La poursuite infernale ou My darling Clémentine (1946) de John Ford compte parmi les westerns les plus célèbres et, ce, à juste titre. Wyatt Earp (Henry Fonda) et ses trois frères Virgil, Morgan et James transhument avec leur troupeau dans les somptueux paysages de Monument Valley. Mais alors qu'ils font halte près de Tombstone, James est tué et le troupeau volé. Pour être sûr de venger son frère, Wyatt accepte le poste de shérif de Tombstone qu'on lui propose et choisit pour adjoints ses propres frères. Cette région vit sous la dictature que fait régner un certain Johnny Ringo, lui-même allié à la bande du vieux Clanton considéré par beaucoup comme l'assassin de James Earp. C'est d'ailleurs Virgil qui réglera son compte à Billy Clanton avant d'être lui même abattu par le vieux Clanton. Un ultime règlement de compte opposera Wyatt, Morgan et Doc Holliday (Victor Mature), le fiancé de Clémentine, au vieux Clanton et à ses fils où, au final, la bande des Clanton et Doc trouveront la mort. Wyatt repartira avec Morgan, mais reviendra peut-être à Tombstone pour épouser Clémentine dont il est tombé amoureux.
Patriarche violent et intraitable, le vieux Clanton représente la dureté des premiers colons, prêts à se battre pour arracher et conserver le moindre lopin de terre. Son habitude de frapper ses fils avec le fouet dont il ne se sépare jamais ou d'abattre ses adversaires dans le dos traduisent bien ce comportement despotique, déjà anachronique et appartenant à un Far West révolu, où chacun dictait sa loi selon ses convenances. Doc Holliday incarne, au contraire, un style de vie plus moderne mais tout aussi dangereux. Un homme peut suivre la trace d'un autre homme de tombe en tombe - dit de lui Wyatt Earp. Toujours à la limite du crime et de la légitime défense, Doc, un ancien chirurgien déchu et alcoolique, qui a connu la vie tumultueuse de Denver et a renoncé à son cabinet pour se consacrer au jeu, n'a guère plus de scrupules qu'un Clanton, mais il y met plus de formes et vit sur le fil du rasoir avec une ambiguïté troublante ; ce personnage étant interprété par un Victor Mature impressionnant qui sait lui prêter toute l'équivoque nécessaire. Fiancé à Clémentine mais amant de la belle Chihuahua (Linda Darnell), il habite le film de son regard d'acier et de ses attitudes empreintes de défiance et de ruse. Face à lui et à Clanton, Henry Fonda (Wyatt) symbolise la loi et l'ordre. Choisi par Ford avec qui il était lié par une longue amitié et deux films Young Mr Lincoln et Les raisins de la colère, il est pleinement ce personnage soucieux de faire régner la justice et d'utiliser, à ces fins, des méthodes plus humaines. Ford aimait sa démarche. Il aurait pu regarder Fonda marcher pendant des heures. Le style de l'acteur s'accordait totalement au sien. La manière dont celui-ci se déplaçait avec une lenteur calculée, se balançait d'un pied sur l'autre et dansait nous propose quelques images inoubliables. Dès le début du film, Ford choisit de cadrer Wyatt en contre plongée pour renforcer l'importance qu'il entendait donner à son héros.
Bien entendu, Ford désirait rendre la bataille d'O.K. Corral telle qu'elle s'était déroulée dans la réalité, c'est la raison pour laquelle il avait soigné chaque détail et choisi, en conséquence, ses interprètes, tant il est vrai que ce règlement de compte qui date du 26 octobre 1881 appartient à l'histoire légendaire de l'Ouest américain. Malgré cela, La poursuite infernale n'est pas d'une rigueur absolue et quelques aspects du film s'éloignent de la réalité, ainsi le vieux Clanton était déjà mort lors de l'affrontement final. Mais, peu importe qu'il y ait ici ou là un léger décalage entre la vérité et sa représentation cinématographique, car le film est beaucoup plus qu'un banal documentaire sur un haut fait du Far West. Son ambition va au-delà d'un rendu romanesque : il décrit le passage de la nature à la civilisation. La première est évoquée par les paysages grandioses qui défilent devant nos yeux dans leur âpreté sauvage ; la seconde, par cette ville de Tombstone qui s'édifie peu à peu. L'un des plus beaux moments est l'inauguration de la cloche de l'église et la séquence de la danse qui témoigne de la transition entre l'Ouest primitif et une Amérique en mutation. Les personnages se chargeant, par ailleurs, d'incarner cette évolution.
Pour conclure, l'un des plus grands mérites de ce film est de balancer entre la légende, ses figures héroïques, sa violence, ses archétypes et la peinture de la vie quotidienne, ses lenteurs, sa banalité et sa poésie. John Ford anime son intrigue par la peinture de personnages secondaires, saisis sur le vif, qui procurent à l'oeuvre son identité propre. Initialement, le film devait durer plus de deux heures, mais Darryl F. Zanuck, le producteur, exigea les coupes qu'il jugeait indispensable pour clarifier la narration. On peut le regretter aujourd'hui, mais, à l'époque, les films n'outrepassaient que rarement l'heure et demie. Bien qu'il n'obtint pas, à sa sortie, la totale adhésion des critiques (par contre le public lui fera un triomphe), il apparait de nos jours comme l'une des oeuvres magistrales de John Ford et l'un des plus beaux rôles d'Henri Fonda, tandis qu'il force l'admiration par l'alliance de la puissance et de la subtilité.
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