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7 octobre 2006 6 07 /10 /octobre /2006 08:55

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Les Enchaînés (Notorious), qui datent de 1946, se situent au milieu de la carrière cinématographique d'Alfred Hitchcock qui la débuta en 1922 avec un film resté inachevé Number Thirteen et la termina en 1976 avec Complot de famille. Ce long métrage a énormément compté pour le metteur en scène qui s'y référait souvent lorsqu'il commençait un nouveau film. Il disait que sa réussite devait beaucoup à la perfection de la distribution : Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains et Léopoldine Konstantin. A ce propos, Truffaut, qui a longuement interrogé Hitchcock (Hitchcock/Truffaut-Ed. Ramsay), considérait Les Enchaînés comme l'un de ses films les plus aboutis, du moins de ceux tournés en noir et blanc. " Lorsque nous avons entrepris d'écrire Notorious, disait Hitchcock, le principe du film était déjà établi : l'héroïne Ingrid Bergman devait se rendre en Amérique latine accompagnée d'un homme du FBI, Cary Grant, et elle devait pénétrer dans la maison d'un groupe de nazis et découvrir leur activité. Primitivement nous faisions entrer dans cette histoire des gens du gouvernement, des gens de la police, et des groupes de réfugiés allemands en Amérique latine qui s'entraînaient et s'armaient clandestinement dans des camps, en vue de former une armée secrète ; mais nous ne savions pas ce que nous allions faire de cette armée quand elle serait constituée, alors nous avons envoyé promener tout cela et nous avons adopté un principe plus simple, concret et visuel : un échantillon d'uranium dans une bouteille de vin. Car l'uranium peut servir à fabriquer une bombe atomique. Cela se passait en 1944, un an avant Hiroshima. Je n'avais là-dessus qu'une indication, une piste. Un écrivain de mes amis m'avait affirmé que quelque part dans le désert du Nouveau-Mexique, des savants travaillaient sur un projet secret, tellement secret que, lorsqu'ils entraient dans l'usine, ils n'en sortaient jamais."

 

Rappelons-nous, en effet, le scénario du film : Alicia est la fille d'un espion nazi qui s'est suicidé. Un agent du renseignement, interprété par Cary Grant, lui propose alors une mission qu'elle accepte et tous deux partent pour Rio. La mission d'Alicia consiste à prendre contact avec un ancien ami de son père, dont la demeure sert de repaire à des espions nazis réfugiés au Brésil. Bien que très éprise de Devlin, Alicia va accepter d'épouser Sébastian, espérant que Devlin l'en empêchera et lui déclarera son amour. Mais celui-ci se refuse à mêler business et sentiment. Alicia est désormais entrée dans le sérail et un jour s'empare d'une clé que Sébastian garde toujours sur lui, supposant que cette clé est d'une importance capitale. Or l'occasion lui est donnée, au cours d'une réception, d'inspecter la cave, grâce à cette précieuse clé, et d'y découvrir de l'uranium dissimulé dans des bouteilles de vin. Sébastian comprend soudain, à la suite de regroupements, que sa femme travaille pour les Etats-Unis et, avec l'aide de sa redoutable mère, décide de l'empoisonner lentement afin que sa disparition puisse apparaître comme naturelle. Devlin, ne voyant plus Alicia, devine ce qui se trame, et fait en sorte de la rejoindre dans sa chambre, où elle s'éteint doucement. Il lui avoue son amour et, la soutenant dans ses bras, s'enfuit avec elle, ce, en présence de Sébastian, qui, par crainte de ses complices, ne peut rien tenter pour les retenir.

 

 

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Pas une minute, l'intérêt du film ne faiblit. Il va croissant, grâce à une stylisation simple et ponctuelle. En général, dans un film d'espionnage, il y a de nombreux éléments de violence, alors que là tout se joue en demi-ton : le lent empoisonnement à l'arsenic qui est une façon de disposer de la vie de quelqu'un sans se faire repérer. La mise en scène est volontairement dépouillée, réduite à l'essentiel, ce qui ajoute encore à l'atmosphère oppressante et rend plus cohérente l'action psychologique des personnages. En définitive, l'histoire des Enchaînés est le vieux conflit de l'amour et du devoir. Le cinéaste a introduit un drame psychologique dans une histoire d'espionnage. D'autre part, c'est à partir des Enchaînés qu'entre dans le cinéma du maître une part importante d'érotisme. Rien à voir avec l'érotisme hard d'aujourd'hui, mais, dès lors, les scènes d'amour sont filmées de façon plus suggestives. La critique ne se privera pas, à la sortie du film, d'user d'un slogan racoleur : le plus long baiser de l'histoire du cinéma, à propos de celui échangé par Cary Grant et Ingrid Bergman. "Evidemment, les acteurs ont détesté faire ça", dira Hitchcock. Ils se sentaient terriblement mal à l'aise et ils souffraient de la façon dont ils devaient s'accrocher l'un à l'autre. Je leur ai dit alors - que vous soyez à l'aise ou non m'importe peu ; tout ce qui m'intéresse c'est l'effet que l'on obtiendra sur l'écran. Cette scène a été conçue pour montrer le désir qu'ils ont l'un de l'autre et il fallait éviter par-dessus tout de briser le ton, l'atmosphère dramatique. Je sentais aussi que la caméra, représentant le public, devait être admise comme une tierce personne à se joindre à cette longue embrassade. Je donnais au public le grand privilège d'embrasser Cary Grant et Ingrid Bergman ensemble. C'était une sorte de ménage à trois temporaire."

 

 

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Pour Hitchcock, les plus beaux crimes étant domestiques, il illustre cet axiome à la perfection dans Les Enchaînés, où le mari s'emploie à supprimer sa femme, devenue un témoin gênant, de façon lente et calculée. Dans l'histoire, le symbole du mal n'en reste pas moins la belle-mère, rôle interprété merveilleusement, et avec un réalisme puissant, par Léopoldine Konstantin. Si elle prend plaisir à empoisonner sa bru, c'est parce que celle-ci a capté l'amour de son fils et renié un père nazi. En une image révélatrice, Hitchcock montre Léopoldine brusquement chauve, la cigarette entre les lèvres, allongée sur le lit où elle trame ses mortels complots. Le cinéaste ne finira jamais d'explorer les rapports entre l'amour et le crime, ce qui donne à ses films une ampleur et une résonnance captivantes. L'interprétation des Enchaînés est en tous points remarquable. Le jeu subtil d'Ingrid Bergman s'accorde parfaitement à la fine ironie de Cary Grant qui tient là un de ses meilleurs rôles. A ce couple idéal et sublime, il faut ajouter les prestations d'un Claude Rains en mari déçu et amer et d'une Léopoldine Konstantin diabolique à souhait. L'un des chefs-d'oeuvre de Hitchcock.

