Inspiré d'une histoire vraie, Le vieux fusil de Robert Enrico peut se résumer en quelques lignes : en 1944, pour mettre à l'abri des bombardements possibles sa femme et sa fille, un médecin, Julien Dandieu, les fait conduire toutes deux dans une ancienne citadelle qu'il possède à la campagne, au-dessus d'un petit bourg. Lorsqu'il se rend sur les lieux peu de temps après, il découvre avec horreur qu'elles ont été sauvagement massacrées, ainsi que les habitants du village, par une troupe d'officiers et soldats allemande qui a réquisitionné son domaine. Cet homme, jusqu'alors tranquille et bienveillant, n'aura désormais plus de cesse que de frapper un ennemi qui ne respecte pas les lois élémentaires de la guerre - épargner les civils et principalement les femmes et les enfants. Le film est à tous égards bouleversant. On y voit comment un homme, foncièrement bon, meurtri par le malheur le plus incohérent, le plus violent et intolérable qui soit, va se faire le justicier de ces innocentes victimes, en sorte que de tels crimes ne restent pas impunis, posant à l'homme d'aujourd'hui les questions suivantes : une cause juste doit-elle rester sans défense, un crime sans châtiment, et le mal s'installer dans une civilisation comme un fait quotidien, quand on sait que la pusillanimité prépare le lit des tyrans et que les traités faibles réaniment toujours les conflits forts ?
Ce film sobre et déchirant est presque entièrement tourné dans les décombres de ce vieux château dominant un village, village qui évoque Oradour-sur-Glane et les atrocités perpétrées par l'occupant allemand à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Film dur et d'une incroyable violence, il met en lumière la vengeance de cet homme que l'amour fou qu'il portait à sa femme et à son enfant et aux justes causes va transformer en un tueur que l'on suit pas à pas dans sa traque inexorable des soldats et officiers allemands réfugiés dans les vieilles pierres de sa demeure familiale. Passent entre ces moments d'attente, où il cherche le meilleur angle pour les surprendre et les abattre, des images merveilleuses du bonheur passé, cette vie tranquille et sans nuage qu'il partageait avec les siens, évocation d'un monde qui semble à jamais disparu. Le souffle court, le visage figé par le chagrin et la haine, Philippe Noiret est saisissant de justesse et nous entraîne dans un suspense presque insoutenable de réalisme, où tous ses gestes sont comme saisis sur le vif dans une reconstitution magistrale. Robert Enrico, qui a peu produit par la suite, a su trouver pour cet opus le ton, le style, l'atmosphère oppressante qui convenaient le mieux. Cette transposition est une réussite totale et ce vieux fusil, qui n'a pas pris une ride, nous saisit toujours d'effroi et d'émotion comme il le fit lors des César en 1976, où il fut l'objet d'un véritable triomphe.
C'est donc une oeuvre remarquable à plus d'un titre ; tout d'abord par cette tension qui va crescendo et où la loi du talion est respectée à la lettre, le héros malgré lui parvenant, avec des procédés, certes peu catholiques, à exterminer la troupe d'allemands qui a investi son château et, ce, dans un décor qui ajoute encore à une ambiance lugubre et glauque. En effet, les dédales des souterrains, la pierre sombre composent un cadre idéalement dantesque, tandis que la musique lancinante ponctue de son phrasé douloureux un paysage rural subitement plongé au coeur d'un drame humain sans précédent. Il l'est aussi et surtout par la composition que chaque acteur fait de son personnage, à commencer par Philippe Noiret, immergé dans le sien jusqu'à ce souffle haletant qui fait contrepoint à la musique et exprime une souffrance à la limite du supportable, où tout devient permis, et où cette quête hallucinée de vengeance le plonge dans une névrose dont il est à la fois l'artisan et la victime. C'est sans doute l'un de ses plus grands rôles. Auprès de lui, Romy Schneider représente le bonheur perdu, la grâce sacrifiée et il est vrai qu'elle campe cette jeune femme pleinement épanouie entre son mari et sa petite fille avec une délicate féminité - rappelons-nous la scène où coiffée d'un chapeau à voilette, elle soulève gracieusement celle-ci pour poser ses lèvres sur les bords de sa coupe de champagne - il y a là l'image d'une jeunesse dans sa plénitude, son innocence, sa fraîcheur, à la fois effacée et inoubliable, chantée et détruite, qui élève le film à une hauteur mythique, exprimant en quelques prises de vues, d'une remarquable efficacité, la synthèse même de l'inacceptable. Rien que pour ces moments d'anthologie, le film mérite de figurer dans nos vidéothèques.
Le vieux fusil reçut le César du Meilleur film en 1976 des mains de Jean Gabin.
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PHILIPPE NOIRET - PORTRAIT ROMY SCHNEIDER - PORTRAIT
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