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17 août 2006 4 17 /08 /août /2006 16:12
L'ANNEE DERNIERE A MARIENBAD d'ALAIN RESNAIS

                                                                                         

Alain Resnais, l'auteur de quelques-uns des films qui ont marqué le cinéma contemporain :  Nuit et brouillardHiroshima mon amour,  Muriel ou le temps d'un retour,  Je t'aime, je t'aime,  La vie est un roman,  est né à Vannes en 1922 et appartient à une génération de cinéastes qui a su laisser une empreinte indélébile dans le 7e Art européen des années 1960 -70, celui des Italiens comme Pasolini et Francesco Rosi et des écrivains-réalisateurs tels que Chris Marker et Andrezj Wajda. Bien qu'il ait tourné son premier long métrage au même moment que débutaient un Truffaut et un Godard, il était leur aîné de dix ans et ses motivations n'étaient en rien les leurs. Ce n'est pas tant une idée de subversion qui l'animait qu'une remise en perspective de l'écriture cinématographique au service d'une pensée réactualisée. De santé fragile, Resnais s'initia très tôt à la lecture des grands écrivains et développa une maturité précoce. Il suivit des cours de théâtre, fit de la figuration dans Les Visiteurs du soir de Carné, puis étudia la mise en scène à l'I.D.H.E.C. Par la suite, il hésita sur la direction à prendre et se lança dans une série d'études concernant des peintres contemporains : Ernst, Labisse, Hartung, jusqu'à son  magistral Guernica (1949), ainsi devint-il avec Georges Franju l'un des maîtres du documentaire à une époque où celui-ci surpassait en originalité et volonté d'engagement la plupart des longs métrages plus conventionnels. Loin de s'effacer devant les faits, Resnais manifestait déjà clairement son désir d'interprétation créative de l'actualité, disait-il. En effet, il ne devait plus cesser d'utiliser les sujets divers qu'il abordait comme prétextes à des expériences stylistiques. Le scénario de son premier long métrage  Hiroshima mon amour  fut écrit par Marguerite Duras. Resnais travailla ensuite avec trois autres romanciers : Jean Cayrol, Jorge Semprun et Jacques Sternberg. Dans la presque totalité de ses films, on retrouve la même préoccupation, celle de traiter - comme le fit le Nouveau Roman - du problème du temps et de la mémoire, du réel et de l'imaginaire, ouvrant, dans le film que nous allons analyser, un puzzle captivant et un labyrinthe à mi - chemin des Surréalistes et de Julien Gracq. Car que s'était-il donc passé l'année dernière à Marienbad ?



Rarement la critique fut à ce point déconcertée par une oeuvre, certes étrange, mais magnifique, dont le scénario et les dialogues étaient signés par Alain Robbe-Grillet, d'abord l'une des têtes de file du Nouveau Roman, puis membre de l'Académie française. La première voix que l'on perçoit est celle du narrateur. A peine audible au début, elle va en s'affermissant au fur et à mesure que la caméra explore les interminables couloirs d'un palace baroque aux miroirs étincelants et aux plafonds surchargés de stuc et de dorures. Peu à peu, nous saisissons des bribes de conversation, surprenons des silhouettes fugitives dans des attitudes bizarres, au point de nous demander dans quel monde troublant nous nous trouvons. Les ralentis de la caméra ont le pouvoir de substituer au monde réel un univers fantasmagorique et de faire de l'oeuvre une variation virtuose sur le thème de l'énigme. Quel est donc ce monsieur X qui séjourne dans l'hôtel et cette ravissante inconnue qu'accompagne un homme au visage émacié  (Sacha Pitoeff), ce monsieur M qui est peut-être son mari ?  Les deux hommes vont s'affronter au jeu, car le jeu tient une place importante dans le film, symbolisant les hasards du destin et également la domination que M cherche à exercer sur ses partenaires. Il joue partie sur partie et ne perd jamais, froid, précis, impénétrable. Il prononce même cette phrase : Je puis perdre, mais je gagne toujours. Dans la règle pratiquée par lui, celui qui commence ne peut gagner contre un adversaire averti. Or, par courtoisie, M invite toujours l'autre à ouvrir la partie et, bien entendu, il gagne.