 


Pour lire les acticles consacrés aux acteurs et actrices de Hitchcock, à Ingrid Bergman et au réalisateur lui-même, cliquer sur leurs titres :
 

 

 INGRID BERGMAN - PORTRAIT

 


ALFRED HITCHCOCK - UNE FILMOGRAPHIE DE L'ANXIETE

 

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA AMERICAIN, dont la plupart des films de Hitchcock, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

 
LISTE DES FILMS DU CINEMA AMERICAIN ET CANADIEN

 

 

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5 octobre 2006 4 05 /10 /octobre /2006 10:57
ALFRED HITCHCOCK - UNE FILMOGRAPHIE DE L'ANXIETE

 

Alfred Hitchcock, né à Londres le 13 août 1899, mort à Los Angeles le 29 avril 1980, est sans nul doute l'un des cinéastes les plus importants du 7e Art. Pour nous en persuader, il suffit de se souvenir de l'admiration que lui portèrent des cinéastes comme Rohmer et Truffaut, qui ont permis de révéler la profondeur fantastique de cet univers, de même que l'on ne peut nier, en revisionnant sa filmographie, son envergure et son originalité sans pareilles et l'influence considérable qu'il n'a cessé d'exercer sur les différentes générations  jusqu'à aujourd'hui. Hitchcock a créé une oeuvre unique, d'abord parce qu'il fît preuve d'un style inimitable et qu'il sût de façon très habile se servir de tous les moyens mis à sa disposition par un art  qui s'exprime en premier lieu de manière visuelle. La volonté de faire en sorte de retenir coûte que coûte l'attention du spectateur et de susciter, puis de préserver l'émotion, afin de maintenir la tension jusqu'au final, a régi chacune de ses productions. Hitchcock usa de son emprise et de sa domination non seulement sur les moments forts de l'histoire, mais sur les scènes d'exposition, de transition, et sur celles même considérées comme ingrates dans les films. Comment ? Simplement parce qu'il excellait à saisir les rapports les plus subtils entre les êtres et qu'il se refusait à avoir recours aux dialogues explicatifs, filmant directement les sentiments tels le soupçon, la jalousie, l'envie, le désir, ce qui donne aux scènes une remarquable efficacité. Il est peut-être le seul héritier de ce que le cinéma muet a su inaugurer dans la technique de la suggestion effective, tant il maîtrisa les problèmes de construction du scénario, du montage et de la photographie. Il contrôla ces diverses étapes et imposa à chacun de ces stades ses idées personnelles, d'où ce style qui nous permet de l'identifier immédiatement.  Pas seulement dans les scènes de suspense, mais parce que la qualité dramatique du cadrage, le jeu complexe des regards, les silences, qui prêtent à chaque film un tempo étrange et le sentiment donné au public que l'un des personnages l'emporte sur l'autre, enfin dans  l'art de conduire une émotion au gré de sa propre sensibilité, font que nous reconnaissons le style hitchcockien d'emblée.

 

"On m'a souvent demandé, pourquoi j'avais une prédilection pour le crime", -  racontait Hitchcock. Et j'ai toujours répondu : "Parce qu'il s'agit d'une occupation typiquement anglaise". Cette boutade est à prendre au pied de la lettre. La peur, la crainte ont tissé la personnalité de cet homme  depuis l'enfance. On peut, en effet, classer le cinéaste parmi les artistes inquiets comme le furent Kafka, Dostoïevski, Poe. S'ils n'ont pas la faculté de nous aider à vivre, puisqu'eux-mêmes vivent difficilement, leur mission est de nous faire partager leurs hantises et, par voie de conséquence, de nous faire mieux connaître les nôtres. Cependant Hitchcock n'est pas à proprement parler un artiste maudit ou incompris. Le succès, la popularité lui ont été familiers. Certes, il n'est pas difficile de gagner l'adhésion du public quand on rit des mêmes choses. Mais ne fut-il pas malgré tout un homme spécial de par son apparence, sa morale, ses craintes, ses appréhensions ? Dès l'adolescence, il était conscient que son physique ingrat le tenait à l'écart ; aussi s'est-il retiré dans son art pour mieux observer le monde. Et avec quel regard, parfois quelle sévérité ! L'oeil de quelqu'un qui regarde sans participer. C'est pourquoi l'image hitchcockienne est, par excellence, celle de l'homme innocent qu'on prend pour un autre, qui porte sur lui la culpabilité, la faute inexpiable de ne pas être celui que l'on croit. Après une longue collaboration avec David O. Selznick, qui sera tendue mais fructueuse,  Hitchcock met sur pied sa propre maison de production, ses films étant distribués par la Warner Bros. Cette nouvelle association produira entre autres : "Les amants du Capricorne" (1949) qui fut un échec commercial et "L'inconnu du Nord-express"  (1951) qui fut un succès. Plus tard, avec la Paramount, le cinéaste bénéficiera d'une liberté d'action sans égale et, en l'espace de quelques années, au sommet de sa créativité, il réalisera ses films les plus importants. Parmi la cinquantaine qui compose sa filmographie, on peut citer : " Les enchaînés" (1946)  - "Le crime était presque parfait" (1954) - "Fenêtre sur cour" (1954) - "La main au collet" ( 1955 ) - "Mais qui a tué Harry ?"  (1955) - "Sueurs froides" (1958) - "La mort aux trousses" (1959) - "Psychose" (1960) - "Les oiseaux" (1963) - "Pas de printemps pour Marnie" (1964), films dont je vous propose l'analyse sur ce blog, pour la bonne raison, qu'ils sont tous d'incontestables chefs-d'oeuvre.

 

Lorsque le cinéma a été inventé, il a d'abord été utilisé aux fins d'enregistrer la vie, de n'être qu'une extension de la photographie. Il est devenu un art à part entière lorsqu'il a cessé de se cantonner au documentaire. Alfred Hitchcock a souvent déploré le recul qui s'était produit au moment du passage du muet ( qui avait tout inventé ) au parlant qui, trop souvent, se limitait à visualiser des histoires bavardes confiées à des metteurs en scène de théâtre, qui ne faisaient que de les imprimer sur pellicule. Hitchcock fait partie, avec quelques autres comme Chaplin, Stroheim, Lubitsch, de ces artistes qui ne se contentèrent pas de pratiquer leur art mais firent en sorte de l'approfondir, d'en dégager des lois, tout aussi strictes que celles qui régissent le roman. Ainsi, se faisant, ont-ils donné au 7e Art ses lettres de noblesse.  

 

Pour lire l'article consacré aux actrices et acteurs du réalisateur, cliquer sur son titre :

 
HITCHCOCK ET SES STARS

 

Et pour consulter ses films, cliquer sur les liens ci-dessous :

 

LES OISEAUX d'ALFRED HITCHCOCK           LA MORT AUX TROUSSES d'Alfred HITCHCOCK

 

SUEURS FROIDES d'Alfred HITCHCOCK        MAIS QUI A TUE HARRY ? d'Alfred HITCHCOCK

 

LA MAIN AU COLLET d'ALFRED HITCHCOCK        FENETRE SUR COUR d'Alfred HITCHCOCK

 

LE CRIME ETAIT PRESQUE PARFAIT d'Alfred HITCHCOCK

 

L'INCONNU DU NORD-EXPRESS d'Alfred HITCHCOCK

 

LES ENCHAINES d'ALFRED HITCHCOCK        REBECCA d'ALFRED HITCHCOCK

 

 

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19 septembre 2006 2 19 /09 /septembre /2006 10:23
UN DIMANCHE A LA CAMPAGNE de BERTRAND TAVERNIER

 
Cinéphile éclairé et talentueux, Bertrand Tavernier a, en une dizaine d'années, pris place parmi les meilleurs cinéastes contemporains et compte au moins deux chefs-d'oeuvre à son actif. Pour moi, le plus évident est sans nul doute Un dimanche à la campagne, qui renoue avec une tradition oubliée du cinéma français, celle que compose la méditation toute en nuance et en délicatesse sur le temps qui passe de ce film où les passions ne sont exprimées qu'à mots couverts et où l'essentiel reste comme calfeutré dans un univers proche de sa fin. Inattendu de la part de l'auteur du Coup de torchon, ce film a été une surprise et le reste, sorte de lueur automnale dans une filmographie habituellement plus provocante et éclatante de santé. Mais là, il apparaît que le cinéaste a été pris d'une émotion subite pour un monde qui vit ses derniers jours et auquel il a voulu dédier cette oeuvre  poignante de douceur.

