C'est lors du Festival du film asiatique de Deauville en mars dernier que j'ai fait la connaissance du cinéaste Sud-Coréen Park Chan-wook, déjà bien connu des festivaliers pour avoir participé à l'édition 2001 et y avoir remporté le grand Prix avec Joint Security Area. L'année suivante, il entamait avec Sympathy for Mr Vengeance, une trilogie consacrée à la violence. Old Boy, le deuxième volet obtint le Grand Prix du Festival de Cannes 2004 et le troisième, Lady Vengeance, le Lion d'Avenir et le Prix de l'Innovation au Festival de Venise 2005. C'est dire que Park Chan-wook est d'ores et déjà un maître dans l'univers si vivant et prolifique du cinéma asiatique et que l'hommage, qui lui était rendu le 30 mars à Deauville, lors de la présentation, après Berlin, de son film I'm a cyborg, But That's ok , était amplement mérité, bien que le cinéaste le trouve prématuré. Regardé aujourd'hui comme une des figures marquantes du cinéma asiatique, ce Coréen ne craint pas d'être considéré à la fois comme un homme engagé et un provocateur, car cet enfant du Pays du Matin Calme ne cesse, à travers ses films, d'éveiller des sentiments vifs et autant d'éloges enflammées que de critiques acerbes. Son premier coup de foudre cinématographique lui fut inspiré par Vertigo d'Alfred Hitchcock. L'oeuvre tragique du maître du suspense lui procura des frissons en faisant écho à son besoin de réponses fraîches aux questions existentielles - dira-t-il. A l'époque, cet étudiant sérieux se destinait à une carrière de critique d'art, mais c'est finalement la littérature et la philosophie qui lui ouvriront la voie de la réflexion sur le sens de la vie et de la condition humaine. Ses initiateurs auront noms : Sophocle, Shakespeare, Kafka, Balzac, Zola, Stendhal et Vonnegut et, dans le 7e Art, après Hitchcock, Roman Polanski. Elève d'une université catholique, il reçoit un enseignement qui l'incline tout naturellement à s'interroger sur l'existence divine. En outre, il est très tôt marqué par la division de la Corée et des drames qui s'ensuivent. Sa fougue, ce feu intérieur, qui fait de lui un réalisateur impétueux et révolté contre la perte grandissante des valeurs essentielles, lui vaut des échecs cuisants et des débuts pour le moins difficiles et chaotiques. Certains auraient pu se décourager, pas lui. Ce mur d'incompréhension est une émulation supplémentaire qui l'incite à poursuivre une oeuvre personnelle, surprenante et d'une incontestable exigence. Alors que beaucoup ne lui prêtent qu'un univers ténébreux et brutal, d'autres commencent à percevoir, au fur et à mesure de ses réalisations, un message porteur d'un humanisme authentique, nourri par un amour désespéré de l'être. Park Chan-wook va tout au long de sa filmographie dénoncer le caractère pernicieux de l'argent qui pourrit l'homme jusqu'aux tréfonds de l'âme et suscite violences, affrontements, jalousies, malaises sociaux, déséquilibres psychiques. Avec le vertigineux Old Boy, il hausse encore le ton et se focalise sur la quête vengeresse d'un héros, vengeance qui finit par se retourner contre lui. Le triptyque, qui se poursuit sur une vision plutôt pessimiste de la rédemption, s'achèvera sur une leçon d'existence d'une sincérité consolante.
Avec son dernier film Je suis un cyborg, Park Chan-wook s'écarte de la réalité et change de registre pour explorer le surréel, projet qui lui tenait à coeur depuis longtemps. "C'est un monde qui m'intéressait, j'ai donc essayé de mettre en place un environnement qui soit plus proche du conte, du mythe - nous dit-il. Internée dans un hôpital psychiatrique, Young -goon est persuadée d'être un cyborg et refuse de s'alimenter. Mais une garçon va s'éprendre d'elle et tout tenter pour la ramener à la réalité. "Même si le film souligne à quel point la technologie prime dans notre société, il ne s'agit pas d'une critique de ma part" - poursuit le cinéaste. Le personnage de Young-goon est à la recherche d'une raison d'être. Car il y a cette question récurrente qui se pose sans cesse et hante le cinéaste : Pourquoi sommes-nous sur la terre ? C'est une question qui est à l'origine de beaucoup d'oeuvres d'art, celle qui a mis l'homme sur le chemin de la pensée." Je voulais soumettre cette question au public de la manière la plus directe possible" - ajoute Park Chan-wook. "Elle ne se pose pas dans les films commerciaux, on l'évite même, mais, cette fois, je voulais inciter le public à y réfléchir. Je me suis souvent demandé pourquoi la violence m'intéressait, alors que je ne suis pas violent moi-même. Mais cette violence coïncide avec une ambiance politique violente et angoissante. Pour l'avoir subie, elle s'est gravée en moi et c'est la seule piste que je vois pour expliquer la place qu'elle tient dans mes films. Je ne voulais pas non plus montrer les médecins qui soignent Young-goon comme des bourreaux, ni reprendre la tradition cinématographique de l'asile comme une institution fermée dans laquelle les patients sont torturés. Simplement ils se heurtent à des limites".
Comme dans ses films précédents, et bien qu'il considère celui-ci comme une comédie, Park Chan-wook nous fait assister à la lente reconquête de soi de son personnage principal Young-goon, interprétée par Soo-jung Lim, aux prises avec une société où chacun est inévitablement surveillé, brimé. L'héroïne rêve d'être une machine pour échapper à sa condition humaine vouée à subir le rouleau compresseur de l'uniformité. Mais l'amour guette, car seul l'amour peut nous sauver du doute et du désespoir. Acceptant de débrancher les curieuses antennes qui lui assurent une vie artificielle, la jeune femme va reprendre goût à la vie et s'alimenter à nouveau. Film étrange, d'une originalité plus que déroutante, il ne peut laisser personne indifférent, même s'il en exaspère beaucoup. Il y a là des fulgurances, une approche très personnelle d'une vie qui peut si vite basculer dans le virtuel et une incontestable quête d'espérance. Park Chan-wook nous montre à quel point le cinéma asiatique a des messages à nous proposer, cela par la voie d'une écriture revisitée, renouvelée, inhabituelle, mais pas toujours lisible. Loin des polars angoissants de ses films précédents, Je suis un cyborg se construits sur la métaphore de la différence et, vers la fin, adopte un rythme plus humain et apaisé avec ce qu'il faut de douceur et de mélancolie, tant cet opus plonge dans les arcanes de la compassion et de l'amour. Film troublant, inclassable, il n'en est pas moins bourré de trouvailles et d'innovations et assure un dépaysement qui, certes, déplaira à de nombreux spectateurs. Mais on ne peut refuser à ce cinéaste une marginalité géniale.
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