Faire rire semble être la grande obsession de Hitoshi Matsumoto malgré la mélancolie de son sujet, puisqu'il a contribué à de nombreuses émissions comiques populaires à la télévision japonaise. Ainsi met-il en scène dans son troisième film Saya Zarumai ses préoccupations émotives en lien avec son métier. Kanjuro Nomi, un samouraï ayant perdu l’envie de se battre à la suite de la mort de son épouse, est emprisonné pour avoir quitté ses fonctions sans la permission de son maître. Il aura trente jours pour parvenir à faire sourire le fils d'un seigneur muré dans le chagrin depuis la disparition de sa mère. S’il échoue, il devra s’enlever la vie, suivant le rite traditionnel du seppuku qui consiste à s'ouvrir le ventre avec son sabre. Accompagnée de ses deux gardiens de prison et de sa fille qui l’encourage à s’enlever la vie dignement plutôt que de perdre la face, la petite troupe élabore une suite de gags pour racheter la vie du samouraï déchu. Néanmoins le recours à l’humour n'est utilisé ici que comme le seul moyen de défense susceptible de s'opposer au désespoir du monde. Matsumoto fait alors bien plus que rendre hommage à sa profession : ces deux heures de film nous présentent sa vision obsessionnelle de l’art de la drôlerie confrontée à l'implacable cruauté qui se trouve au coeur de son sujet.
Grâce à une imagerie d'une infinie précision, Saya Zamurai repousse les frontières du gag à répétition pour mieux construire son discours. Au lieu de s'enfoncer dans le ridicule ou le banal, le réalisateur montre à chacune des scènes sa capacité d'invention en retravaillant les mêmes plans, les mêmes grimaces, sous des angles différents. Par leur simple répétition, il développe son récit autour du changement d’angle de caméra et les trouvailles farfelues de ses personnages. Ces trouvailles s'enchaînent sans être répétitives car, à chaque plan, le spectateur est placé devant une situation différente et particulièrement angoissante. Il s’en dégage dès lors une compassion désintéressée qui procure à l'opus son caractère humain. Sans raison apparente, si ce n'est qu'ils sont touchés par la présence de l'enfant et le désarroi de leur prisonnier, les deux gardiens multiplient les idées afin d' aider cet homme pitoyable. Quant à la petite fille, délicieusement interprétée par Sea Kumeda, étonnante de présence et de sensibilité, elle sauvera l’honneur de son père en devenant maître de cérémonie à chaque nouveau spectacle. La fin, un peu longue, seule réserve que ce film m'inspire, n'est certes pas celle que l'on attendait mais elle prouve le souci d'honneur qui s'attache à tout japonais depuis la nuit des temps. Servi par une interprétation parfaite, des images d'une grande beauté et une poésie de chaque instant, ce film étonnant qui avait toutes les raisons de sombrer dans le pathos ou, pire, le trivial ou le grossier, est un conte merveilleux, original, déjouant toutes les facilités qui risquaient d'en ternir l'éclat. Un oeuvre qui montre un cinéma japonais en pleine renaissance. A l'honneur cette année à Deauville, Hitoshi Matsumoto nous révèle, avec ce long métrage magnifique déjà acclamé à Locarno en 2011, qu'il n'a pas fini de nous surprendre. Burlesque mais philosophique et métaphorique, il en dit long sur la tragédie humaine qui demeure notre quotidien.
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