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28 avril 2007 6 28 /04 /avril /2007 10:37
LES BRONZES de PATRICE LECONTE

   

Rien de plus éloigné d'India Song de Marguerite Duras que le film Les Bronzés (1978) de Patrice Leconte. Le premier se situe dans le cercle étroit du cinéma expérimental jugé parfois trop cérébral et ennuyeux, l'autre est un divertissement hilarant qui n'a pour ambition que de distraire et d'amuser, mais n'en reste pas moins une critique savoureuse et cruelle d'une tranche de la société de consommation des années 70. Pourquoi en parler ? Parce que ce film, et ceux qui suivirent, dont Les Bronzés font du ski, Le Père Noël est une ordure, furent des succès tels qu'ils méritent de retenir l'attention et parce que l'équipe du Splendid, cette troupe de joyeux drilles, qui avait fait ses classes auprès de Tsilla Chelton, imposa avec talent un cinéma proche de la formule café-théâtre, à base d'improvisations collectives et d'humour franchouillard.

                        

Le film réunissait l'équipe au complet, tandis que la réalisation était confiée à un transfuge de la bande dessinée, ayant travaillé au journal Pilote et déjà signataire d'une comédie grinçante qui révélait Coluche : Les vécés étaient fermés de l'intérieur (1975). La comédie m'a enseigné les constructions au millimètre... La publicité m'a appris l'économie du récit : en quarante-cinq secondes, il faut aller à l'essentiel . Ces propos du metteur en scène expliquaient sa réussite dans un genre mineur : minutieux réglage des gags, rapidité d'exécution, refus du comique de grimace à la de Funès au profit d'une franche gaieté à l'italienne. Autre originalité : le comique n'était plus l'affaire d'un seul à la façon d'un Buster Keaton ou d'un Jacques Tati, mais d'une troupe d'acteurs où chacun figurait un personnage bien ciblé de l'échantillonnage humain : le malchanceux, l'arriviste, le paumé, le dragueur, le parvenu, la snobinarde, l'écervelée... Le tout pimenté d'une bonne dose d'observation sociologique qui raillait le comportement du touriste moyen en mal de potion miracle contre la solitude et nous dévoilait un échiquier farfelu où les uns et les autres poussaient leur pion à l'aveuglette. Il en résultait un comique insolite, amer et pittoresque, que le cinéaste affinera par la suite dans des réalisations plus ambitieuses telles que Tandem (1986), Le mari de la coiffeuse (1990) et Le parfum d'Yvonne (1994).

                               

Avec Les Bronzés, Leconte et la troupe du Splendid se trouvaient en phase avec la réalité de l'époque, si bien que le film est un documentaire inénarrable de ce que fut alors l'homo vacancus, en même temps qu'une peinture réjouissante de quelques inclassables énergumènes ne parvenant à s'intégrer nulle part. Les gags s'enchaînaient avec brio et le rythme ne se relâchait à aucun moment. C'était un feu d'artifice de scènes mémorables menées à un train d'enfer par de jeunes acteurs talentueux qui, visiblement, s'amusaient autant que nous.  Il est vrai aussi que nous avions dans ces années-là un Président de la République qui se souciait beaucoup du bonheur des Français et que le club Med sut profiter à fond de cette formidable aubaine des séjours "clé en main" et dépaysants qui assuraient à ses gentils membres, grâce à la présence de ses gentils organisateurs, des semaines de rêve au long de plages bordées de cocotiers, où leurs loisirs, leur habitat, leur couvert, leurs flirts, leurs souhaits, leurs fantasmes étaient aimablement satisfaits. Ils n'avaient plus qu'à se laisser porter par cette vague euphorisante et se couler dans le moule que l'on proposait à leur psychisme stressé. Le sujet était trop beau pour ne pas être exploité avec toute la dérision requise et l'humour adéquate.

 

La production cinématographique des années 70/80, éclectique à souhait, manifestait ainsi sa bonne santé, puisqu'elle pouvait offrir des longs métrages aussi différents que Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (1970), La maman et la putain de Jean Eustache (1973) et ces bronzés  qui recensaient les ridicules d'une société de consommation n'aspirant qu'à jouir, sans trop se poser de questions, des opportunités qui s'offraient à elle. Le film, sous ses dehors simplistes, était une charge impitoyable contre les dangers du décervelage qui guettait chacun de nous, pris que nous étions dans l'engrenage du plaisir à tout prix et de la satisfaction immédiate. Dans ce sens, Les Bronzés ont été salutaires. Les Français acceptèrent avec bonne humeur cette parodie d'eux-mêmes, mais nombreux furent ceux qui en tirèrent la leçon et organisèrent leurs vacances de manière plus personnelle. Le Club Med eut aussi à en pâtir et dut réviser ses formules de vacances en les déclinant  sur un mode plus raffiné, plus élaboré, ajoutant au potage quelques ingrédients soft.



En conclusion, ce film aura été un triomphe et se voit rediffusé presque chaque année sur une chaîne de télévision avec le même succès d'audience. C'est dire que la troupe et son cinéaste avaient visé juste. Les Français ont une qualité qu'il faut leur reconnaître : ils se plaisent à rire à leurs dépens. C'est bon signe. L'auto-critique est excellente pour la santé morale. Bien entendu, la tentation était grande de rééditer l'exploit. Il y eut, en effet l'année suivante Les Bronzés font du ski qui était encore de bonne facture, mais, hélas ! le dernier en date, ces bronzés number 3 fut un four total...Les miracles n'ont lieu qu'une fois.

