Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
Par Armelle BARGUILLET
Peu de films, en dehors de Cheyennes de John Ford, qui aient abordé avec autant de lucidité et de tristesse le lent anéantissement physique, moral et économique de l'homme indien. Ancien combattant de la guerre de Sécession dans l'armée nordiste où il avait le grade de sergent-major, Lance Poole (Robert Taylor) symbolise l'intégration réussie d'une élite indienne au sein de la communauté blanche. A peine revenu chez lui, il découvre que les principes, qui engendrèrent la guerre civile, sont eux-mêmes bafoués. Les Indiens sont devenus des étrangers indésirables sur leur propre sol à n'importe quel homme blanc. Le médecin ne se dérange même pas lorsque le père de Lance est à l'article de la mort et l'avocat Verne Coolan cherche davantage à exciter la convoitise des éleveurs qu'à trouver des solutions équitables à l'attribution des terres aux uns et aux autres. Lance se voit ainsi dépossédé des siennes manu militari et se retrouve brutalement spolié et abandonné. C'est désormais un homme seul. Mais contrairement à La flèche brisée de Delmer Daves (1950) qui témoignait d'une certaine espérance - rappelons-nous la belle phrase que l'Indien Cochise prononçe à l'intention de Tom Jeffords : " Peut-être un jour me tueras-tu ? Peut-être un jour te tuerai-je ? Mais nous ne nous mépriserons jamais" - La porte du diable est, au contraire, une oeuvre amère et désespérée. L'amitié de Lance pour Orrie Masters, une jeune avocate qui organise une pétition en sa faveur, ne pourra empêcher l'irrémédiable de se produire et c'est revêtu de son uniforme de sergent-major que le valeureux soldat indien se rendra aux autorités et s'écroulera, blessé mortellement, comme un arbre abattu, incapable de survivre dans un monde qui l'a rejeté.
Tourné alors même que la chasse aux sorcières sévissait, La porte du diable est un vibrant appel à la paix et à la fraternité et mérite notre estime et notre admiration pour la noblesse de son propos, son lyrisme formel et son combat sans espoir. La tendresse amoureuse d'Orrie Masters (Paula Raymond) et de Lance Poole s'oppose aux tabous de l'époque et prouve, si besoin est, que la Metro-Goldwyn-Mayer agissait en toute liberté et ne craignait nullement d'aborder des sujets brûlants et controversés. Robert Taylor, lui-même, endosse avec courage et fierté le rôle de cet Indien trahi et dépouillé, héros qui personnifie la mauvaise conscience de l'Amérique face au problème indien. N'est-ce pas déjà assuré de sa défaite que Poole murmure à l'oreille de la jeune avocate : - "Ne pleurez pas. Nous n'y pouvons rien. Nous sommes nés cent ans trop tôt" ?" Inspiré en partie par l'histoire du chef Joseph des Nez-Percés, ce film est le premier western de la carrière d'Anthony Mann qui en tournera de nombreux autres, parmi les plus marquants du genre, dont : L'homme de la plaine, Winchester 73 et Les Affameurs. Poignant de bout en bout, il est un hommage aux Indiens disparus qu'aucune bonne volonté ne parvint à sauver, mais qui surent mourir les armes à la main, ayant, comme Lance Poole, supplié que l'on épargnât les femmes et les enfants. On regarde ce film la gorge serrée parce que rien n'y est grandiloquent. Le scénario, ainsi que la mise en scène et le jeu des acteurs, se révèlent efficaces et sobres et tout s'enchaîne et s'accélère selon une dramaturgie irrévocable, comme si le destin de ce malheureux peuple avait été frappé, dès l'origine, dans le granit d'un mémorial.
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