 

Né à Lyon en 1941, ce fils de l'écrivain René Tavernier tient de son père son goût passionné pour la littérature. Mais le cinéma l'attire également et bientôt prend le pas sur des tentatives inabouties dans le domaine des lettres. Melville, l'ayant choisi comme assistant pour Léon Morin, prêtre - l'amateur contemplatif devient actif et participe peu de temps après à la réalisation de deux films à sketches : Les baisers  ( 1963 ) et La chance et l'amour (1964), expérience peut-être prématurée pour déboucher sur des lendemains immédiats. Tavernier ne revient au cinéma qu'en 1973, grâce à Philippe Noiret, et adapte alors un roman de Georges Simenon  : L'horloger de Saint-Paul. Le succès sera au rendez-vous et le film remportera le prix convoité Louis Delluc. Tavernier, d'emblée, prend ses distances avec la Nouvelle Vague et fait appel à Aurenche et Bost pour le scénario, ce qui est une revanche, certes tardive, mais néanmoins délectable pour ceux qui avaient été tellement moqués par les lions de la N.V. Pour sa seconde réalisation Que la fête commence, le cinéaste choisit un sujet historique, avec costumes et musique d'époque, aux antipodes de ceux habituellement traités par des Godard et Truffaut, ce qui prouve que l'art est le lieu privilégié des éternels retours. Mais quelques maladresses de construction et une mise en scène un peu hésitante feront que le film sera moins apprécié que le précédent. Heureusement Le juge et l'assassin, avec Noiret et Galabru,  atteste que Tavernier a tous les moyens de surprendre, voire même d'éblouir, et l'étape suivante sera décisive pour l'avenir de sa carrière. Coup sur coup, il va produire deux films totalement différents mais qui font date et où il affirme sa formidable présence dans le cinéma français. Loin, Du coup de Torchon, d'une sève acide et d'une écriture truculente, Un dimanche à la campagne développe une tonalité unie, sans fausse note, et révèle une finesse, une subtilité, dont beaucoup ne croyaient pas le cinéaste capable. C'est le mérite des gens de talent de surprendre au moment où l'on s'y attend le moins.

 

Un dimanche de l'été 1912, Monsieur Ladmiral est seul dans sa vaste demeure de campagne. Seul avec sa vieille servante Mercédès, ses souvenirs et ses regrets. Entre autre regret, celui de ne pas avoir su ou pu saisir l'opportunité du mouvement impressionniste et d'être resté ainsi un peintre mineur. Mais en cette journée estivale, il s'apprête à recevoir son fils, sa belle-fille et ses trois petits-enfants et il s'en réjouit. Réunion de famille ordinaire sans doute, mais qui met un peu de diversion dans son existence monotone. Tout se passerait comme à l'accoutumée, si sa fille Irène ne survenait à l'improviste et ne bouleversait par sa fantaisie, sa modernité, son dynamisme, sa gaieté, une assemblée trop confite et compassée dans ses habitudes. Admirablement interprété par Sabine Azéma et Louis Ducreux, ce long métrage est centré sur ces deux personnages, tête à tête tendu et émouvant d'un père et de sa fille aussi dissemblables que possible, mais comme auréolés d'une tendresse déchirante. Deux mondes se font face dans leur solitude sans s'affronter, ni se blesser, comme saisis de vertige devant l'ampleur du fossé qui les sépare. C'est un adieu en forme de poème, le poème des regards qui se cherchent, se donnent, puis se voilent et sont à l'origine de ravissants moments de comédie. Sabine Azéma atteint parfois des accents sublimes lors de ces dialogues pétris d'affection et de nostalgie. Mais un coup de téléphone va rompre le charme : l'amour l'appelle loin de ce père qui ne peut plus participer à sa vie de jeune  femme active. Elle repart et Monsieur Ladmiral se sent ce soir-là encore un peu plus seul, un peu plus âgé. Il retourne à ses tableaux et probablement à ce qui sera sa dernière composition.  Avec ce film, qui n'exprime guère que les mouvements du coeur, Tavernier se détache et fait cavalier seul, confirmant que, bien inspiré, il peut écrire l'une des pages les plus émouvantes et les plus personnelles de notre 7e Art.

 

Pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA FRANCAIS

 

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UN DIMANCHE A LA CAMPAGNE de BERTRAND TAVERNIER
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14 septembre 2006 4 14 /09 /septembre /2006 15:35
LA FOLIE DES GRANDEURS de GERARD OURY

                           

Souvent dédaigné des critiques du 7ème Art, le cinéma dit " populaire " représente pourtant un phénomène commercial et sociologique qui mérite réflexion et qu'il serait vain de couvrir d'une chape d'indifférence, ou pire de mépris. D'autant que la frontière est souvent assez indistincte entre cinéma commercial et cinéma artistique. Tandis que des cinéastes doués et ambitieux ont souvent été contraints par des impératifs financiers à produire des films de commande sans intérêt - et nous avons vu que cela avait été le cas pour Chabrol, Rohmer et Deville - il arrive que des cinéastes réputés commerciaux fassent des films d'une qualité surprenante, révélant au public un potentiel d'invention et de fantaisie qu'il ne soupçonnait pas. Dans les années 1970- 75, Gérard Oury  apparaît comme l'un des leaders les plus habiles, les plus intelligents à faire recette avec des productions comme  Le cerveau  (1970),  Les aventures de Rabbi Jacob (1972),  qui venaient renforcer les succès éclatants du  Corniaud  (1964) et de  La grande vadrouille  (1966). Or que prouvent les chiffres officiels tirés des statistiques du Centre national de la cinématographie, sinon que le savoir-faire de Gérard Oury, le soin apporté à ses réalisations constituent une forme de talent, que ce talent en vaut bien d'autres, que l'on aurait tort de dédaigner un cinéma qui nous assure un divertissement d'une telle qualité et, ce, sans une once de vulgarité ? Le cinéaste s'inscrit dans une veine, celle du comique français, qui faisait déjà les beaux jours de nos parents avec des films comme Fric-Frac, et n'a cessé de se renouveler, au fil des années, avec une génération comme celle du Splendid qui explosa cinématographiquement en 1978 avec  Les bronzés. 

 

Nous sommes donc et demeurons dans la tradition d'un cinéma artisanal, bien fait, bien pensé, distrayant, qui sonne juste et utilise à merveille les ressources de quelques-uns de nos acteurs les plus talentueux. Cela avait été le cas autrefois avec Arletty, Michel Simon et Fernandel, ce sera ensuite  celui d'un Bourvil, d'un Louis de Funès, le tour est venu, aujourd'hui, des Jugnot, Michel Blanc, Anémone, Balasko. Le cinéma français n'a pas perdu la main en ce domaine, il semble que la relève soit assurée à condition que le niveau se maintienne et que les réalisateurs ne se laissent pas  entraîner à des remake superflus ou des films trop vite bâclés.