 


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18 avril 2007 3 18 /04 /avril /2007 13:49
UNE HISTOIRE SIMPLE de CLAUDE SAUTET

                           

"Mes films ne sont pas déprimants et ne débouchent pas sur le désespoir. (...) J'essaie toujours de trouver dans les personnages que je décris cette vitalité biologique qui les amène à s'en sortir".  Comme Doillon,  Claude Sautet est le cinéaste de la vie des autres, de ces gens simples que l'on croise, rencontre, oublie. Il aime surprendre sur les visages les expressions familières, les regards fugitifs, les interrogations inquiètes. Dans la foule anonyme des grandes villes, son objectif semble isoler, par hasard, seuls ou en groupe, César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul et les autres (1974), Anna, Gabrielle, Marie ( Une histoire simple ), échantillons humains qui illustrent si bien les élans du coeur et les blessures de l'âme et nuancent à l'infini la perception des choses de la vie. Tel un sculpteur, Sautet travaille cette matière brute du réel, ces êtres dont il tente de saisir, d'approcher l'identité, de sonder les coeurs et les reins. Qui sont-ils ? Les maîtres de leur avenir ou les esclaves de mille contraintes ? Ainsi, au fil des bobines, le cinéaste brosse-t-il le tableau impressionniste d'une société qui, dix ans après mai 68, est en pleine mutation, destin particulier des individus inséparable de celui de la collectivité. Rien n'échappe à son oeil attentif et scrutateur : ni le spectacle de la rue colorée, ni celui du cercle familial en fête ou dans la peine, ni le monde du travail entre éclatement et solidarité, ni la fratrie angoissée des hommes, ni l'univers féminin  autour duquel tout gravite. Histoires simples que celles de ces vies que l'on surprend dans leur décor journalier, autour des tables festives, dans le brouhaha des bistrots ou encore dans leur univers professionnel, là où se tissent les ambitions, les jalousies, les suspicions.  
  
                        

Une histoire simple (1978) est celle de Marie qui rompt avec Serge et décide de ne pas garder l'enfant qu'elle attend de lui, le cinéaste abordant ici le délicat et douloureux problème de l'avortement qui après la promulgation de la loi Veil commençait à se banaliser et prouvait l'évolution rapide d'une société qui n'entendait plus supporter d'entraves à sa liberté. Sautet donne à voir mais ne juge pas ; il se tient en retrait, se contente d'être un peintre des moeurs, un témoin. Cinéaste, c'est-à-dire homme de l'image, il se garde de se montrer partisan. Et on doit l'en remercier, car son cinéma, de belle facture, dans la lignée d'un Renoir et d'un Becker, ne retient sur sa pellicule ultra sensible que les expressions fugitives, les douleurs soudaines, les chuchotements de l'indicible, les aveux susurrés au creux des longs silences, les amours qui se nouent et se dénouent, de ceux qui ne savent pas attendre ou ne peuvent pas finir.

                  

Marie, l'héroïne d'une histoire simple, interprétée par la merveilleuse Romy Schneider, après avoir quitté Serge, son amant (Claude Brasseur), renoue avec Georges son ex-mari (Bruno Cremer) et retrouve en maintes occasions la bande d'amis avec laquelle elle partage ses loisirs, ses soucis et ses joies. Chacun, à l'intérieur de l'histoire, vit son histoire propre, les unes et les autres se mêlant et s'entremêlant dans ce microcosme qui montre combien la solitude peut être plus grande encore au milieu des autres. Familles recomposées, divorces, tentatives de suicide, amours déclinantes, notre lot quotidien est dépeint en une fresque intimiste, sans agressivité, dans les dégradés pastels, avec une humanité empreinte de tendresse. C'est l'art de Sautet d'être ainsi proche de ses personnages, au point de nous les rendre incroyablement accessibles. Celui-ci n'est-il pas notre voisin, celui-là notre confrère, notre associé, voire notre parent ? Cette proximité, par ailleurs, n'est pas dépourvue de piquant et de piment, ce, grâce aux dialogues aimablement ciselés par Jean-Loup Dabadie. Et puis Claude Sautet sait tirer le meilleur de ses interprètes. S'il donne beaucoup, il reçoit en retour. On sait que Romy Schneider fut l'une de ses actrices fétiche et travailla avec lui dans Les choses de la vie, César et Rosalie, Max et les Ferrailleurs, Mado et cette histoire simple où elle est la femme icône d'une modernité encore hésitante. "Romy est une actrice qui dépasse le quotidien, qui prend une dimension solaire. Elle est la synthèse de toutes les femmes, leur chant profond qui donne un sens à leur vie. Elle a une sorte de propreté morale qui irradie d'elle-même et la rend absolue" - écrivait le cinéaste de son actrice. C'est dire combien il la comprenait et, à travers elle, toutes les femmes. Car ce cinéaste sut toujours rester à hauteur d'homme et poser sur ses semblables un regard fraternel.  