 

L'année dernière à Marienbad avec ses indices subtils, ses rêves hallucinatoires, ses descriptions oniriques revêt des allures de policier. Les pions, c'est- à -dire les personnages (dont on ne connaîtra jamais les noms), sont déplacés d'une case à l'autre par un réalisateur habile qui a la précision d'un joueur d'échecs. Ce monde clos, presque étouffant, ces personnages silencieux, cette action comme suspendue, ce décor luxueux et savamment ordonné déroutent et ensorcellent. On dirait que la pellicule dégage une sorte de magnétisme et son envoûtement subsiste longtemps après que la lumière soit revenue dans la salle. Et cette impression ne fera que s'amplifier au fur et à mesure des séquences courtes mais allusives où les personnages se croisent et se figent, s'adonnent avec distraction à des occupations qui semblent à peine les concerner. On a le sentiment de voir s'animer un monde fantomatique...cela dans une splendeur esthétique où aucun détail n'est laissé au hasard. Pas davantage les toilettes sophistiquées de l'inconnue que le moindre buis des admirables jardins à la française. Bientôt X harcèle la jeune femme en l'assurant qu'ils se sont déjà rencontrés en ce même endroit l'an passé et qu'alors elle lui a promis de partir avec lui, ce dont elle ne semble pas se souvenir. Aussi poursuit-il sa tactique de persuasion avec une abondance de détails. Cette surimpression du présent et du passé finit par jeter le doute dans l'esprit de l'héroïne, autant que dans celui des spectateurs qui n'ont plus la certitude de rien. Formidable mixage du passé et du présent, du rêvé et du vécu, redoutable efficacité du metteur en scène qui joue l'illusionniste avec brio. Ce pouvoir de fascination réside dans le fait que nous croyons à chaque instant avoir trouvé la clef de l'énigme et qu'un nouvel élément entre en jeu pour nous en dissuader. Lorsque l'étranger est enfin parvenu à lui faire admettre l'authenticité de ce qu'il affirme, l'inconnue se tourne vers son mari et d'un air désespéré parait le supplier de ne pas l'abandonner. Il lui dit alors flegmatique : mais c'est toi qui m'abandonnes. C'est donc sans joie, sans ferveur, qu'elle part, comme si la force de persuasion de X avait eu raison de sa volonté et qu'elle devenait la victime d'une destinée implacable où l'illusoire l'emporte sur le réel et la brise. Assise sur son lit dans sa chambre immense, elle attendra les douze coups de minuit pour le rejoindre dans le parc, là où la façade sombre du palace se reflète tristement dans les eaux.

 

L'année dernière à Mariebad est un film éblouissant, l'oeuvre d'un réalisateur inspiré, dont la mise en scène s'avère d'autant plus rigoureuse que le sujet aurait pu donner lieu à des excès, des dérapages, s'il n'avait été entre les mains d'un homme aussi clairvoyant et intelligent que Resnais. Il est de ceux qui obsède par sa virtuosité, son acuité, le message qu'il délivre sur l'apparence des choses et les illusions des sens, l' interprétation remarquable de Delphine Seyrig qui hante la pellicule comme une magicienne : insaisissable, intemporelle, féerique. Hostile aux compromissions commerciales, se tenant à l'écart des engouements de l'époque, Resnais est un créateur intransigeant qui assura en son temps la transition entre la conception classique d'un Renoir ou d'un Carné et une avancée résolue  - dans la mouvance du nouveau roman - d'une structure rénovée du cinéma contemporain. Il est surtout l'héritier du réalisme poétique et l'initiateur d'un courant qui croit dans les forces du rêve et de l'imaginaire. L'année dernière à Marienbad  fut couronné par le Lion d'or au festival de Venise 1961. Un chef- d'oeuvre.