 

Mais revenons à  Gérard Oury  qui fut un maître en l'occurrence de ce cinéma comique. Chez lui la règle demeure immuable : une intrigue fondée sur un enchaînement rigoureux de quiproquos propice à l'irruption du rire, une grande liberté laissée aux comédiens et, en contrepoint, un hommage rendu à l'esprit français dont on sait qu'il est un mélange savoureux de débrouillardise,  de sautes d'humeur et de franche camaraderie. Le principe d'opposer deux caractères aux antipodes l'un de l'autre et qui, peu à peu et souvent par la force des choses, deviennent complices, est une des bases de départ utilisée de manière astucieuse par le cinéaste. Nous avons vu le couple formé par Louis de Funès et Bourvil, nous allons découvrir dans  La folie des grandeurs, celui que composent le même  Louis de Funès et  Yves Montand. Oury se plait ensuite à placer ses personnages dans une situation historique - ce sera le cas des Folies -  ou politique :  l'occupation pour La grande vadrouille et l'affaire Ben Barka pour Les aventures de Rabbi Jacob. C'est autour de ce double affrontement que l'intrigue s'élabore et qu'alternent les gags travaillés avec une précision d'horloger. Cependant Oury savait aussi laisser roue libre à ses acteurs en certaines occasions, ce dont ne s'est pas privé De Funès qui avait un tempérament explosif et indépendant. Le mérite du cinéaste réside, par ailleurs, dans son sens inné du gag. Si le point de départ est rarement original, le développement surprend et fait preuve très souvent d'une réelle invention. Il y a chez Oury des trouvailles inattendues, des roueries et facéties délicieusement baroques, des rebondissements inénarrables. Artisan scrupuleux et honnête, il limite son ambition à distraire le public sans céder à la banalité. Ce qui est déjà en soi assez remarquable.

 

L'histoire de La folie des grandeurs est une parodie du Ruy-Blas de Victor Hugo qui se situe dans l'Espagne du XVIIe siècle. Don Sallustre est alors ministre du roi. C'est un être fourbe, hypocrite et cupide qui détourne, à son profit, la collecte des impôts, accumulant une fortune impressionnante. Mais accusé par la reine d'avoir fait un enfant illégitime à l'une de ses dames d'honneur, il est déchu de ses fonctions et expédié dans un couvent. Fou de rage, il n'a plus qu'une idée en tête : se venger. Pour cela il entre en contact avec le brigand César, son neveu, mais celui-ci  refuse son soutien, le fait capturer pas ses sbires et envoyer comme esclave aux barbaresques. C'est alors que Sallustre se  tourne vers son valet Blaze (Montand) et échafaude un projet machiavélique : il fera passer ce dernier pour son neveu César. Mais Blaze est aussi malin que son maître. A peine arrivé au palais, il déjoue un attentat ourdi contre le couple royal et s'attire ses faveurs, au point de devenir ministre. A la suite d'une méprise, Blaze, qui est chargé de séduire la reine, déclare sa flamme à son acariâtre duègne, dont les appétences sexuelles paraissent inépuisables...La situation se complique et les rebondissements rocambolesques ne cesseront plus de déclencher l'hilarité jusqu'à la fin. L'effeuillage d'Alice Sapritch est, pour moi, le clou de ce film désopilant. Il fallait une actrice comme elle pour amener cette scène à ce point culminant du burlesque. Il est indéniable qu'Oury sut choisir ses acteurs et les employer au mieux de leurs capacités, tant il était conscient qu'une grande part du succès dépendait d'eux. Louis de Funès, qui avait mis vingt ans à imposer son type de comique, fait de constantes improvisations, trouva chez lui le metteur en scène capable d'emblée de savoir quels rôles convenaient à sa verve et à sa gestuelle.  On me donne toujours trop de texte - disait-il.  Je n'ai pas un comique de mots, mais de geste, d'attitude, de situation.


Oury le comprit mieux que personne et utilisa cette gestuelle délirante de façon appropriée. Face à cette envahissante présence, Yves Montand résiste bien et intelligemment avec son physique de latino frimeur et conquérant, ses sourires entendus et flatteurs, ses étonnements faussement naïfs, ses bouffées de vanité ; il est surprenant et d'une irrésistible efficacité. Quant à Alice Sapritch, elle est simplement époustouflante dans ses outrances, virant de l'irascible duègne à la walkyrie aguichante et boulimique. Le film est également servi par la musique de Polnareff et les excellents dialogues de Danièle Thompson.
Une grande réussite. A voir et revoir pour la folie du rire.

 

Pour prendre connaissance des articles consacrés à Gérard Oury et à Louis de Funès, cliquer sur leurs titres :

 

GERARD OURY, LE MAGICIEN DU RIRE                 LOUIS DE FUNES

 

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13 septembre 2006 3 13 /09 /septembre /2006 09:52
BENJAMIN OU LES MEMOIRES D'UN PUCEAU de Michel DEVILLE



Révélé par des comédies sentimentales délicates, Michel Deville occupe une place à part dans le cinéma de la Nouvelle Vague, ayant ouvert des pistes peu habituelles grâce à un style d'une étonnante originalité. Il est vrai que la sortie de son premier long métrage en novembre 1960 Ce soir ou jamais avait été saluée par une critique enthousiaste et unanime qui voyait en ce jeune metteur en scène quelqu'un qui, tout en rompant avec l'académisme de la production traditionnelle, ne cédait pas aux provocations désordonnées et souvent faciles de la plupart de ses confrères. Ce premier film nous mettait d'emblée en présence d'un cinéaste authentique qui savait manier la caméra avec souplesse et précision, diriger ses acteurs avec élégance et habileté, offrant au public un cinéma tout aussi plaisant qu'intelligent et raffiné. Cette passion pour le 7e Art, Michel Deville, né en 1931, l'avait éprouvée très tôt. Alors qu'il était élève au lycée de Saint-Cloud, il avait réalisé un film en 8mm " Gastonnades". Par la suite, renonçant à poursuivre des études universitaires, il devient  l'assistant de Henri Decoin et le conseiller de Jean Meyer pour les productions filmées de la Comédie-Française. En 1960, il rencontre Nina Companeez  avec laquelle il écrira une douzaine de films. Leur association sera une réussite et leur complémentarité exemplaire ; l'écriture brillante et rapide de Nina s'accommodant à merveille de la fraîcheur d'une mise en scène apte à exprimer les plus fines sensations de ce monde féminin, terrain de prédilection où Deville sait toucher juste, un peu à la manière d'un Max Ophuls ou d'un George Cukor.