 

Pour lire les articles consacrés à Claude Sautet, Romy Schneider et Bruno Cremer, cliquer sur leurs titres :

 

CLAUDE SAUTET OU LES CHOSES DE LA VIE      

ROMY SCHNEIDER - PORTRAIT      

BRUNO CREMER  

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, dont César et Rosalie, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

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UNE HISTOIRE SIMPLE de CLAUDE SAUTET
UNE HISTOIRE SIMPLE de CLAUDE SAUTET
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7 avril 2007 6 07 /04 /avril /2007 11:54
NE TOUCHEZ PAS LA HACHE de JACQUES RIVETTE

                    

"Histoire des Treize ", ce titre regroupe trois romans d'Honoré de Balzac : Ferragus, La duchesse de Langeais et La fille aux yeux d'or. Une première version avait été publiée dans " L'écho de la Jeune France " sous le titre : "Ne touchez pas la hache", qui le resta jusqu'en 1839. Les Treize sont, selon Balzac lui-même, les membres d'une étrange franc-maçonnerie assez forts pour se mettre au-dessus des lois, assez hardis pour tout risquer et entreprendre et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins. La duchesse de Langeais, dédiée à Franz Liszt met en scène le général de Montriveau et la duchesse, née Antoinette de Novarreins, jeune femme adulée du faubourg Saint-Germain, à laquelle l'ombrageux et conquérant militaire, follement épris, va faire une cour assidue sans parvenir à la séduire. Elle l'enflammera sans lui céder. Balzac s'inspirait là de la marquise de Castries qu'il avait désespérément aimée et qui l'avait fait beaucoup souffrir. Ce roman était la revanche de l'écrivain sur la femme du monde insoucieuse et coquette. Dans le roman, la jeune femme va toucher la hache, c'est-à-dire se prêter au châtiment qui interviendra et la conduira à se retirer dans un couvent et à y mourir.

                       

Jacques Rivette, cinéaste bien connu de la Nouvelle Vague, auquel nous devons entre autres La belle noiseuse, a choisi, pour son dernier long métrage, de faire cette adaptation du roman balzacien selon une trame quasi linéaire et en respectant scrupuleusement le texte de l'auteur, les dialogues étant principalement ceux du livre. Cela nous vaut un film intéressant, un peu long, parfois un rien scolaire, mais éclairé de lueurs brillantes, de moments privilégiés et surtout valorisé par le découpage subtil et ludique du temps, grâce au savoir-faire de Nicole Lubtchansky. En ne cessant d'attiser son désir tout en se refusant à lui, au prétexte de la bienséance et de la vertu, Antoinette de Langeais pousse Armand de Montriveau à contester la supériorité morale de l'autorité aristocratique et à bouleverser l'ordre en place. Il faut donc voir le film sous son angle subversif, la fracture que la confrérie secrète des Treize voudrait infliger à la société d'alors - et sous celui de la hantise d'un amour toujours remis en cause. C'est d'ailleurs cet amour malheureux qui conduit Montriveau à agir, comme un conquérant assuré de son impunité, depuis sa première visite à la duchesse s'apprêtant à rejoindre Dieu, jusqu'au constat de sa mort.
 


Jeanne Balibar, assez peu convaincante dans le premier tiers du film, finit peu à peu par s'imposer par sa grâce, sa fragilité et cette fêlure que la vie lui inflige et qu'elle laisse sourdre avec sensibilité, face à un Guillaume Depardieu, dont le jeu manque de sobriété parfois ou qui agace par une tendance au cabotinage. Par contre, les seconds rôles tenus par Bulle Ogier et Piccoli sont savoureux et tous deux s'en donnent à coeur joie avec autant de drôlerie que d'insolence. Un film qui n'emporte pas totalement l'adhésion, mais vous donne envie de replonger dans le chef-d'oeuvre balzacien.

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, dont  La belle noiseuse, cliquer sur le lien ci-dessous :
 

 

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31 mars 2007 6 31 /03 /mars /2007 17:54
GETTING HOME de ZHANG YANG

                                 

Zhang Yang, né en Chine en 1965, prend une place de plus en plus importante parmi les metteurs en scène chinois et a déjà obtenu un nombre important de prix dans les festivals internationaux. Entre autres : le Prix de la Critique à Toronto, celui du Meilleur Réalisateur à San Sebastian, le Prix du Public à Thessalonique en 1999 et, ce, pour Shower, un film qui rendait avec humour et tendresse un hommage aux coutumes ancestrales de la Chine, particulièrement à celles qui entourent le rituel du bain. Enfin le cinéaste fut récompensé du Prix du Meilleur Réalisateur à Seattle et du Prix du Public à Rotterdam en 2000. Zhang Yang débuta avec Aiqing mala tang (Spicy Love Soup) qui sera un immense succès et lui permettra de produire ensuite un second film Shower, qui en sera un plus grand encore, puis en 2004 Xiangrikui  (Sunflower). Avec Shower, il nous narrait l'histoire d'un des derniers établissements de bains de Pékin avec la nostalgie que l'on devine et que l'on retrouve dans sa dernière production présentée à Deauville cet après-midi en sa présence : Getting home. Ce film retrace l'histoire de deux copains de chantier qui travaillent l'un près de l'autre depuis des années et aiment prendre une bonne cuite en fin de journée. Mais Liu va mourir soudainement usé par l'alcool et  Zhao, qui pensait mourir avant lui, fera ce qu'il avait demandé à son ami de faire pour lui, au cas où il décéderait sur les lieux de leur travail : le ramener dans sa terre natale pour y être inhumé et ne pas devenir, pour l'éternité, un fantôme errant. Ce retour va l'obliger à parcourir, le plus souvent à pied, des milliers de kilomètres à travers la Chine et revêtir le caractère d'une épopée pleine d'émotion, de drôlerie et de rebondissements, qui nous brosse, par la même occasion, un portrait subtil et savoureux de la Chine d'aujourd'hui. Il faut souligner que ce film plein de qualité, sait admirablement doser le pittoresque et le sensible, le tendre et l'ironique et bénéficie du jeu touchant d'un merveilleux acteur Zhao Benshan dans le rôle de Zhao. Il n'a pas cessé de me faire penser à Marcello Mastroianni par son naturel, son épaisseur humaine, la finesse de son jeu tout en demi-teinte. Cet acteur est infiniment bouleversant, sincère, chaleureux dans ce rôle d'un homme bon plongé dans un monde qui ne l'est pas, car qu'est-ce que ce film, sinon un regard nostalgique adressé à une humanité en train de s'anéantir dans le bruit, la confusion d'une société moderne prise dans une accélération un peu folle et qui ne sait plus guère respecter ses traditions, ses usages, ses valeurs et ses devoirs à l'égard des autres ? On pourrait rapprocher Getting home du  Mariage de Tuya, tant la vision de ces deux auteurs est proche et respectueuse de la sagesse, de la droiture de nos anciens, ce quelque chose qui n'est déjà plus que de l'ordre de la mémoire. A entendre les applaudissements et les bravos du public lorsque la lumière est revenue dans la salle, je crois ne pas avoir été la seule à être touchée par ce beau film.