 

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12 août 2006 6 12 /08 /août /2006 10:12
A BOUT DE SOUFFLE de JEAN-LUC GODARD

  
Né à Paris le 3 décembre 1930, Godard - franco-suisse d'origine - est, tout à la fois, acteur, dialoguiste, chef -monteur, scénariste et metteur en scène. Alors qu'il est élève en anthropologie à la Sorbonne dans les années 1949, il fréquente déjà assidûment  les ciné-clubs de la capitale et noue des relations amicales avec André Bazin, Claude Chabrol, François Truffaut, Jacques Rivette et Eric Rohmer. Godard fut l'un des premiers signataires du magazine La gazette du cinéma, fondée par Rohmer. Aussi, lorsque André Bazin crée Les Cahiers du Cinéma, est-il l'un de ceux qui y rédigent des articles. Il fait ses premiers pas de réalisateur en 1954 avec un documentaire "Opération béton" et se considère davantage comme un raconteur que comme un théoricien. "Au lieu d'écrire mes critiques, je les filme" - déclarait-il après avoir tourné en 1958 "Charlotte et son Jules" en hommage à Cocteau et "Une femme coquette" d'après une nouvelle de Guy de Maupassant. Il est vrai que la structure narrative n'a jamais été un élément important de ses films. "Je n'aime pas raconter une histoire. Je préfère une sorte de tapisserie, une trame sur laquelle je puisse tisser mes idées. Bien sûr, j'ai besoin d'une histoire comme point de départ, mais plus elle est conventionnelle, mieux c'est " - dira-t-il encore. La différence entre Godard et les autres réalisateurs de la Nouvelle Vague réside dans le fait qu'il ne cherche pas uniquement à transmettre un message social, mais se passionne pour la mise en scène et l'abolition de toutes les formes d'expérience artistique conventionnelles. Selon lui, la seule façon d'attaquer l'idéologie - de quelque nature qu'elle soit - consiste à neutraliser les formes artistiques qui en sont inconsciemment le véhicule. En quelque sorte ne pas faire un film politique mais faire politiquement un film. En cela, il est un cinéaste militant et un personnage emblématique de l'histoire du cinéma français et international, dont l'exigence a produit une oeuvre étrange, déroutante et inégale.

 

"A bout de souffle", tourné en 1959, possède les travers et les qualités d'une première oeuvre. L'impact du film tient en grande partie à la manière dont Godard expose son propos et met en scène le récit, tout en ironisant sur ses emprunts à ses propres souvenirs de cinéphile. En effet, il ne cache nullement d'avoir eu recours à l'allusion, l'hommage à l'adresse de metteurs en scène comme Preminger, Richard Quine, Melville, au point que cette accumulation de signes constitue un véritable document sur la cinéphilie. La part de documentaire l'emporte sur le réalisme qui est, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce qui fait le plus défaut à ce long métrage. Le cinéaste le reconnaissait lui-même quand en 1962 il déclarait : "Si je m'analyse aujourd'hui, je vois que j'ai toujours voulu, au fond, faire un film de recherche sous forme de spectacle. Le côté documentaire c'est : un homme dans telle situation. Le côté spectacle vient lorsque l'on fait de cet homme un gangster ou un agent secret. "Le film fut produit par Georges de Beauregard et inspiré d'un scénario de François Truffaut. Il est représentatif d'un cinéma d'improvisation empli d'irruptions novatrices dans un art que Godard considérait comme trop engourdi par l'académisme. Puisqu'il fallait filmer la vie là où elle était, il s'avérait plus rapide, et donc plus économique, de tourner les scènes avec une caméra à l'épaule, ce qui offrait en outre l'avantage de pouvoir modifier un plan sans perdre de temps à installer des éclairages compliqués. D'autant plus que cette méthode correspondait à une volonté délibérée de laisser au film la bride sur le cou et d'éviter les conventions habituelles du langage cinématographique. " Ce que je voulais - disait encore Godard - c'était partir d'une histoire conventionnelle et refaire, mais différemment, tout le cinéma qui avait déjà été fait."