 

Toutefois, après l'échec commercial de A cause, à cause d'une femme, le cinéaste, endetté, se voit dans l'obligation de réaliser des films de commande, cela avec une réussite inégale. Ce seront : L'appartement des filles (1963), On a volé la Joconde (1965) ou  Martin soldat (1966), qui n'ont nullement la grâce et la fantaisie d'Adorable menteuse  (1961). Remis de ses déboires financiers, Michel Deville s'attaque alors à une oeuvre plus ambitieuse Benjamin ou les mémoires d'un puceau, produite par Mag Bodard. Cette chronique ironique et galante est l'un des films le plus parfaitement réussi de ce metteur en scène et sera d'ailleurs couronné par le prix Louis Delluc. Le succès fut considérable et permit à Deville de poursuivre avec éclat la troisième phase de sa carrière, toujours en  collaboration avec Nina Companeez, en produisant des films qui ont incontestablement marqué le cinéma français : Bye,bye Barbara (1968), L'ours et la poupée (1969) et Raphaël ou le débauché (1970). Plus tard Deville rompra avec cette légèreté pour prouver qu'il n'était pas seulement le peintre des fêtes galantes et des écarts amoureux, mais quelqu'un capable de prendre des risques importants en procédant à une démarche quasi expérimentale dans cette voie de l'indépendance, à travers des films comme La femme en bleu (1972), Le dossier 51 (1978), plus tard  Le voyage en douce (1979) et Eaux profondes  ( 1981).

 

Mais revenons à Benjamin, où il atteint la perfection dans le style d'un marivaudage libertin et gracieux, filmant les femmes comme rarement elles l'ont été, dans un décor où tout est ravissement pour l'oeil, de même que les dialogues ne manquent jamais d'esprit, mettant en relief la vérité des sentiments et la finesse des attitudes. L'histoire est celle d'un jeune garçon élevé à l'écart du monde par son précepteur Camille. Jusqu'à ce que l'argent venant à manquer, Benjamin soit envoyé chez sa tante, la comtesse de Valandry, femme mondaine et affranchie. Dans cette demeure fastueuse, où se joue une fête permanente, il va ouvrir des yeux étonnés sur un univers aux antipodes de celui austère, dans lequel il vivait : une société de jolies femmes et de galants hommes qui se livre sans réticences aux jeux de l'amour. Servi par une prestigieuse distribution, le film nous plonge dans le XVIIIe siècle français avec une écriture enjouée, délicate et précieuse. Pierre Clémenti interprétait avec une naïveté charmante ce puceau que tout ravit et étonne, face à un vétéran du plaisir campé par un Michel Piccoli plus vrai que nature, tous deux entourés d'actrices ravissantes, dont Catherine Deneuve dans la candeur de sa toute jeunesse et Michèle Morgan dans la plénitude de sa quarantaine. Ce film a écrit l'une des pages de la comédie à la française la plus réjouissante et la plus séduisante qui soit. Interrogée sur son travail de scénariste et de dialoguiste, Nina Companeez  a évoqué, dans sa réponse, le climat qui a prévalu à la réalisation de ce petit chef-d'oeuvre : " Chacun a ses obsessions ou ses intérêts. Je suis évidemment mille fois plus fascinée par le battement d'un cil, le frémissement d'une main, que par une grève ou une révolution. Rien ne me parait plus important, plus fascinant que d'observer le mystère de la vie, du temps, de la mort, notre mystère enfin. Je n'essaye pas de faire de la philosophie, ni de comprendre vraiment. Simplement je suis fascinée, et j'ai envie de regarder. Je regarde comment on bouge, comment on respire, comment on souffre, comment on est heureux, et je m'émerveille et j'ai peur, et je n'ai pas envie de regarder autre chose."


Avec Benjamin ou les mémoires d'un puceau, c'est un monde élégant qui bouge, parait tour à tour heureux et mélancolique, distrait et amoureux, et communique aux spectateurs cette légèreté des choses que parfois il revêt... le temps d'un battement de cil.


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BENJAMIN OU LES MEMOIRES D'UN PUCEAU de Michel DEVILLE
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9 septembre 2006 6 09 /09 /septembre /2006 09:55
CESAR ET ROSALIE de CLAUDE SAUTET

                                                                    

Claude Sautet représente, dans le courant de la Nouvelle Vague, un cinéma sans prétention particulière, proche de ces choses de la vie qui concernent chacun de nous, tranches d'existence finement observées par un cinéaste qui parait aimer sincèrement les gens dont il rend si bien, par l'image et le dialogue, les joies et les peines quotidiennes.



Né le 23 février 1924 à Montrouge, Claude Sautet se destinait d'abord à la peinture et à la sculpture avant d'entrer à l'IDHEC en 1946 et de faire ses premiers pas dans le monde cinématographique comme assistant de Carlo Rim, Yves Robert et Georges Franju. Scénariste et adaptateur prolixe, il participe à de nombreux films dont  "Les yeux sans visage"  de Franju, "Borsalino" de Deray,  "Le voleur"  de Louis Malle et  "Le soleil des voyous"  de Jean Delannoy. Après une oeuvrette oubliée, il débute en tant que réalisateur à part entière en 1960 avec un policier interprété par Lino Ventura et Jean-Claude Belmondo "Classe tous risques", où il ne se distingue par aucun trait original ou provocateur, sinon comme un bon artisan du film d'action, sobre et précis dans sa mise en scène. Le second film sera de la même veine, toujours interprété par Lino Ventura "L'arme à gauche", dont l'action se déroule presque entièrement sur un bateau et où Sautet confirme ses qualités de directeur d'acteurs et de metteur en scène habile et efficace.

 


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Avec "Les choses de la vie" en 1970, il change subitement de registre. La critique se montrera enthousiaste de cette tragédie actuelle à la construction parfaitement maîtrisée, inspirée d'un roman de Paul Guimard qui collaborera à l'adaptation avec Jean-Loup Dabadie et dont le scénario nous convie aux errances du coeur. Dans ses films suivants, Sautet ne va plus s'éloigner de ce genre qui semble lui convenir et où il s'affirme comme un portraitiste avisé d'une société contemporaine en pleine mutation. César et Rosalie, tourné en 1972, décrit les difficultés d'un couple, celui de César, vendeur en métaux de récupération, confronté à une situation délicate : la réapparition d'un ancien amant de Rosalie, David, qu'elle parait aimer encore. Plutôt que de la perdre, le mari préférera inviter l'indésirable à venir vivre auprès d'eux, ce qui sera l'occasion d'une comédie riche en rebondissements et révélations sur les sentiments véritables de ce ménage à trois. 

 

Bien écrit et subtilement dirigé, ce film obtiendra un immense succès auprès du public qui se reconnaît dans les personnages, cheminant plus ou moins douloureusement entre leurs échecs affectifs et professionnels, leurs aventures sentimentales et leurs évasions dominicales dans la maison de famille. L'analyse de Sautet touche juste. Traitée avec grâce et limpidité, cette chronique sait dévoiler les faiblesses, les hésitations, les perplexités, les rodomontades, les déceptions de ses héros et nous offre un panel des problèmes de la vie quotidienne. Tout est dit d'un trait vif, d'un regard, d'une expression, d'un mot, d'une répartie, en se jouant habilement du ralenti et du flash-back. Il faut souligner également le souci de Sautet à choisir comme interprètes des acteurs de premier plan qui collent parfaitement à leur rôle. C'est le cas d'Yves Montand  dans celui de César. Il est merveilleux en amoureux inquiet, violent, jaloux, excessif, vantard, désemparé et sincère. Il nous révèle la gamme des sentiments que peut éprouver un mari délaissé. Hâbleur, il se livre à un festival éblouissant qui friserait parfois le cabotinage si l'art du metteur en scène n'était là pour le contenir, tandis que  Sami Frey,  ironique, désinvolte, sûr de lui, goguenard, lui fait face en déclinant la gamme des sentiments opposés.  C'est soigné, drôle et émouvant.