 

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30 mars 2007 5 30 /03 /mars /2007 22:31
LE MARIAGE DE TUYA de WANG QUAN'AN

Avec ce troisième film, Wang Quan'an s'attache à dépeindre la réalité sociale dans la Chine contemporaine, particulièrement en Mongolie, d'où sa mère est originaire. On sait que cette région est menacée par l'expansion industrielle et que, pour s'approprier les terres, l'administration locale oblige les bergers à les quitter en les persécutant de toutes les façons possibles. Aussi, avant qu'il ne soit trop tard, le réalisateur a-t-il souhaité leur consacrer ce long poème silencieux dans lequel il rend hommage à un style de vie en voie de disparition. L'opus se déroule ainsi au coeur de la Mongolie dans un paysage aride, un plateau entouré d'âpres montagnes. Là, vit, du produit de son troupeau de moutons, une famille dont le mari est devenu impotent à la suite d'un grave accident. Alors qu'il tentait de creuser un puits, il a perdu l'usage d'une de ses jambes, ce qui le prive de participer aux innombrables taches que sa jeune femme Tuya se doit d'accomplir seule : garder les moutons, subvenir aux besoins d'eau qu'elle va chercher trois fois par jour à des kilomètres de son domicile, se consacrer à l'éducation de ses deux enfants, au bon état de la maison etc. Aussi son mari, affecté par l'état de fatigue de sa femme, lui propose-t-il de divorcer, de façon à ce qu'elle puisse refaire sa vie avec un homme jeune, capable de faire face à ses besoins. Celle-ci finit par accepter, à la condition que son vieux mari Bater reste vivre auprès d'eux. Ce qui va compliquer la situation et décourager quelques-uns des prétendants. La vie de cette famille pauvre, isolée, au bord de la misère, nous est contée avec beaucoup de poésie, sans céder au mélodrame, car l'humour, la tendresse sont toujours présents. On partage, dans les moindres détails, cette existence fruste, ces rapports humains dignes et empreints d'une sagesse millénaire. Ainsi, lorsque Bater se retrouve seul dans un foyer et s'ouvre les veines, sa femme, revenue d'urgence auprès de lui, le chapitre à ce propos en lui disant que la vie est un bien trop précieux pour que l'on puisse en user selon son humeur, en cédant à la tentation d'en faire une sorte de chantage. Le dépaysement est également total pour les spectateurs que nous sommes : ces vies sont si loin des nôtres, si lentes et austères que nous sommes subjugués par un récit sans complaisance, éclairé par la sobriété du jeu des interprètes, dont l'émouvante Yu Nan dans le rôle de Tuya. Elle est belle, d'une beauté sans artifice qui lui sied, touchante par sa force, sa fierté, son désir de rester elle-même envers et contre tout, sa noblesse naturelle. Les sentiments qui animent ce film sont profondément authentiques et sincères : ils nous réconcilient avec la nature humaine qui trouve ici, dans cette solitude, une grandeur poignante. Un très beau film qui démontre la diversité du cinéma chinois et nous prend à témoin de l'inexorable évolution de notre société qui semble trop vite oublier d'où elle vient, à défaut de savoir où elle va.

 

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LE MARIAGE DE TUYA de WANG QUAN'AN
LE MARIAGE DE TUYA de WANG QUAN'AN
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30 mars 2007 5 30 /03 /mars /2007 11:11

  Before-We-Fall-in-Love-Again-_-affiche.jpg


Hier, 29 mars 2007, à 19 heures, le Festival du Film Asiatique de Deauville posait un regard admiratif sur un jeune metteur en scène malais, déjà connu des spectateurs deauvillais, pour avoir présenté en 2003 son second film Room to let. Né en 1973, James Lee a d'abord étudié les arts graphiques avant de devenir comédien et se consacrer ensuite à la mise en scène de théâtre. Cinéaste autodidacte, James Lee a réalisé en 2001 son premier long métrage Snipers, un thriller. Il tourne l'année suivante Room to let et en 2004 The Beautiful Washing Machine en Mini DV qui remportera de nombreuses récompenses dont le Prix du Meilleur film et le Prix de la Critique du Festival de Bangkok 2005. Avec Before We Fall in Love Again, il affirme avec éclat son talent et permet au cinéma malais de prendre une place désormais indiscutable au sein du cinéma asiatique, qui était jusqu'alors quasi réservé à la Chine et à la Corée du Sud. Mais voilà qu'apparaissent maintenant le Japon, la Thaïlande et la Malaisie, véritable enrichissement pour le cinéma international.