 

 

Inspiré d'un fait divers, l'affaire Michel Portail, "A bout de souffle" est le plus neuf de tous les films de la Nouvelle Vague. Tourné en 4 semaines, avec des moyens de fortune, des décors naturels et deux acteurs qui n'étaient pas encore des vedettes, Jean-Paul Belmondo et l'américaine Jean Seberg, il manifeste, à l'évidence, une rupture catégorique avec les règles techniques en usage jusqu'alors, un goût certain de la provocation et, de la part de son auteur, le désir de réinventer le cinéma. A cette époque de sa vie, Godard avait autant de difficultés que de doutes dont on retrouve l'écho pathétique dans cet opus déchirant et désespéré. S'appuyant sur la virtuosité de son opérateur Raoul Coutard, il sut utiliser une pellicule ultrasensible jusque là destinée aux seuls photographes. Le filmage s'effectua sans le son direct, à la sauvette, la caméra sur l'épaule bien sûr, et s'improvisa au jour le jour selon l'inspiration du dernier moment. Heureusement le caractère approximatif de la mise en film est compensé par la fraîcheur de l'inspiration et un feu d'artifices incessant de trouvailles, de citations littéraires et de moments inspirés. Lors du premier montage, on s'aperçut que les longueurs privaient le film du dynamisme que l'auteur entendait lui imprimer, de manière à composer une oeuvre libre et imprévisible qui prenne le public à contre-pied et impose un regard révélateur sur une conception nouvelle du cinéma. Pour parvenir à cela, Godard, se refusant à enlever des séquences entières, choisit de couper dans les scènes elles-mêmes, afin de les rendre plus concises et de donner à l'oeuvre un rythme saccadé, voire heurté. De même qu'il multipliera les regards à la caméra, ce qui n'était pas habituel, et supprimera les fondus enchaînés trop romanesques à son goût. Cette audace dans l'assemblage des images imprime au film son style inimitable et une écriture totalement alerte, jamais encombrée de la moindre surcharge.
 

 

Alors que celui-ci reste un grand moment de cinéma, son auteur, avec le recul qu'imposent les années, l'a jugé comme la plus réactionnaire et la moins réussie de son impressionnante filmographie et, ce, malgré qu'elle fût son seul vrai succès commercial, ayant enregistré, durant les sept premières semaines de sa projection, 259.000 entrées. Si le public fut déconcerté, il apprécia le style neuf, l'originalité, le saisi sur le vif, l'insolence, et se laissa charmer par l'histoire qui réunissait un couple aussi fascinant que ceux que connurent les années les plus fastes d'Hollywood. Jean-Paul Belmondo, sa clope aux lèvres, son chapeau de guingois à la Bogart, sa désinvolture, son je-m'en-foutisme, sa lippe, son pouce qu'il passe sur sa bouche comme Humphrey, sa muflerie, est inoubliable dans le rôle de ce Michel Poiccard, petit escroc qui se fait arrêter par un policier alors qu'il regagne la capitale dans une voiture volée et le tue sans vergogne pour continuer sa route et retrouver à Paris une jeune étudiante américaine et le magot d'un précédent hold-up. Jean Seberg, en jeune étudiante vendant sur les Champs-Elysées le New York Herald Tribune, est merveilleuse de naturel et de féminité malgré sa coupe de cheveux ultra courte qui fut si souvent imitée, son jean serré, son t-shirt qui l'était tout autant, sa grâce émouvante, sa finesse, son délicieux accent, dans ce rôle de Patricia qui aime un mauvais garçon et tente de le sauver en le dénonçant, afin qu'il puisse fuir à Rome, où elle le rejoindra. Tous deux sont éblouissants de charme et semblent improviser leur dialogue au fur et à mesure des scènes, avec des temps morts, des silences, des questionnements. La mort surviendra au bout d'une rue étroite pour cette fripouille que Belmondo, par son implication  passionnée, parvient à rendre attachante. "Entre le chagrin et le néant, je choisis le néant. Le chagrin est un compromis " - a écrit Godard. A la fin du film, le public, qui a fait de cette réalisation un film-culte, a sans nul doute choisi le chagrin avec Jean Seberg. Après "A bout de souffle", il y eut au cinéma un avant et un après.

