Le film de Wang Xiaoshuai était très attendu en mars au 14e Festival Asia de Deauville. Personnellement, sans m'enthousiasmer à proprement parler, il ne m'a pas déçue. Le cinéaste ayant déjà fait ses preuves avec des films comme Une famille chinoise. Après avoir obtenu son diplôme à l'Académie du cinéma de Pékin, Wang Xiaoshuai avait signé son premier film, intitulé The Days, à l'âge de 27 ans. Il a toujours été très apprécié de la critique internationale mais a essuyé des refus de la part des autorités chinoises. Sous le pseudonyme Wu Min, il réalise Frozen qui reçoit, en 1995, la Mention spéciale du jury au Festival de Rotterdam. Le film est même sélectionné dans plusieurs festivals internationaux. Mais Wang Xiaoshuai ne cesse d'avoir des démêlés avec le bureau du cinéma: A Vietnamese Girl est refusé par le comité de censure. Son auteur doit alors en changer le titre qui devient So Close to Paradise et retravailler le montage pour que le long métrage soit enfin autorisé. Cela lui prendra trois ans. En 1998, le film est en compétition officielle au Festival de Cannes dans la section "Un certain regard". Cette même année, Xiaoshuai participe en tant qu'acteur au Violon rouge de François Girard, avec Samuel L. Jackson et Greta Scacchi. En 2001, Wang Xiaoshuai réalise son cinquième long métrage Beijing Bicycle, qui remporte l'Ours d'argent au Festival de Berlin et, en 2002, Drifters, l'histoire d'un jeune Chinois qui entre clandestinement aux Etats-Unis. Avec Shanghai Dreams (2005), il obtient le prix du Jury à Cannes, avant de décrocher l'Ours d'argent du Meilleur scénario à Berlin pour Une famille chinoise (2008). En 2010, Chongqing Blues entre en compétition officielle à Cannes. C'est donc un cinéaste déjà chevronné qui nous propose avec 11 fleurs, l'histoire d'un garçon de 11 ans qui ,en 1974, observe le monde des adultes et n'est sans doute autre que lui-même. La rencontre avec un fugitif, qui a tué le violeur de sa soeur, l'oblige au secret et au mensonge et cette confrontation signera la perte de son innocence.
Sans avoir le charme des enfants du film I wish - nos voeux secrets ou l'autorité extraordinaire de la petite fille de Saya Zamuraï, le monde de l'enfance décrit par Xiaoshuai n'en reste pas moins crédible et l'histoire n'en prend que davantage de relief et de subtilité qu'elle ait vue par des regards enfantins encore empreints d'authenticité. Cette société nivelée qui laisse une part si réduite à l'imagination, seuls les enfants savent encore la colorer de quelque chose de plus, y introduire une part de crédulité et d'insouciance. A l'école, le petit héros est le meilleur en gymnastique et sa maîtresse souhaite qu'il ait une chemise neuve de façon à ce qu'il soit plus élégant sur l'estrade, mais la maman est si pauvre qu'elle sera obligée de puiser dans ses économies pour acheter le tissu et fabriquer elle-même la chemise. Petit détail de la vie quotidienne dans une bourgade de la Chine de Mao où les intellectuels n'ont pas leur place et où la ruralité se vit aux champs et à l'usine sous le regard toujours scrutateur et présent des factions gouvernementales.
Le père du jeune garçon est comédien ambulant et s'absente souvent pour aller jouer dans les villages environnants. Son meilleur ami, avant de mourir, lui a laissé quelques gravures représentants des toiles des peintres impressionnistes, dont plusieurs paysages de Claude Monet, que le père détaille le soir à son fils à la lueur d'une bougie, afin de l'initier à l'art avec l'espoir secret qu'il deviendra peintre. Par ailleurs, l'un de ses voisins est un intellectuel que le gouvernement a rétrogradé à la suite de la Révolution culturelle, à des taches agricoles, si bien que le malheureux se sent inutile et n'a plus rien qui le raccroche à la vie, d'autant que son fils vient de commettre un crime en vengeant l'honneur de sa soeur violée et que sa fille a, du fait de ce viol, perdu toute honorabilité vis à vis de la société. Le petit garçon est donc le témoin de ce monde où n'existe d'autre liberté que celle de se taire. Un monde auquel nos intellectuels français ont longtemps cru, alors même que leurs coreligionnaires chinois étaient condamnés au silence. Un film sobre, de facture classique, qui raconte une histoire condensée dans le regard d'un petit garçon trop tôt confronté à des situations qui le dépassent, mais qui conserve envers et contre tout son goût du jeu et sa faculté d'émerveillement. Son dernier émerveillement, avant d'entrer dans la puberté, sera celui qu'éveille en lui la belle jeune fille pour laquelle son frère est devenu un assassin et dont la tristesse et la grâce le bouleversent. Le jour de l'exécution du jeune homme, il refusera de suivre ses copains sur les lieux, afin de conserver sa propre vision des choses. De par son sujet et la façon délicate de le traiter, ce film - qui est aujourd'hui projeté sur les écrans français - mérite notre intérêt et fait honneur au 7e Art chinois.
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