 

Avec Before We Fall in Love Again, James Lee se propose d'évoquer la disparition comme thème de réflexion. Ce sera, en l'occurrence, celle d'une femme qui quitte son mari non pour rejoindre un amant mais provoque, de ce fait, une rencontre étrange entre deux hommes. Exploration minimaliste d'un amour par son double. James Lee se livre ici à une relecture frondeuse de Wong Kar-Wai (ne faut-il pas tuer le père pour s'affranchir et exister ?), en plaçant la notion du double au coeur de son film, en un puzzle étonnant qui fait un curieux usage du temps, grâce à un montage savant et judicieux. Chacun , à leur manière, Chang et Tong explorent l'absence de la femme qu'ils aiment l'un et l'autre et qu'ils ont déçue. Curieux clin d'oeil aux problèmes que pourraient poser le clonage. Usant de l'épure, James Lee surprend par un final plein d'un humour grinçant. S'il filme la transparence de l'adultère face aux conventions du mariage avec une grâce certaine, il n'en fait pas moins l'allégorie de la désillusion. Satire virulente à l'adresse d'une société vouée toute entière à la contrition et à l'obligeance, hommage en forme de pied de nez à Wong Kar-Wai - le grand cinéaste chinois, auteur entre autres chefs-d'oeuvre de Les Cendres du Temps, Chungking Express et  In The Mood for Love, ce qui lui valut d'être surnommé le Tarantino chinois - et critique tout aussi virulente à l'égard des hommes qui ne savent plus assumer leur rôle d'homme, inversion d'un monde en plein désarroi. Un film subtil et surprenant, d'une tonalité très personnelle, qui laisse présager un bel avenir à cet auteur.

                 


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29 mars 2007 4 29 /03 /mars /2007 13:21
SYNDROMES AND A CENTURY de APICHATPONG WEERASETHAKUL

                           

Ce film, d'un jeune cinéaste thaïlandais né en 1970 à Bangkok, présenté en avant-première lors du dernier Festival du Cinéma Asiatique de Deauville, fin mars, avait retenu l'attention admirative des jurés, non sans raison. Car l'écriture de Weerasethakul ne manque ni d'originalité, ni surtout de sensibilité. Ce metteur en scène pratique l'art subtil de procéder par touches légères pour peindre les sentiments, exprimer les élans amoureux ou traduire la mélancolie et la fatale nostalgie qui semblent saisir les personnages à l'évocation du passé. Le film se décline en deux temps : le premier nous décrit l'existence d'une femme médecin et se situe dans un environnement rappelant celui dans lequel l'auteur est né et a grandi, tandis que le second se déroule dans un environnement plus proche du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, ce qui contribue à créer une atmosphère étrange et décalée, comme si nous goûtions à un fruit partagé en son milieu. Si on peut déplorer que le titre du film soit peu attrayant, on ne peut que se laisser prendre au charme un peu lent de cette symphonie naïve et délicate de la vie hospitalière et de ce milieu fermé, sorte d'enclave protégée, où l'homme est plus que nulle part ailleurs mis à nu en ses doutes, ses peurs, ses espérances. Nous sautons les générations  dans un climat où l'affrontement avec la modernité se heurte aux croyances millénaires en des forces célestes qui agissent secrètement et nous dépassent. On sent que le cinéaste peine à faire la part équitable entre l'ancien et le moderne,  l'expérimental et l'ancestral. Et c'est justement ce qui donne au film sa note singulière, sa petite musique personnelle et intime, traversée par le souci d'un rêve irréalisable et permanent qui procure à ce long métrage son unité. Que ce soit médecins ou boudhistes en robe safran, tous n'ont qu'un désir : apporter un peu de réconfort à leurs semblables.  

                        

L'une des causes principales de l'intérêt indiscutable qu'exerce sur nous ce cinéma, venu d'ailleurs, est l'interrogation lancinante à propos de notre devenir, l'inquiétude justifiée à l'égard d'une évolution de plus en plus rapide qui ne tient pas assez compte des aspirations humaines et ne prête aux choses et aux actes qu'une valeur marchande. Cela m'avait frappée lors du Festival de Deauville. Le mérite des cinéastes asiatiques est de savoir nous inquiéter astucieusement sur nos références essentielles, de nous replacer dans le contexte d'un choix décisif, nous prenant à témoin de cette évidence que le monde ne peut avancer dans la bonne direction s'il ne respecte pas les valeurs du passé. Il semble que l'interrogation, particulièrement chère à un auteur comme Weerasethakul, soit la suivante : n'avons-nous pas galvaudé l'héritage de nos ancêtres ? Ne serait-ce que pour cette constante remise en cause, le cinéma extrême oriental, avec des films comme celui-ci, justifie notre admiration et notre sympathie. D'autant qu'ils sont bien réalisés sur le plan technique et remarquablement interprétés par des acteurs qui s'investissent avec ferveur dans leurs rôles.

 

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26 mars 2007 1 26 /03 /mars /2007 09:44
ENSEMBLE, C'EST TOUT de CLAUDE BERRI

                                                                                           

Claude Berri pouvait être heureux de sa dernière réalisation qui était une réussite. "Ensemble, c'est tout"  est une histoire simple, inspirée d'un roman à succès d'Anna Gavalda, véritable hymne à la vie, où se croisent quatre destins ou plutôt quatre solitudes, celle de Camille, jeune fille qui grelotte dans sa mansarde, celle de l'aristocrate Philibert, bègue et timide, de Franck, brave coeur et grande gueule, et de sa grand-mère Paulette, délicieuse octogénaire, qu'il s'apprête à faire entrer dans une maison de retraite. L'amitié, l'amour et la tendresse vont souder ces trois jeunes paumés et cette vieille dame, petite troupe perdue qui se réunit dans un vaste appartement et s'engage dans un nouveau départ avec une perspective enrichie par l'optimisme et la générosité.