 

Pour lire les articles consacrés à Godard et Belmondo, cliquer sur leurs titres :

 

JEAN-LUC GODARD OU UN CINEMA IMPERTINENT              

 

JEAN-PAUL BELMONDO

 

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LISTE DES FILMS DU CINEMA FRANCAIS

 

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A BOUT DE SOUFFLE de JEAN-LUC GODARD
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4 août 2006 5 04 /08 /août /2006 10:02

 saint-exupery03.jpg

 

Créateur d'images neuves et, en véritable écrivain, soucieux d'une écriture qui traduise le renouvellement des perspectives et les dimensions insoupçonnées apportées jusque dans l'imaginaire par la vision aérienne du pilote, Saint-Exupéry fut forcément tenté par l'écriture cinématographique - nous dit Paule Bounin dans son étude sur "Saint - Exupéry et le cinéma" dans l'un des deux volumes de la Pléiade consacré à l'auteur. Il se trouvait au confluent de ces deux lignes de force de la modernité : les immenses possibilités de l'aviation et celles, tout aussi immenses, de la photographie. C'est pourquoi l'étude des scénarii qui ne sont encore que l'ébauche imaginaire du film, lui paraissait plus intéressante que la lecture des scripts des films projetés ensuite sur l'écran.  "Je ne considère point une pellicule comme mon oeuvre. Elle est, en effet, toujours une oeuvre collective issue tant bien que mal de compromis qui ne contentent jamais un auteur et j'évite au contraire avec le plus grand soin d'y attacher mon nom" - écrivait-il, tant il fut, par la suite, déçu des réalisations faites à partir de ses projets et de l'écriture de ses scénariis. " Je ne pus empêcher les producteurs de jouer sur une signature qu'ils ont payée mais je ne joins pas mes efforts aux leurs " - ajoutait-il.  Ses nombreux projets cinématographiques, allant du script, prêt à être tourné, à l'ébauche du scénario ou au synopsis hâtivement rédigé, nous conduisent à nous poser la question : Saint-Exupéry aimait-il écrire pour le cinéma ? La réponse doit être nuancée. D'autant que dans sa correspondance, il se livre à des confidences souvent contradictoires sur le sujet : Le cinéma et le journalisme sont des vampires qui m'empêchent d'écrire ce que j'aimerais  - avouait-il dans une lettre à une amie datée de 1936. La déception n'empêchait nullement l'espoir de rejaillir à chaque fois, tant il aspirait à trouver le langage approprié, capable d'exprimer ce qui lui tenait le plus à coeur : une action noble conduite par une pensée élevée. Plusieurs films furent néanmoins portés sur écran à partir de ses scénarios : Anne-Marie - Courrier Sud - The conquest of the Air, si bien que les images nous interrogent à la place des mots.

 

VOL DE NUIT

 

Ce fut la première oeuvre réalisée aux Etats-Unis en 1933 par  Clarence Brown.  John Barrimore y tient le rôle de Rivière ;  Clark Gable Myrna Loy et Robert Montgomery font partis de la distribution. Le film sortit à Paris en 1934 et valut à Saint-Exupéry d'être connu d'un plus large public, célébrité que vint confirmer la création par les frères Guerlain du parfum Vol de nuit. Mais le succès du film eut vite fait d'outrepasser les frontières.

 

ANNE-MARIE

 

Pour ce film, Saint-Exupéry se chargea lui-même de l'adaptation et des dialogues d'un scénario qu'il avait vendu, au moment d'un voyage qu'il fît en Russie, au réalisateur Raymond Bernard, fils de Tristan Bernard, dont les films font date dans l'histoire du cinéma français. Le film sortit en 1935 avec Annabella dans le rôle d'Anne-Marie, Pierre Richard-Willm, Jean Murat  dans ceux de l'inventeur et du penseur. Le succès fut au rendez-vous, au point que le scénario devint un roman bon marché illustré par les photos du film qui parut sous la signature de Jean d'Arganse, avec la mention : " d'après le scénario d'Antoine de Saint-Exupéry.

