Ce film, d'un jeune cinéaste thaïlandais né en 1970 à Bangkok, présenté en avant-première lors du dernier Festival du Cinéma Asiatique de Deauville, fin mars, avait retenu l'attention admirative des jurés, non sans raison. Car l'écriture de Weerasethakul ne manque ni d'originalité, ni surtout de sensibilité. Ce metteur en scène pratique l'art subtil de procéder par touches légères pour peindre les sentiments, exprimer les élans amoureux ou traduire la mélancolie et la fatale nostalgie qui semblent saisir les personnages à l'évocation du passé. Le film se décline en deux temps : le premier nous décrit l'existence d'une femme médecin et se situe dans un environnement rappelant celui dans lequel l'auteur est né et a grandi, tandis que le second se déroule dans un environnement plus proche du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, ce qui contribue à créer une atmosphère étrange et décalée, comme si nous goûtions à un fruit partagé en son milieu. Si on peut déplorer que le titre du film soit peu attrayant, on ne peut que se laisser prendre au charme un peu lent de cette symphonie naïve et délicate de la vie hospitalière et de ce milieu fermé, sorte d'enclave protégée, où l'homme est plus que nulle part ailleurs mis à nu en ses doutes, ses peurs, ses espérances. Nous sautons les générations dans un climat où l'affrontement avec la modernité se heurte aux croyances millénaires en des forces célestes qui agissent secrètement et nous dépassent. On sent que le cinéaste peine à faire la part équitable entre l'ancien et le moderne, l'expérimental et l'ancestral. Et c'est justement ce qui donne au film sa note singulière, sa petite musique personnelle et intime, traversée par le souci d'un rêve irréalisable et permanent qui procure à ce long métrage son unité. Que ce soit médecins ou boudhistes en robe safran, tous n'ont qu'un désir : apporter un peu de réconfort à leurs semblables.
L'une des causes principales de l'intérêt indiscutable qu'exerce sur nous ce cinéma, venu d'ailleurs, est l'interrogation lancinante à propos de notre devenir, l'inquiétude justifiée à l'égard d'une évolution de plus en plus rapide qui ne tient pas assez compte des aspirations humaines et ne prête aux choses et aux actes qu'une valeur marchande. Cela m'avait frappée lors du Festival de Deauville. Le mérite des cinéastes asiatiques est de savoir nous inquiéter astucieusement sur nos références essentielles, de nous replacer dans le contexte d'un choix décisif, nous prenant à témoin de cette évidence que le monde ne peut avancer dans la bonne direction s'il ne respecte pas les valeurs du passé. Il semble que l'interrogation, particulièrement chère à un auteur comme Weerasethakul, soit la suivante : n'avons-nous pas galvaudé l'héritage de nos ancêtres ? Ne serait-ce que pour cette constante remise en cause, le cinéma extrême oriental, avec des films comme celui-ci, justifie notre admiration et notre sympathie. D'autant qu'ils sont bien réalisés sur le plan technique et remarquablement interprétés par des acteurs qui s'investissent avec ferveur dans leurs rôles.
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