Au commencement, il y avait donc ce roman d'Anna Gavalda que Claude Berri avait lu d'une traite et dont il avait acheté les droits : A l'époque, je n'étais pas sûr d'en faire un film, dit-il. Puis je suis parti en vacances en Corse. Je n'aime pas les vacances... Je me suis mis à écrire le scénario. Et plus j'avançais, plus je riais et j'entrevoyais des scènes magnifiques. Après, j'ai proposé à Anna Gavalda de travailler avec moi. Elle a lu le début de l'adaptation. Tout lui plaisait et elle m'a dit : faites-le vous-même !                       

 

Finalement, après avoir pensé à plusieurs metteurs en scène, Berri se décide à suive le conseil de la romancière et à passer lui-même derrière la caméra. "Le roman était très dense, mais je n'ai rien édulcoré. J'en ai plutôt rajouté (...) Tout le monde m'a aidé et tout fait pour me faciliter le travail". Pour le choix des interprètes, le hasard a bien fait les choses. Pour jouer la grand-mère, Berri avait pensé à Tsilla Chelton, la mémorable Tatie Danièle, mais les assurances refusèrent de la couvrir pour un rôle très lourd, si bien que le metteur en scène choisit Françoise Bertin : " Avec elle, j'ai eu un choc. Et dans la scène où elle se déshabille, elle l'a fait sans problème. Elle était heureuse de jouer le rôle".
 


Quant à Audrey Tautou, elle fut une rencontre plus tardive car Berri avait d'abord choisi Charlotte Gainsbourg. Mais cette dernière s'étant blessée dans un accident de snowboard, le rôle revint tout naturellement à Audrey qui l'accepta avec bonheur. Même enthousiasme pour Guillaume Canet, qui correspond si bien au personnage, et pour Laurent Stocker, sociétaire de la Comédie-Française, qui a peu joué jusqu'à présent au cinéma et se révèle être un acteur au charme captivant dans ce jeune homme très vieille France, à la fois raffiné et discret, inhibé et ouvert, que son naturel pousse à s'intéresser à son entourage et à lui venir en aide. La troupe est alors au complet et le film peut débuter dans une ambiance où s'épanouit la générosité des coeurs et où les classes sociales se mêlent dans une heureuse harmonie. Ce film est merveilleusement tonique et revigorant et nous donne une vision optimiste des êtres. C'est beau comme du cinéma et rassurant comme on aimerait que la vie le soit plus souvent. Comme je vous le disais en commençant cet article : une réussite.

 

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ENSEMBLE, C'EST TOUT de CLAUDE BERRI
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23 mars 2007 5 23 /03 /mars /2007 10:44
JACQUES TATI OU LE BURLESQUE REVISITE

                       

Voilà qu'apparaît dans ce cinéma des années 50/60 qui tend à se scléroser un franc-tireur, un inventeur, un acteur comique formé à l'école du mime et du music-hall, admiré de Colette dès 1931, dont le nom est Jacques Tatischeff dit Tati, réalisateur de plusieurs courts métrages et que "Jour de fête" , en 1947, va révéler au public de façon éclatante. "Jour de fête" est son premier long métrage, tourné en extérieur à Sainte-Sévère dans l'Indre. Bien entendu, les producteurs avaient refusé le projet et le film dut être monté en coopérative, grâce à l'appui financier de Fred Orain. L'histoire est toute simple : un village se prépare à sa fête annuelle et les forains commencent à installer leurs stands et leurs manèges. François, le facteur, moustachu et dégingandé, fait sa tournée habituelle sur son vieux vélo - modèle peugeot 1911. Mais celui-ci, après avoir assisté à la projection d'un documentaire sur le service postal aux Etats-Unis, s'est laissé convaincre par quelques farceurs de mettre à profit, pour lui-même, l'efficacité de ces méthodes modernes. Le facteur, qui ne doute de rien, va donc s'y employer dans la mesure de ses moyens et exécuter une tournée-distribution de courrier ultra rapide à l'américaine, bourrée de gags inattendus et d'une efficacité remarquable - créant des situations comiques du meilleur effet, cela dans une atmosphère sonore qui souligne l'image sans la perturber, l'auteur sachant utiliser au mieux un cinéma visuel et non bavard, comme le faisait si bien Charlie Chaplin au temps du muet. Le film terminé, Jacques Tati ne trouve pas  de distributeur et lorsque celui-ci sort enfin en 1949, l'accueil enthousiaste qu'il recueille fait prendre conscience aux producteurs français que le public a mis moins de temps qu'eux à reconnaître le talent du cinéaste et de l'acteur. "Jour de fête" sera d'ailleurs couronné par le Prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise et l'année suivante du Grand Prix du Cinéma français. Ce n'est pas le moindre paradoxe. Fort de ce succès, Tati va créer le personnage de Monsieur Hulot, autre silhouette dégingandée mais, cette fois, sans moustache, personnage qui pourrait être le cousin citadin du facteur François, silhouette qui deviendra familière avec son pantalon de toile blanche, son chapeau cabossé, ses chaussettes rayées et ses chaussures de tennis, auxquels s'ajoutera assez fréquemment une pipe. Monsieur Hulot est entré dans notre paysage de cinéphile à bord de sa voiture pétaradante et n'en sortira plus. Dans ce second film "Les Vacances de monsieur Hulot" (1953), on partage avec cet ami extravagant deux semaines de vacances sur une plage bretonne proche de Saint-Nazaire, où nous le voyons semer le trouble par ses maladresses, ses fantaisies, ses manières d'hurluberlu parmi la clientèle de l'hôtel où il séjourne, avec un irrésistible plaisir. Tati a su saisir le rituel des vacanciers et les attitudes estivales de la classe moyenne, à l'heure où notre société entre dans l'ère de la consommation de masse. De cette observation aiguë va naître une poésie du quotidien profondément intelligente, servie par une grande liberté d'écriture qui préfigure déjà ce que sera, quelques années plus tard, la Nouvelle Vague, soucieuse de filmer en temps réel et sur le vif le monde contemporain. Hulot, l'innocent, l'optimiste, le fantaisiste, l'incorrigible gaffeur affirme son individualité à l'égard d'une société dont le conformisme est décapé sans méchanceté par des gags inénarrables.