Je garde pour la fin,  Romy Schneider  dans le rôle de Rosalie, toute en charme dans la séduction de sa jeunesse.  Elle nous enchante et trouve là un rôle qui correspond à l'image que le public se faisait d'elle : femme moderne, indépendante mais vulnérable, délicieuse et néanmoins nimbée d'une indicible tristesse.  Inoubliable Romy.

 

Vous pouvez lire les articles consacrés au metteur en scène et à l'actrice en cliquant sur leurs titres :

 

 

CLAUDE SAUTET OU LES CHOSES DE LA VIE        

      

 

ROMY SCHNEIDER - PORTRAIT

 

 

Et pour consulter la liste complète des artciles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, dont Une histoire simple, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

 

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CESAR ET ROSALIE de CLAUDE SAUTET
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29 août 2006 2 29 /08 /août /2006 09:37
LOLA de Jacques DEMY

                     

Contrairement à la plupart des cinéastes de la Nouvelle Vague, les Godard, Truffaut, Rohmer, Chabrol, Jacques Demy ne venait pas de la critique, ni de la prestigieuse école de l'IDHEC. Lorsqu'il acheta sa première caméra à quinze ans, il ne connaissait strictement rien au cinéma. C'était un novice qui allait apprendre le métier sur le tas, mais avait quelque chose à dire et entendait le dire à sa façon. Après quelques courts métrages où l'on sent l'influence de Cocteau et de Max Ophuls, il se lance en 1961 dans son premier long métrage Lola qui, malgré ses défauts et ses maladresses, retint l'attention des cinéphiles. Ceux-ci reconnaissaient au film le mérite de secréter un charme indiscutable, de s'évader joliment dans les sentiers de la poésie, une poésie familière qui évoquait les vieilles cartes postales découvertes un peu jaunies dans les greniers. On ne pouvait pas non plus rester insensible aux chassés croisés amoureux entre la petite Cécile et le matelot Frankie, entre Roland et Lola qui guette le retour de son grand amour Michel.

 

Déjà étaient réunis, à l'aube d'une carrière qui saurait marquer son époque, les ingrédients que l'on apprécie dans Les parapluies de Cherbourg et dans Les demoiselles de Rochefort : les danseuses et les marins, les villes portuaires et la musique. S'il sut évoluer, par la suite, avec plus ou moins de succès, Demy fut, grâce à ces deux films encensés par la presse américaine, flattée des allusions que le cinéaste ne manquait pas d'établir avec les célèbres comédies musicales hollywoodiennes, l'un des rares producteurs français invité à aller travailler Outre-Atlantique. Le résultat fut Model Shop, où il retrouvait Anouk Aimée, mais qui, malgré ses atouts, ne reçut pas l'aval du public, si bien que Demy regagna en hâte le pays de ses ancêtres pour y poursuivre une carrière plutôt heureuse, avec des réalisations ravissantes comme  Peau d'âne  et  Le joueur de flûte. 

 

Mais revenons à Lola où quatre personnages s'apprêtent à vivre un moment décisif. Ce sont Lola, mi danseuse, mi entraîneuse au cabaret l'Eldorado, qui a eu autrefois un enfant d'un homme qu'elle n'a pu oublier et dont elle attend le retour depuis sept ans ; Roland, son ami d'enfance, qui traîne ses rêves et son mal de vivre et aspire à embarquer sur un navire jusqu'à ce que, revoyant Lola, il s'éprenne d'elle à nouveau ; Frankie, le matelot de passage, qui trouble Lola parce qu'il lui rappelle Michel mais pose, quant à lui, ses regards sur la jeune Cécile ; enfin Michel, qui a focalisé la nostalgie de Lola et qui  revient à Nantes pour l'enlever avec son fils à bord, non d'un navire, mais d'une somptueuse voiture, tandis que Roland s'embarque définitivement, emportant avec lui ses rêves saccagés.

 

L'histoire est mince, assez peu crédible, et pouvait sombrer dans le mélo, si elle n'était traitée, après des préliminaires quelque peu laborieux, avec une fraîcheur, un naturel, une spontanéité, une grâce qui lui confèrent une authentique saveur. Tout d'abord, il y a l'ode à la ville de Nantes, filmée avec amour par Demy, qui y vécut sa jeunesse et sait magnifier ses quais encombrés de navires, son passage Pommeraye qui inspira à Pierre de Mandiargues une nouvelle fantastique, ses rues auxquelles la pluie prête une luisance féerique. Ainsi se déploie un univers fait de rêves et de nostalgie, dont le mélange est suffisamment bien dosé pour que l'on croise sans déplaisir les filles de bar et les matelots dans l'épaisse fumée de la nuit malgré cette bluette décidément peu convaincante.

 

Il est vrai aussi que le film bénéficie de la musique de Michel Legrand, qui débutait lui aussi, et dont on sait le duo réussi qu'il formât avec Demy. Quant à l'interprétation, elle ne se montre pas à la hauteur de nos espérances avec une Anouk Aimée trop minaudeuse pour nous toucher et  dépourvue du charme qui frappait dans Le rideau cramoisi et fera merveille en 1966 dans  Un homme et une femme ; oui, l'imagerie opère et me parait être le seul mérite du film, de même que les clairs-obscurs de Coutard, le lyrisme de l'hommage à Lola Montès et la passion saisie sur fond de souvenirs et de ralentis, monde qui s'évanouit doucement avec des larmes de pluie.


Un film qui mérite d'être revu et marque une date dans le cinéma de la Nouvelle Vague.
 

 

 Pour lire l'article consacré à Jacques Demy, cliquer sur son titre :   

 

JACQUES DEMY, L'ENCHANTEUR

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, dont Les demoiselles de Rochefort et Peau d'âne, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

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LOLA de Jacques DEMY
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22 août 2006 2 22 /08 /août /2006 09:23
LE DERNIER METRO de FRANCOIS TRUFFAUT

 

François Truffaut a prouvé très tôt qu'il possédait toutes les qualités pour être l'un des auteurs les plus représentatifs du cinéma contemporain. Comme Chabrol, il admirait Hitchcock et la façon dont le maître jouait avec les psychoses et les terreurs secrètes des spectateurs. A son exemple, Truffaut aimera  les hommes timides, paralysés par des appréhensions intimes, tels que le Charles Aznavour de "Tirez sur le pianiste" ou le Pierre Lachenay de "La peau douce", en passant par le personnage complexe d'Antoine, interprété par Jean-Pierre Léaud, au travers duquel il a exprimé les problèmes de l'adolescence et la perplexité du jeune adulte confronté à ses premiers amours. Truffaut jouera habilement des espaces intermédiaires, aux frontières mal définies, où les émotions se vivent en demi-teinte.
 

