Au soir de sa vie, une vieille dame raconte à sa fille l'histoire qu'elle a cachée à tous. Dans les années 50, après une étreinte hâtive sous les étoiles avec un joli garçon, elle s'est retrouvée enceinte. Chassée du domicile familial par ses parents, elle a été placée dans une institution religieuse où elle a donné naissance à un fils Anthony qui restera auprès d'elle dans le couvent où la jeune femme est employée comme lingère, jusqu'à l'âge de trois ans. Mais, bientôt, l'enfant lui est retiré car, adopté comme beaucoup d'autres par des Américains aisés, et emmené vers une destination que l'on se refusera toujours à lui communiquer. Alors que tout espoir de retrouver Anthony est définitivement perdu, Philomena croise la route d'un journaliste désabusé par la politique, un certain Martin Sixsmith (Steve Coogan) qui, après bien des tergiversations, accepte de mener l'enquête avec elle, supposant qu'au final cet article "people" risque de redorer son blason.
Dès la conception du film, les scénaristes Steve Coogan et Jeff Pope ont choisi de changer l'optique du livre-témoignage de Martin Sixsmith " The lost child of Philomena Lee" dont le scénario est tiré, afin de faire de la relation entre la vieille dame et le journaliste le centre de l'histoire. Le couple, à l'écran, fonctionne parfaitement, nous donnant deux versions de l'existence totalement opposées mais fort bien senties, tant il y a d'humanité entre ces personnages différents par l'âge et la mentalité, mais habités l'un et l'autre par une absolue sincérité. D'une grande finesse, le scénario va de découverte en découverte et traite les enjeux sans tomber dans la polémique ou l'hostilité. Traité en demi-teinte, il surfe sur l'antagonisme des caractères, en conservant la mesure et en prenant sans cesse de la hauteur. Finalement, ce sera Philomena, par sa sagesse et sa tolérance, qui saura donner à l'histoire sa philosophie constructive, ce que Judi Dench excelle à faire grâce à son jeu subtil. Elle prête à Philomena une bouleversante densité humaine et nous émeut profondément en optant pour une grande sobriété d'interprétation. C'est là où l'on juge une actrice. Un regard, un sourire suffisent à traduire l'essentiel. Face à elle, Steve Coogan, également scénariste, se révèle convaincant.
L'intérêt de l'opus réside en cette double vision des choses : chez Philomena, une incitation constante à voir au-delà des apparences en se gardant de juger et de condamner ; chez Martin, le journaliste, ce sera le contraire, la mansuétude et la bienveillance n'existant pas, la vie est un combat qu'il faut tenter de remporter à n'importe quel prix, sans s'embarrasser de scrupules. Le regard qu'il porte sur le monde est manichéen, à l'opposé de celui de Philomena, ce qui fait de lui un homme amer et désenchanté, alors qu'une joie profonde et simple habite la vieille dame. Et cette dualité est admirablement traduite, sans lourdeur aucune, avec autant de justesse que d'intuition et d'audace et ce qu'il faut d'humour pour éviter les écueils de la sensiblerie pleurnicharde et du mélo classique. Aussi, saluons une démarche qui veille à ne sombrer ni dans les préjugés hâtifs, ni dans les jugements arbitraires et a, entre autre privilège, celui d'être bien orchestré, bien ficelé et bien joué ; de même qu'il faut se réjouir de cette savoureuse et intelligente leçon de vie que nous propose Stephen Frears, à nouveau bien inspiré. Cette leçon de vie se résume en quelques mots mais ils ont leur importance : Philomena se contente de mettre les Evangiles dans sa vie, sans chercher à imposer quoi que ce soit aux autres, ce que l'Eglise, au cours des siècles, a trop souvent oublié de faire.
Pour consulter l'article que j'ai consacré à Stephen Frears, cliquer sur son titre :
STEPHEN FREARS OU LA DIVERSITE DES GENRES
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