 

                                                                                   
Aux vacances de Mr Hulot succède "Mon Oncle" (1958), tourné en couleurs. Hulot habite alors une maison tarabiscotée dans la banlieue parisienne en pleine rénovation, envahie de grues et de pelleteuses dans un bruit assourdissant. Célibataire, il est très attaché à son neveu qui habite avec ses parents une villa coquette d'un quartier résidentiel pourvue des derniers équipements et gadgets à la mode. Hulot vient souvent lui  rendre visite et se plait à emmener l'enfant se promener et se distraire. Il en profite pour lui faire découvrir un monde inhabituel, celui des terrains vagues, des jeux où entre une grande part d'imagination. Pour l'enfant, c'est tout bonnement l'apparition d'un univers inconnu où l'on s'accorde quelques permissions et quelques débordements et dont on revient avec les mains sales et les genoux écorchés, au grand dam des parents. En 1958, la France est à l'orée de ce que l'on appellera la société de consommation. Aussi,  pour créer un habitat plus conforme aux normes exigées par la vie moderne, commence-t-on à raser les immeubles insalubres. "Mon Oncle" a été tourné à Saint-Maur et son comique naît principalement du contraste entre le quartier huppé des nouveaux riches (auxquels appartiennent la soeur et le beau-frère de Mr Hulot) et les quartiers anciens, faits de bric et de broc, mais qui ont conservé leur chaleur villageoise. Au conformisme de la modernité s'oppose la poésie des terrains vagues, des chiens errants et du petit peuple de la France profonde. L'utilisation remarquable des sons, du langage, des gags empruntés à la réalité la plus immédiate font de "Mon Oncle", comme des "Vacances de monsieur Hulot", des chefs-d'oeuvre où se tissent étroitement satire du présent et nostalgie du passé. Du progrès, Tati prévoyait en visionnaire les effets déshumanisants et affirmait pour lui-même son inadaptation à une modernité sans âme, dont la jeunesse est la première à souffrir aujourd'hui. Le cinéaste défendait ainsi une certaine idée d'un bonheur paisible, fondé sur des relations humaines harmonieuses et faisait, pour nous en convaincre, exister un  univers conforme au rythme de l'homme.  
Après "Mon Oncle", il va travailler pendant des années à "Playtime", qui coûtera 15 millions de francs et construira, en studio, pour les besoins du film, le décor d'une ville ultra-moderne avec gratte-ciel et buildings industriels en verre et acier. Présenté pour les fêtes de fin d'année 1967, ce long métrage, sorte d'oeuvre testament, après un certain succès de curiosité, va être une catastrophe commerciale dont Tati ne se remettra jamais. Le public ne le suit guère dans les dédales de cette ville où les touristes cherchent vainement le Paris folklorique d'antan. Ce monde kafkaïen les égare, seul Hulot reste Hulot avec son imperméable, son parapluie et son chapeau, mais les disproportions entre ce nouveau monde et l'ancien désorientent complètement les spectateurs pas encore prêts à une anticipation qui les prend de cours. Décidément cette satire mécanique, uniforme et glaciale, déplait aux Français qui entendent, d'une part, goûter aux bienfaits de l'industrialisation et, d'autre part, ne comprennent pas que le cinéaste se soit à ce point endetté pour un film qui n'avait d'autre objectif que celui de les distraire. Tati s'en expliquera par la suite et procédera à des coupures, mais cela ne suffira pas à sauver ce monument incompris qui le ruinera. Truffaut lui écrira à ce propos : "C'est un film qui vient d'une autre planète où l'on tourne les films différemment. Playtime, c'est peut-être l'Europe de 1968 filmée par le premier cinéaste martien, "leur" Louis Lumière ! Alors il voit ce que l'on ne voit plus et il entend ce que l'on n'entend plus et filme autrement que nous". Les soucis pécuniaires et les désagréments qu'engendrera cette oeuvre titanesque, si mal perçue, assombriront les dernières années de vie de celui qui avait cru possible de faire entrer la parodie sur le grand écran pour contrefaire la réalité tragique de la vie, de façon à ce que le rire l'emporte sur l'inquiétude. Tati tournera encore "Trafic" en 1970 et "Parade" en 1974, mais le coeur n'y sera plus. Souvenons-nous que les génies ont toujours tort avant les autres et toujours raison après eux...Il meurt à Paris le 5 novembre 1982.