 

Né à Paris le 6 février 1932, il fut élevé par sa grand-mère jusqu'à ce que sa mère et son père adoptif le prennent en charge à l'âge de huit ans, ce qui ne sera pas sans provoquer des blessures qu'ils tentera d'exorciser dans un film comme  "Les 400 coups", histoire d'un garçon incompris et parfois maltraité. Rarement une oeuvre aura été aussi autobiographique que la sienne. Son amour pour le cinéma se manifeste de bonne heure et, à quinze ans, il crée son propre ciné-club. Il rencontre peu après le futur rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, André Bazin, qui lui ouvrira les portes de la critique cinématographique, puis du cinéma tout court. Il fut l'initiateur de " la politique des auteurs ", qu'il invitait à tourner loin des studios, dans des décors naturels, en remplaçant les dialogues trop littéraires par des échanges spontanés ou par l'improvisation et, surtout, en usant des ressources propres à l'art cinématographique qui se doit de privilégier l'image. Un de ses articles intitulé " Une certaine tendance du cinéma français ", publié dans le n° 31 des Cahiers, sera considéré comme le premier manifeste de la Nouvelle Vague. Son entrée dans la cour des grands se fera en 1958 avec le film "Les 400 coups". Il était alors, à 26 ans, le plus jeune metteur en scène français et l'essentiel de ce qu'il avait à dire se trouvera dans ses premiers longs métrages, ce qui ne l'empêchera nullement d'en tourner une vingtaine, avant de mourir prématurément en 1984. "Jules et Jim", "La nuit américaine", "La femme d'à côté" et "Le dernier métro" comptent parmi ses chefs-d'oeuvre. Ce qui se dégage de l'ensemble de ses films est le caractère éphémère du bonheur, le rôle du destin, l'importance des femmes. Rares sont les cinéastes qui ont composé des personnages féminins aussi denses et complexes ; tantôt la femme inaccessible et idéalisée, tantôt la mangeuse d'hommes inspirée par sa mère, dont il eut à souffrir. La conception du bonheur chez Truffaut pourrait se résumer à cette phrase de Thomas Hardy : " Un accident au cours d'un long parcours douloureux ". Ce monde dépeint  est essentiellement solitaire et l'art cinématographique la seule issue pour échapper à la médiocrité de l'existence, aux amours impossibles et malheureux. Sa famille idéale était représentée par les acteurs, les auteurs, les techniciens. Ne déclarait-il pas dans "La Nuit américaine" Le cinéma règne, suprême. 
 


Dans "Le dernier métro", le théâtre remplira cet office. Truffaut y multiplie les références à deux de ses maîtres : Renoir et Lubitsch, avec le jeu toujours ambigu du réel et de la fiction, celui des apparences exalté par les masques. En prenant pour toile de fond l'occupation allemande, il savait qu'il s'emparait d'un sujet délicat. Aussi l'atmosphère et les décors baignent-ils dans la pénombre qui exprime la tristesse et l'accablement. Seul le music-hall est là pour apporter une note de gaieté et d'insouciance passagère. Les gens aiment à venir dans les salles obscures oublier leurs soucis et leurs peurs. Truffaut a choisi à bon escient de placer le théâtre au coeur de son sujet. Marion Steiner lutte pour maintenir ouvert celui de son mari Lucas qui, juif, a dû s'enfuir, mais s'est finalement réfugié dans les caves de son propre théâtre et continue à diriger sa troupe par l'intermédiaire de sa femme. A propos de ce film, Truffaut a écrit ceci : " En tournant "Le dernier métro", j'ai voulu satisfaire trois désirs : montrer les coulisses d'un théâtre, évoquer l'ambiance de l'Occupation, donner à Catherine Deneuve un rôle de femme responsable. Nous avons donc établi le scénario, Suzanne Schiffman et moi, en le nourrissant de détails puisés dans les journaux de l'époque et dans les mémoires des gens du spectacle. Il en résulte un film d'amour et d'aventure qui exprime, je l'espère, notre aversion pour toutes les formes de racisme et d'intolérance, mais aussi notre affection profonde pour ceux qui ont choisi le métier de comédien et l'exercent par tous les temps".

 

Il est certain que ce film aborde le mécanisme de défense et de résistance que chacun développe lorsqu'il est confronté à l'oppression et à l'obscurantisme. Doublement important de par son immense succès public et sa réussite artistique, il permet à son auteur de stigmatiser, dans un portrait d'une rare férocité de sa part, celui de Daxiat, le collabo, les lâchetés les plus abjectes et les faiblesse humaines les plus caricaturales. D'autre part, il faut souligner le dénouement tranquillement amoral qui, à la suite de "Jules et Jim", reprend le thème du ménage à trois, celui composé par Catherine Deneuve, au faîte de son talent, partagée entre son amour pour son mari, le metteur en scène Lucas Steiner et son amant le comédien Bernard Grange, campé par un Gérard Depardieu sobre et émouvant. Ce film rend admirablement bien le climat de l'époque, superpose les thèmes sans les mêler, montre tout ensemble les angoisses et les déchirements personnels des trois personnages principaux : la femme qui doit assumer la direction du théâtre et des acteurs, le mari, condamné par la situation qui est la sienne, à vivre reclus dans une cave en suivant les répétitions depuis une bouche d'aération, enfin l'amant en proie à des sentiments contradictoires, cela dans l'atmosphère glauque et pesante d'une capitale occupée par l'ennemi. Ces thèmes son traités de façon magistrale dans une mise en scène dépouillée, presque classique. Le film n'obtint pas moins de 10 Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur scénario. La fin est surprenante et prouve le savoir-faire éblouissant de Truffaut. Alors que Bernard a quitté Marion après lui avoir avoué son amour, nous le retrouvons avec elle, bavardant dans un hôpital. Mais nous comprenons qu'il s'agit d'une scène de théâtre en voyant le rideau se baisser et Marion saluer le public entre Lucas et Bernard... peut-être un clin d'oeil à Sacha Guitry ?
 

 

Pour lire les articles consacrés à Truffaut et Deneuve, cliquer sur leurs titres :
 

FRANCOIS TRUFFAUT OU LE CINEMA AU COEUR    
          

CATHERINE DENEUVE - PORTRAIT

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, dont  La nuit américaine et Adèle H., cliquer sur le lien ci-dessous :

 

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20 août 2006 7 20 /08 /août /2006 16:39
LA FEMME INFIDELE de CLAUDE CHABROL

       

Excellent directeur d'acteurs, Chabrol aime s'entourer d'une équipe qu'il connaît bien et d'interprètes avec lesquels le courant passe de façon immédiate et privilégiée. Dans La femme infidèle, on retrouve son épouse Stéphane Audran, qu'il a dirigée à 23 reprises, et qui sait d'instinct ce qu'il attend d'elle. L'histoire de ce film est simple et terrible : Charles vit une existence paisible dans une demeure cossue de la banlieue parisienne, auprès de sa femme Hélène et de son fils Michel. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si Hélène ne s'ennuyait et, pour se distraire, ne prenait un amant. A d'imperceptibles signes, Charles a deviné que sa femme le trompait et, pour en avoir le coeur net, engage un détective privé qui, en une semaine, découvre l'identité du deuxième homme : il se nomme Victor Pegala. Le mari profite de l'anniversaire de son fils, où sa femme est retenue à la maison, pour se rendre au domicile de son rival. Ce dernier, d'abord gêné et inquiet, se détend au fur et à mesure que le mari bafoué se fait passer pour quelqu'un de compréhensif et de tolérant qui partage avec son épouse une vie libre et sans contrainte. A tel point que l'amant se livre à des confidences, raconte dans quelles circonstances il a connu Hélène,  fait visiter l'appartement, sans supposer que cet étalage intime ne fait que renforcer la douleur du mari. Bientôt Charles, au comble de la jalousie, se saisit d'une statuette et tue le bavard impénitent, puis efface les traces de son crime, enveloppe le cadavre dans un drap, le jette dans son coffre de voiture, avant de le jeter dans un étang. A quelque temps de là, la police, alertée par l'ex-femme de Victor, se rend chez le couple pour les interroger. Tous deux mentent, bien sûr, chacun ayant sa version. Mais Hélène, par inadvertance, découvre la photo de Victor dans le veston de Charles et comprend : elle sait désormais qui a tué son amant et pourquoi. Le silence ne se fera que plus lourd dans le couple, mais les apparences seront sauves.
 

