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Yves Allégret, né en 1907, fut d'abord l'assistant de son frère aîné Marc sur le tournage des "Amours de minuit", puis celui d'Alberto Cavalcanti et de Jean Renoir. Il fut également le scénariste de "L'émigrante" (1939) de Léo Joannon. En 1941, il réalise en zone libre son premier film personnel "Tobie est un ange", avec Pierre Brasseur, mais la pellicule sera détruite par un incendie. A la libération commence sa vraie carrière d'auteur en collaboration avec le scénariste Jacques Sigurd. Ensemble ils signent "Dédée d'Anvers" (1948) qui verra les débuts de Simone Signoret, au côté de Bernard Blier, puis "Une si jolie petite plage" (1949) avec Gérard Philipe et Madeleine Robinson et "Manèges" (1950) de nouveau avec Signoret/Blier. Noirs et amers, ces trois films sont les plus représentatifs du travail d'Yves Allégret, dont l'oeuvre se caractérise par un profond pessimisme à l'égard d'une société dont il considère que le pouvoir de l'argent ne sert qu'à maintenir les masses dans leur pauvreté. Par la suite, il tournera de nombreux films d'une facture plus facile dont "Les orgueilleux", adapté de Typhon de Jean-Paul Sartre, composant pour la première fois à l'écran le couple Gérard Philipe/ Michèle Morgan. Le philosophe critiquera d'ailleurs cette adaptation, pour la raison qu'on y relève des intentions spirituelles qu'il n'avait certainement pas prévues. Suivront deux autres longs métrages : "Mam'zelle Nitouche" (1954) avec Fernandel et "Germinal" (1962) avec Bernard Blier. L'ascension de la Nouvelle Vague contribuera à son déclin et le cinéaste se consacrera, ultérieurement, à des réalisations plus spécifiquement commerciales. C'est pourquoi nous nous attacherons à l'analyse de la trilogie noire composée par "Dédée d'Anvers", "Une si jolie petite plage" et "Manèges".
"Dédée d'Anvers" est l'adaptation d'un roman du détective Ashelbé, l'histoire d'une prostituée qui, dans les bas-fonds du port belge et une atmosphère lourde et glauque où se croisent filles de joie, souteneurs, mauvais garçons et patrons de bordels, tombe amoureuse d'un marin de passage, mais n'arrive pas, pour autant, à se sortir du milieu où elle est engluée. Ce sera le premier grand rôle de Simone Signoret, femme du réalisateur, avec laquelle il aura une fille : Catherine Allégret. L'actrice impose d'emblée à l'écran sa présence, l'intensité de son jeu très intériorisé et d'une incomparable densité humaine. Sous les éclairages de Jean Bourgoin et dans une atmosphère nauséeuse, le metteur en scène nous décrit un monde à la dérive, peuplé d'êtres louches évoluant dans des paysages urbains noyés de cafard et de fatalité. Le pessimisme ira en s'aggravant avec "Une si jolie petite plage" que baigne le ressac d'un désespoir total. Gérard Philipe, dépouillé de son auréole romantique, est un ancien enfant de l'Assistance publique qui rôde l'hiver dans une station balnéaire du nord de la France où il a vécu. C'est là que son destin a pris un tournant tragique, à cause d'une chanteuse aimée, puis assassinée. En dehors de Madeleine Robinson, qui joue une sorte de Samaritaine, servante compréhensive et compatissante, les personnages féminins sont tracés à coup de burin, sans complaisance aucune. L'histoire, narrée de façon linéaire en l'absence de flash-back, élabore sa vérité, peu à peu, comme un puzzle de paroles et de silences. Avec le concours de l'opérateur Henri Alekan, Yves Allégret nous plonge une fois de plus dans un univers oppressant, fait de brume et de brouillard, à l'image d'une conception totalement désespérée de l'existence. Pas une lueur d'espoir n'apparaît à l'horizon, alors que Gérard Philipe hante la pellicule de sa nostalgie et de sa fragile pâleur. Il est admirable dans ce rôle d'homme, victime d'un destin implacable, devenu une part de cette brume qui se propage, puis se dilue, ainsi que le fait cet être sans désir. Il s'éloigne de nous, pareil à un fantôme, une ombre qui se dissout dans sa propre inconsistance.
La conception de "Manèges" est plus complexe : la même histoire comprend deux narrations, sous deux angles différents et selon deux points de vue opposés, d'où son intérêt particulier et original. Bernard Blier, propriétaire d'un manège d'équitation, s'est épris d'une petite bourgeoise qu'il prend pour une femme convenable et épouse. Avec l'aide de sa mère, entremetteuse habile et sans scrupule, elle va progressivement le tromper, le gruger et le ruiner. Simone Signoret et Jane Marken incarnent, avec un réalisme stupéfiant, ces deux femmes redoutables qui seront naturellement punies, lorsque l'homme désillusionné, écoeuré, les abandonnera à leur sort. Il semble que, par l'entremise de cette trilogie, le cinéaste règle ses comptes avec le beau sexe qu'il nous montre sous un jour particulièrement sombre. On peut parler ici d'une vision du monde et d'un style d'auteur, à la fois brutal et accablant, car frappé d'un sceau apocalyptique. Le noir et blanc sied au metteur en scène qui l'utilise au mieux, se complaisant dans un climat crépusculaire, des paysages désertés, des situations tragiques. Il rend l'angoisse, la tristesse, la cruauté palpables, nous invitant à partager ce chant funèbre adressé à un monde qu'il se plait à s'enrouler dans son suaire. Ses acteurs servent sa cause avec un talent jamais pris à défaut. Gérard Philipe prêtera son visage à ses héros malheureux, ange déchu parmi les anges et, Signoret, sa féminité frémissante, sa force ramassée, son intensité dramatique. Blier sera, quant à lui, un être partagé entre brutalité et lâcheté, jouant sur un registre plus dissonant, homme vulnérable ou veule. Leurs interprétations respectives, dans cette trilogie d'un réalisme noir, participeront au succès de ces oeuvres, qui ont marqué de façon indélébile le cinéma français de l'après-guerre.
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