 

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JACQUES TATI OU LE BURLESQUE REVISITE
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17 mars 2007 6 17 /03 /mars /2007 09:36
LA CITE INTERDITE DE ZHANG YIMOU

                         
Chef de file d'une nouvelle génération de cinéaste, Zhang Yimou, né en 1950, voit ses études stoppées par la révolution culturelle et se trouve dans l'obligation de travailler deux années dans une ferme et six dans une usine de textile. A 28 ans, bien que trop âgé pour se présenter au concours de l'Institut du cinéma, il arrache une dérogation et obtient son diplôme en 1982.  Il commence alors une carrière de photographe avant de signer, en 1984, les prises de vue de Terre jaune , un film réalisé par Chen Kaige. Après le succès remporté par ce long métrage, Yimou décide de tenter l'aventure et de tourner son premier film. Ce sera Le Sorgho rouge avec Gong Li, une jeune étudiante qu'il déniche à l'institut d'art dramatique de Pékin. Avec ce film, il reçoit l'Ours d'or au Festival de Berlin et fait ainsi entrer le cinéma chinois sur la scène internationale. Ayant épousé Gong Li, le cinéaste et l'actrice, qui ne se quittent plus, vont associer leurs talents dans six autres films dont Epouses et concubines (1991), Qiu Ju, une femme chinoise (1992), Vivre ! (1994) et Shanghai Triad (1995). Zhang y décrit des héroïnes écrasées par un pouvoir, une administration ou simplement le poids de la Chine. La critique, pour souligner le courage du créateur, ne se prive pas de mentionner que ses  films sont interdits dans son propre pays. En 1994, pour avoir présenté Vivre ! à Cannes sans autorisation, Yimou sera obligé de rédiger une autocritique digne des années noires du maoïsme. Depuis lors, le metteur en scène s'est spécialisé dans un cinéma à grand spectacle, d'un esthétisme raffiné à l'extrême et nous offre aujourd'hui, avec La cité interdite, un long métrage ambitieux, le plus cher du cinéma chinois, qui marque ses retrouvailles avec sa muse, la belle Gong Li , dont il s'était séparé il y a une dizaine d'années. Cette tragédie shakespearienne se déroule par séquences de plus en plus belliqueuses, parcourue de rumeurs de couloirs, de désirs coupables et de frustrations, opposant l'un à l'autre, une reine emprisonnée dans le statut étouffant de sa condition et un roi, décidé à se débarrasser d'elle, tant il la sait menaçante et infidèle. Certes, cette histoire d'une dynastie (en l'occurrence celle des Tang), aux prises avec les complots qu'inspire la succession au trône de trois héritiers,  permet au réalisateur d'avoir recours à des compositions esthétiques étourdissantes, afin de nous décrire le faste délirant dans lequel ces dynasties vivaient, à l'intérieur de la cité interdite, où les alliances et les intrigues de palais se faisaient et se défaisaient chaque jour. Si le film impressionne, il lui arrive aussi de céder à l'emphase de par un esthétisme qui frise l'obsession et par des scènes de combat souvent brouillonnes, mais il faut reconnaître au cinéaste le souci de nous décrire, en ses moindres détails, chaque coutume, chaque geste impérial, reflétant, peut-être, l'étrange nostalgie que la Chine contemporaine nourrit à l'égard de son puissant passé féodal.

                      

Au Xe siècle, et jusqu'à la chute de la monarchie chinoise en 1912, les empereurs demeuraient dans la Cité Interdite, véritable ville dans la ville, domaine de 72 ha, qui était considérée comme le centre de la Terre. C'est la raison pour laquelle on la nommait Cité Interdite, associant la cité impériale et le coeur de l'Univers. En définitive, cette fresque historique admirablement reconstituée par une mise en scène grandiose où alternent la grâce des scènes intimes et l'âpre virilité des scènes de combat, les images sublimes, les décors et costumes somptueux, souffre à certains moments de cette surabondance, ce qui la prive d'émotion, mais n'en reste pas moins une oeuvre époustouflante que dirige un metteur en scène virtuose. Elle est aussi une allusion subtile, comme celle que fit autrefois Eisenstein avec Ivan le Terrible, à ceux qui veulent s'emparer du pouvoir par la force et rompent ainsi l'ordonnance du monde et les règles immuables de la loi, plongeant les peuples et les civilisations dans le désordre et le chaos. Car les peuples passent comme les floraisons de chrysanthèmes, mais la loi demeure qui assigne à chacun sa place. Les trois héritiers périront parce qu'ils l'auront enfreinte d'une façon ou d'une autre, de même que la reine qu'un breuvage savant empoisonne à petit feu. Ce sujet difficile prouve avec éclat la liberté d'esprit de ce cinéaste génial qui, par delà  une mise en scène flamboyante, nous adresse un  message exhumé des profondeurs du temps. Gong Li, à nouveau dirigée par un metteur en scène qui la connait mieux que personne, trouve un rôle taillé à sa mesure et resplendit littéralement dans ce personnage de femme partagée entre ses angoisses d'épouse menacée  et d'amante coupable, tandis que Chow Yun-Fat est extraordinaire dans celui de l'empereur, majestueux et inquiétant.  Le metteur en scène sait, par ailleurs, conduire d'une main ferme ses impressionnantes armées de figurants volants qui dans le feu et l'or embrasent l'écran de leurs combats terrifiants et illusoires. Un film qui frise le chef-d'oeuvre s'il n'était pas trop encombré d'effets spéciaux,  mais prouve la vitalité du cinéma chinois. Saisissant.

 

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ZHANG YIMOU - PORTRAIT         GONG LI - PORTRAIT

 

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  • : LA PLUME ET L'IMAGE
  • : Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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Texte Libre

Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


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