 


Ce film bénéficie d'une construction parfaite et offre une peinture au vitriol des comportements bourgeois face à l'infidélité que, par respect humain et non par vertu, les protagonistes cherchent désespérément à camoufler. Chabrol pointe du doigt ce jeu du mensonge et de l'hypocrisie et dissèque le couple avec l'application d'un médecin légiste. Cruauté, humour se mêlent et le trait est d'autant plus mordant quand la caméra s'attarde sur la confrontation des deux hommes en total décalage l'un vis- à -vis de l'autre. Dialogues incisifs, subtilité psychologique, La femme infidèle est sans doute l'un des films les plus accomplis d'une filmographie certes riche, mais inégale. Il est vrai que Chabrol sait admirablement conter les histoires, que son style est virulent et souligne avec acuité la complexité psychologique et sociale de ses personnages. Il est servi par deux acteurs de talent : sa femme Stéphane Audran, toujours parfaite, prêtant à Hélène les doutes, les appréhensions, les embarras qui la rendent si crédible et humaine et, par Michel Bouquet, époustouflant dans le rôle du mari blessé, dissimulant sous une froideur implacable et un apparent détachement sa douleur et sa jalousie. Du grand Chabrol.

 

 

Pour lire les articles consacrés à Claude Chabrol et à Stéphane Audran, cliquer sur leurs titres :

  

CLAUDE CHABROL OU UNE PEINTURE AU VITRIOL DE NOTRE SOCIETE       

 

STEPHANE AUDRAN - PORTRAIT



Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA FRANCAIS, dont Le beau Serge, Que la bête meure et La femme coupée en deux, cliquer sur le lien ci-dessous :



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LA FEMME INFIDELE de CLAUDE CHABROL
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20 août 2006 7 20 /08 /août /2006 09:03

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Au XIXe siècle, dans un petit village luthérien du Jutland, au Danemark, un pasteur dirige sa communauté d'une main austère et pieuse. Il a deux jolies filles, Martine et Filippa, dont il ne veut se séparer à aucun prix au grand dam des jeunes hommes du village. Lorens, un jeune officier tombe follement amoureux de Martine, mais malgré tous ses efforts pour intégrer le cercle familial il repartira seul. Filippa sera, quant à elle, repérée par Achille Papin, un baryton français en villégiature, qui voit immédiatement en elle une future diva qui pourrait avoir tout Paris à ses pieds. Après plusieurs mois de cours particuliers et malgré les progrès, Filippa met fin à leur relation, à la grande satisfaction du pasteur. Trente-cinq ans plus tard, le pasteur est mort et les deux sœurs toujours célibataires. Un soir de tempête, une femme frappe à leur porte. C'est Babette, une Française qui leur demande refuge en proposant ses services. Elle est recommandée par une lettre d'Achille Papin qui explique qu'elle a dû fuir la guerre civile de la Commune de Paris et qu'elle « sait faire la cuisine ». Martine et Filippa acceptent, même si elles n'ont pas les moyens de la payer. Babette a gardé, pour unique lien avec la France, un billet de loterie qu'une amie lui achète chaque année. Elle apprend le danois et la cuisine locale. Durant quinze années, elle va servir avec humilité les deux sœurs qui pourront ainsi se consacrer pleinement à l'aide des pauvres de la région.

 

Comme dans un conte, on entre dans "Le festin de Babette"  (1987) par la voix de Michel Bouquet. Impression d'une petite communauté qui vit hors du temps, dans un pays d'exil, avec ses chaumes humides, ses maisons basses, ses brumes fréquentes. Gabriel Axel est resté proche du beau texte de Karen Blixen respectant sa construction et se montrant fidèle à son esprit. Film intimiste, s'il en est, dans la tradition des maîtres de la peinture flamande et du cinéma en clair-obscur de Carl Dreyer, dont Axel se veut le successeur. Au cours de ce repas, les langues se délient enfin, tant il est vrai que la fête délivre des soucis médiocres. Chacun raconte un moment important de sa vie. Ce festin n'est pas sans rappeler le repas eucharistique et les noces de Cana. Le discours du vieux général, qui clôt le banquet, annonce la réconciliation de la chair et de l'esprit, du renoncé et de l'offert. La gratuité du don dénoue les coeurs et invite à la louange, à la libération, à la joie, au dessaisissement de soi par amour, l'amour comme exercice du coeur. Gabriel Axel a fait en sorte de placer Babette au centre de son film et s'est appliqué à faire d'elle un personnage lumineux, proprement évangélique, interprété à la perfection par Stéphane Audran qui trouve là son plus beau rôle. Sa retenue, son sourire, son regard énigmatique rendent tangibles le pouvoir rayonnant qu'elle exerce sur cette société dévote et puritaine. Plus tard, penchée au-dessus de ses marmites, tandis que la caméra suit le moindre de ses gestes, elle réussit le miracle de la réconciliation entre les deux mondes et exalte l'artiste et l'art comme principes fondateurs du plaisir et de sa satisfaction. Ce film est en quelque sorte un hymne au pouvoir créateur que résume très bien le général Löwenhielm par cette simple phrase : " Transformer un repas en une espèce d'affaire d'amour qui ne fait plus la distinction entre appétit physique et appétit spirituel". C'est donc sur tous les plans une réussite absolue, non seulement parce que l'histoire est belle mais parce qu'elle prouve que par des actes simples, humbles même, les esprits peuvent se libérer et les coeurs s'épancher davantage. On entre dans une vraie communion dont la gratuité est la clé de voûte. D'ailleurs la chaleur qui émane de la cuisine, où Babette s'active à la préparation de ses mets, tranche avec l'austérité des paysages environnants, bien qu'admirablement mis en valeur, comme dans les toiles des peintres flamands, par le chef opérateur Henning Kristiansen. C'est d'autre part une célébration du don de soi et du bonheur de vivre qui réunit en un festin somptueux tous les sens en un grand moment de plaisir et de volupté.



Le film a été couronné en 1988 par l'Oscar du meilleur film étranger.

 

Pour lire l'article que j'ai consacré à Stéphane Audran, cliquer sur son titre :  

 

STEPHANE AUDRAN - PORTRAIT

 

Et pour consulter la liste complète des articles de la rubrique CINEMA EUROPEEN, cliquer sur le lien ci-dessous :

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN

 

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LE FESTIN DE BABETTE de GABRIEL AXEL
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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