SMOKING : un village du Yorkshire, Celia Teasdale, l'épouse du directeur de l'école, fait son ménage. Elle prend une cigarette... Arrive le jardinier auquel elle se confie : Toby, son mari, boit et la délaisse. Cinq jours plus tard, elle a bien envie de le quitter. Cinq semaines après, un ami l'en dissuade. Cinq années plus tard, le jardinier a épousé la soubrette des Teasdale et Celia s'est fait une raison, alors qu'elle aurait pu refaire sa vie, Toby l'abandonner, ou bien encore la soubrette rendre son tablier et ne pas épouser Lionel, ou bien ou bien...
NO SMOKING - Celia Teasdale fait son ménage dans sa maison du Yorkshire. Elle aimerait bien prendre une cigarette mais s'abstient. Arrive Miles, un ami de son mari, et, ensemble, ils se mettent à parler des vices de ce dernier qui boit trop et néglige son travail d'instituteur.. Cinq jours plus tard, lors d'un dîner en tête à tête avec Celia, c'est au tour de cet ami de se plaindre de sa femme Rowena qui le trompe. Cinq semaines après, les deux couples se retrouvent au golf et chacun campe sur ses positions. Cinq ans plus tard, Toby est mort et Miles, l'ami, est parti refaire sa vie en Australie. Mais cela aurait pu se passer autrement : Toby aurait pu rompre avec sa femme, ou bien Miles se tuer lors d'une excursion, ou bien, ou bien...
Smoking/No smoking ( 1993 ), films jumeaux, films gigognes en forme de puzzle dont les pièces s'emboîtent à volonté, part d'une idée simple : tout dans notre vie aurait pu se passer différemment, car elle n'est autre que le produit d'une myriade de possibles, auquel le jeu du hasard s'emploie à participer allégrement. "Elle ressemble toujours - nous dit Alain Resnais - à une esquisse, à un tableau qui ne sera jamais achevé". Pour développer ce schéma assez banal, le cinéaste décortique huit pièces d'un dramaturge anglais, Alan Ayckbourn, bien connu pour ses expériences de manipulation de la durée. Huit pièces, dont chacune comporte deux fins probables, soit seize combinaisons au total, donnant lieu à de diaboliques échafaudages. Alors même que Resnais ne parvient à l'écran qu'à nous donner à voir un aimable divertissement avec deux acteurs en face à face - Sabine Azéma et Pierre Arditi - qui endossent à eux seuls tous les personnages. Pour l'une, ce sera tour à tour l'épouse coquette, la mère vénérable, la soubrette astucieuse, l'institutrice à cheval sur les principes. Pour l'autre, le mari intempérant, l'ami empressé, le jardinier énamouré, le père cacochyme. Cela produit une succession de scènes aux bifurcations multiples, dont l'humour n'est pas absent, mais qui reste dans le cadre de la démonstration un peu vaine. Dommage, car Resnais est un cinéaste de grand talent, un amoureux de la belle ouvrage, auquel le jeu des miroirs, avec ses infinités de combinaisons, plait beaucoup. Lecteur assidu de Proust, de Wells et de Borges, il conçoit le travail filmique comme une variation sur le phénomène du temps et les méandres insoupçonnés de la mémoire. Ce qui l'incite à user des théories de Bergson, selon lesquelles l'espace ne serait qu'une projection de notre cerveau qui mémoriserait nos perceptions afin de les adapter aux besoins de l'action. Si bien que le diptyque Smoking/No smoking n'est, en quelque sorte, que l'illustration exemplaire de cette double démarche : théâtralisation des situations et démantèlement de la chronologie.
L'adaptation de cette pièce n'en reste pas moins un défi dans la filmographie de Resnais qui, il est vrai, n'a jamais opté pour la facilité et toujours aimé les sujets difficiles, la réflexion sur des thèmes comme le hasard, le déterminisme, le libre arbitre, qu'il semble traiter ici avec un particulier souci d'équité. En une phrase, nous pouvons la résumer ainsi : un geste banal, ne serait-ce que celui de prendre ou ne pas prendre une cigarette, peut, en cinq secondes, faire basculer une vie dans un sens ou dans un autre. La vie, nos vies sont en permanence ouvertes à tous les possibles et nous jouons continûment aux dés avec notre destin. Ces ramifications entre ce qui pourrait être et ne pas être, aussi complexes et fragmentées soient-elles, donnent lieu à une comédie de moeurs où le marivaudage ne se conçoit qu'à deux personnages, dans un huit-clos finalement trop théâtral. Je regrette que le cinéma, en l'occurrence, n'apporte pas l'ouverture et le renouvellement espéré. Ou bien, c'est du théâtre à part entière, ou bien du cinéma muet, ou bien un livre que l'on ouvre et referme à volonté sur ces deux volets offerts dans l'ordre ou le désordre, ou bien je n'ai pas tout saisi et assimilé, ou bien la composition discontinue a un peu lassé ma bonne volonté, mais, certes, cette réalisation d'un metteur en scène que j'admire n'a pas su pleinement me séduire.
Pour lire l'article consacré à Alain Resnais, cliquer sur son titre :
ALAIN RESNAIS OU UN CINEMA DE LA MEMOIRE
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