 

COURRIER SUD

 

Dès 1931, Saint-Exupéry avait envisagé une adaptation de Courrier Sud.  Françoise Giroud  travailla avec l'équipe et dactylographia plusieurs versions du scénario à l'hôtel Lutétia, où Pierre Billon, André Aron, puis  Robert Bresson  se réunissaient pour faire en sorte de mener à bien le projet. La sortie de Courrier Sud sur les écrans parisiens eut lieu en mars 1937. Ce long métrage fut distribué par Pan Ciné avec pour réalisateur Pierre Billon et directeur de production Georges Lampin. Pierre Richard-Wilm y tenait de nouveau l'un des rôles principaux. Durant l'occupation, le film ne fut exploité qu'en zone libre et son succès nécessairement entravé par la guerre.

  

THE CONQUEST OF THE AIR

 

En même temps qu'avait lieu le tournage de Courrier Sud, Saint-Exupéry était entraîné par son ami Jeanson sur un projet qui traiterait de l'histoire de l'aviation depuis ses débuts. L'idée plut à l'écrivain, mais son enthousiasme retomba bientôt car les résultats du tournage, déjà commencé, ne lui parurent pas conformes à ses espérances. Saint-Exupéry aurait souhaité faire participer les survivants de l'épopée aéronautique, alors que réalisateur et metteur en scène préféraient avoir affaire à des acteurs. Le film, ajourné à plusieurs reprises, ne sera réalisé qu'en 1940 par  Alexander Korda, d'après le scénario de Hugh Grayaud et Peter Besancent.  Le générique mentionna le nom de Saint-Exupéry. Sans plus.
 

D'autres scénarios furent également abandonnés, dont ceux de "Igor" et de "Un avion s'est égaré", tandis que Jean Renoir, avec lequel Saint-Exupéry aurait aimé adapter "Terre des hommes", ne put, hélas ! faire aboutir le projet, parce que Darryl Zanuck, avec lequel il était sous contrat pour la Fox, fut découragé à la suite des problèmes liés à la construction des décors chargés de représenter le désert de Lybie. Orson Welles,  quant à lui, envisageait de réaliser un film d'après  "Le petit prince ", mais cela resta à l'état de voeu pieux. Le texte du scénario est conservé à la Lilly Librairy à Idiana University. Cependant en 2004, Stanley Donen a réalisé un film sur Le petit prince, avec pour interprètes  Richard Kiley Bob Fosse,  Gene Wilder et  Joss Akland,  accompagné par les chansons de  Alan Jay Lerner  et  Frederick Loewe.  Le DVD est en vente sur internet.

 

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LISTE DE MES BILANS CINEMATOGRAPHIQUES

 

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SAINT-EXUPERY et le CINEMA
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3 août 2006 4 03 /08 /août /2006 09:18
LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR

       
Il y a des films qui apparaissent soudain comme un événement inattendu et insolite dans la production internationale et qui, grâce au bouche à oreille, qui fonctionne souvent mieux et plus rapidement que le réseau de la critique professionnelle, quotidienne ou hebdomadaire, emplissent les salles obscures comme par miracle. Ce fut le cas du  "Cercle des poètes disparus".  Certes la critique fut favorable au film de Peter Weir, mais l'engouement immédiat des premiers spectateurs et leur enthousiasme communicatif permirent à l'information de se propager comme une traînée de poudre. Voilà un film qui aborde un sujet original et, sans le traiter de façon exhaustive, a le mérite de l'approcher et de poser le problème de la transmission du savoir et de la formation des esprits, d'autant mieux que le réalisateur s'octroie l'audace de situer son action au sein d'un des collèges les plus réputés d'Amérique : l'Académie Welton. Il faut reconnaître au cinéma américain de choisir, à l'occasion, de manière innovante, des sujets difficiles, occultés la plupart du temps par le cinéma européen pour des raisons diverses. Il est vrai aussi que la poésie, qui aspire à se libérer de la raison et à transformer le langage selon ses lois propres, peut inquiéter ou du moins déranger. Nous sortons là des sentiers trop bien balisés par les disciplines scientifiques et mathématiques, voire historiques et philosophiques, pour nous aventurer dans les jardins ensorcelants où l'inconscient et le préconscient spirituel peuvent s'arroger des droits et côtoyer l'abîme intérieur de la liberté personnelle, avec la soif intime de mieux connaître et de mieux saisir les mystères de l'être et de l'existence. D'autant plus que l'activité non-conceptuelle ou pré-conceptuelle de l'intelligence joue un rôle déterminant dans la genèse de la poésie et de l'inspiration poétique. N'est-ce pas l'intuition qui se met alors à l'oeuvre pour atteindre à une connaissance qui n'est plus celle immédiate de la logique et de la raison, mais celle significative, intentionnelle et créatrice de l'intuition, sans laquelle il n'y a pas d'inspiration et de création valable ? Expérience capitale et approche significative qui orientent la pensée en une subjectivité éminemment personnelle. "Est-ce qu'il me faut créer le monde pour le comprendre ? Est-ce qu'il me faut engendrer le monde et le faire sortir de mes entrailles "  - écrit Claudel dans "Les grandes odes".
 

 

Descendre au fond de soi pour y appréhender ce qui est à l'extérieur, entrer dans sa nuit pour y découvrir la lumière, devenir soi pour se mieux porter vers les autres, n'est-ce pas cela que Monsieur Keating a l'ambition d'apprendre à sa jeune classe ? Alors que l'enseignement traditionnel de ce collège forme depuis des décennies, dans un moule parfait, habilement structuré, les futurs grands serviteurs du pays, ce nouveau professeur vient, ni plus, ni moins, faire souffler la tempête et bousculer des principes qui paraissaient jusqu'ici inaliénables. Avec lui, la subversion pénètre ce lieu étanche, où la connaissance rationnelle se transmettait jusqu'alors de génération en génération, sans jamais avoir été remise en cause. Mais si le désordre est subversif par essence, est-il absolument nécessaire ? Voilà l'enjeu du film et la question qu'il soulève, même si la réponse, qu'il s'applique à donner, s'avère davantage sentimentale et pathétique que transcendante. Au personnage central de Monsieur Keating échoie la responsabilité de donner à chacun de ses élèves le goût de soi. Plus exactement l'envie de juger le monde, la vie, les êtres, les situations, les idées, les grandes questions métaphysiques à l'aune de soi-même, sans se laisser influencer par l'air du temps. Ajuster son regard, affiner son esprit, libérer son imagination, accorder à son inspiration personnelle la place qui lui revient, se délester du fardeau de peur et d'angoisse qui pèse si constamment sur notre vie, c'est le challenge qu'il leur propose. Selon lui, il faut réanimer cette part secrète de nous-même, la faire revivre dans l'exaltation et l'enthousiasme, car " dans la poésie l'homme se concentre ou se retire jusqu'aux toutes dernières profondeurs de la réalité humaine " - disait Hölderlin. C'est ainsi que les poètes sont les premiers à attester qu'ils ont un besoin essentiel de lucidité et de liberté,  le poème  étant, par excellence, un acte conscient et délibéré. Ces préceptes, Monsieur Keating  va s'appliquer à les communiquer par le biais de méthodes peu orthodoxes, sorte de "mise en réforme" des idées reçues et ajustement d'un enseignement différent qui va créer nécessairement, au sein de l'établissement, un véritable séisme. A la raison est opposée l'imagination, le goût de la créativité, le désir d'exister dans une totale autonomie de la personne. Un enseignement qui n'est pas envisagé dans le but de former l'élève en fonction d'une activité précise, mais dans celui de l'aider à se trouver, à se réaliser selon ses dons et ses aptitudes, pédagogie que les responsables du collège et certains parents ne pourront tolérer. Ce conte philosophique va irrémédiablement déboucher sur le drame, car toute tempête engendre ses naufrages. L'un des internes va se découvrir une vocation pour le théâtre, grâce au spectacle que les élèves, en fin d'année, organisent avec leur professeur. Bien entendu le père de cet interne s'opposera au souhait de son fils d'embrasser une carrière théâtrale et ce dernier se suicidera, tandis que le professeur sera renvoyé de l'institution sur le motif d'avoir mis ce jeune garçon sur la voie de l'autodestruction. La dernière scène du film est superbe et inattendue. Alors que le maître salue une dernière fois ses élèves, toute la classe monte sur les pupitres, en criant : " O capitaine, mon capitaine ", afin de bien persuader leur ancien professeur qu'ils ont retenu sa leçon, qui n'est autre que de rester, envers et contre toute pression exercée par qui que ce soit,  un esprit libre.
 

