statues antiques. Le mélange des styles est savamment dosé et pratiqué avec un évident plaisir esthétique. Amoureux des peintres, Lewin a su utiliser au mieux les ressources du technicolor de l'époque. Ava Gardner y est magnifique et inaccessible à souhait, sorte de divinité qui semble n'avoir pris que momentanément l'apparence d'une femme. Venue d'une autre planète comme pour séduire et détruire les êtres réduits à leur éphémère condition humaine. Ce n'est pas sans raison qu'Albert Lewin ouvre l'opus sur cette citation d'Omar Khayyam : "La main mouvante écrit. Et va, ayant écrit. Ni ta piété ne la saura, ni ton esprit fléchir pour qu'elle remonte à la ligne et l'efface. Ni tes pleurs d'un seul mot n'en laveront la trace."
Un film (1951) rare de par son thème - le mythe de la séduction destructrice et de l'éternelle errance - son atmosphère sulfureuse parfois, et sa splendeur esthétique. Inutile de répéter que les acteurs sont parfaits et nous font vivre un grand moment de cinéma. D'ailleurs le couple Gardner/Mason n'est-il pas entré, avec quelques autres, dans la légende d'Hollywood ?
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