"Vera Cruz", c'est d'abord la rencontre de deux très grands acteurs du cinéma américain Gary Cooper et Burt Lancaster et, également, le dernier film où celui qui sera bientôt connu sous son pseudonyme Charles Bronson figure encore sous son nom véritable Charles Buchinsky. C'est enfin un film d'aventures qui ouvre une page nouvelle dans ce qu'il convenait d'appeler, jusqu'à la fin des années 50, le "western classique". L'histoire est la suivante : la révolution fait rage au Mexique entre les partisans de Benito Juarez et l'empereur Maximilien soutenu par la France. Ancien colonel de l'armée Sudiste, Benjamin Trane ( Gary Cooper ) accepte la proposition du marquis de Labordere de combattre pour son maître Maximilien. Joe Erin ( Burt Lancaster ) et ses hommes, prêts à s'offrir au plus offrant, rejoignent eux aussi les forces de l'empereur. Trane et Erin reçoivent alors pour mission d'escorter jusqu'à Vera Cruz la comtesse Marie Duvarre, mais ils découvrent bientôt qu'elle transporte dans son carrosse une somme d'or importante destinée à acheter des armes et à lever de nouvelles troupes. Démasquée, elle propose de partager l'or en trois, mais le marquis de Labordere réussit à le récupérer. Finalement les deux partenaires parviendront à retrouver le précieux trésor mais s'affronteront - Trane souhaitant donner l'or aux Juaristes et Erin de le garder pour lui - lors d'un duel où Trane, plus rapide, tuera Erin.
Une conversation, entre le scénariste Borden Chase et le producteur Bill Alland au sujet de la tragique histoire de l'empereur Maximilien et de son épouse Charlotte, fille du roi des Belges Léopold Ier, est à l'origine de ce film. Par la suite, Chase se rendit au Mexique et écrivit un scénario pour un film dont John Wayne devait être la vedette. Mais ce dernier, ayant d'autres engagements, Gary Cooper fut choisi pour le remplacer et le scénario de Chase abandonné au profit de celui de Roland Kibbee qui écrivit le sien au jour le jour, si bien que le film, en apparence bien construit, fut réalisé dans un total état d'improvisation. " Le scénario - raconte Robert Aldrich - était toujours achevé cinq minutes avant le tournage. "Vera Cruz" venait après Apache qui avait été un succès. La pression était donc beaucoup moins grande. C'est un film que j'aime. Il y avait, une fois de plus, un héros et un anti-héros. Le héros seul survivait après avoir choisi le bon côté et détruisait l'anti-héros qu'il admirait pourtant, en dépit de leurs opinions différentes". Robert Aldrich avoue, par ailleurs, avoir eu plus de difficulté avec Burt Lancaster sur le tournage de "Vera Cruz" que sur celui d' "Apache". Lancaster, qui se préparait à passer à son tour derrière la caméra avec un premier film "L'homme du Kentucky", supportait de plus en plus mal les directives d'un autre réalisateur. Cela n'empêcha nullement le film, une fois mis en boite, de séduire le public et de prendre place parmi les westerns qui comptent, non seulement pour l'interprétation, mais pour l'opposition finement orchestrée entre deux partenaires, le gentleman du Sud et le mercenaire sans foi, ni loi, en même temps que pour celle de deux clans rivaux : les partisans de Maximilien et les Juaristes. Afin d'accentuer les différences et forcer le trait, les fidèles de Juarez font toujours état d'une force importante de façon à mobiliser la population, tandis que Maximilien et les siens symbolisent une société décadente, en voie d'extinction. Faisant irruption à la cour de Maximilien, Erin et sa troupe, assurés de leur puissance, se conduisent en véritables sauvages, renversant la vaisselle, buvant et mangeant comme des soudards.
Par ses audaces techniques, son découpage, son sujet, Vera Cruz annonce un tournant significatif dans l'histoire du western. A l'évidence, Robert Aldrich se plait à casser le moule traditionnel en y versant une bonne dose de cruauté et en faisant un pied de nez à la bien-pensance, abordant des thèmes qu'il amplifie à plaisir et qui ne sont autres que la cupidité, l'ambition et le cynisme. En cette fin des années 50, ce long métrage annonce que le genre est en train de se délivrer de sa vocation première : narrer les débuts mythiques de la civilisation américaine et faire l'apologie de ses valeurs, ce dont des cinéastes comme Sergio Leone s'inspireront par la suite. En effet, "Vera Cruz" est d'une texture différente des films qui l'ont précédé, tant il est joyeusement immoral et subversif. Comme plus tard "Le Bon, la brute et le truand", il repose sur le leitmotiv de la chasse au trésor, de l'appât du gain, des alliances provisoires et des inévitables trahisons, cela amplement rafraîchi par un solide humour et une interprétation pétaradante. Que dire du sourire sarcastique de Burt Lancaster et d'un Gary Cooper, à contre-emploi, du moins dans la première partie ? Que du bien, évidemment, car ils sont l'un et l'autre, épatants.
Mené à bride abattue, l'action ne faiblit pas un instant, ne faisant nullement l'impasse sur une violence brutale, parfois teintée de sadisme - rappelons-nous la scène où le visage contracté par la haine, l'un des tueurs achève un adversaire désarmé -nourrie par les tons d'une photographie volontairement flamboyante, où les assauts et les débordements prennent place avec un relief particulier, grâce à un montage inhabituellement accéléré. Hors de tout académisme, "Vera Cruz" se place sous le signe de l'affrontement et du conflit et fait la part belle à l'anti-héros. Certes, celui-ci existait auparavant, mais c'était la première fois qu'on lui offrait une place aussi importante, celle de la cheville ouvrière, ce qui contribue à faire de ce film une oeuvre véritablement novatrice qui influencera le cinéma européen par l'universalité de ses thèmes, principalement ceux en rapport avec les valeurs individuelles et l'injustice sociale.
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