                    

Comme je l'écrivais au début de cet article, le film fut un énorme succès mondial qui  a su utiliser toutes les ressources de l'émotion. Robin William y est un professeur plein d'originalité et d'insolence, parfaitement crédible et irrésistible par son jeu nuancé et ironique ; quant aux jeunes acteurs, ils sont étonnants de naturel et de spontanéité. Bien sûr ce long métrage n'échappe pas, comme beaucoup d'autres, au manichéisme bien connu du cinéma américain, avec d'un côté le bon professeur, de l'autre l'archaïsme borné du système éducatif, mais, malgré cette faiblesse, le film exerce son pouvoir envoûtant, auquel la musique de Maurice Jarre ajoute sa force émotionnelle. Une grande réussite.


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LISTE DES FILMS DU CINEMA AMERICAIN ET CANADIEN

 

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LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR
LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR
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30 juillet 2006 7 30 /07 /juillet /2006 08:42
SUR LA ROUTE DE MADISON de Clint EASTWOOD

                                              

Sur la route de Madison,  tirée d'un roman de Robert James Waller, est un film à part dans la production hollywoodienne de ces dernières années. Un film qui ne délivre aucun message, ne brandit aucune doctrine, ne retrace aucune épopée, et n'a d'autre ambition que de raconter la simple histoire d'un homme et d'une femme qui vont s'aimer pendant quatre jours, mais quatre jours qui rimeront avec toujours. Pas une passion furieuse, violente, sexuelle, dévorante et tragique ; non, un amour profond, sincère, un dernier bel amour entre personnes d'âge mûr, une rencontre lumineuse qui laissera à jamais, dans leur mémoire, son indéfectible rayonnement.
 

 

Lorsque le film commence, nous voyons apparaître sur l'écran une vieille boîte aux lettres provinciale. Le ton est donné. Venus régler les détails de la succession de leur mère, Michael et Carolyn trouvent surprenant et pénible l'idée de devoir répandre ses cendres du haut du pont couvert de Madison. Pourquoi leur mère n'a-t-elle pas voulu que sa dépouille aille rejoindre celle de leur père dans le cimetière de la ville ? Ils vont en découvrir la raison en lisant son journal intime, où elle retrace ce qui s'est passé dans sa vie, habituellement rangée et monotone, durant quelques jours de l'année 1965. Alors que son mari et ses enfants étaient partis à une fête, Francesca, restée seule, rencontre Robert Kincaid, photographe au National Geographic et chargé d'effectuer un reportage sur les vieux ponts couverts de cette région de l'Iowa. Après lui avoir indiqué où se trouvait celui de Roseman, Francesca invite Robert chez elle. Ils se revoient le lendemain, dansent ensemble et deviennent amants. Avant de la quitter quelques jours plus tard, Robert demande à Francesca de l'accompagner, mais elle refusera pour la seule raison qu'elle n'a rien à reprocher à son mari et que le scandale, qui surviendrait immanquablement, détruirait sa famille. Après la mort de Richard, ses enfants devenus grands, elle essaie de retrouver Robert et apprend sa mort. Il lui a d'ailleurs légué un album de photos " Four days "et ses cendres ont été, selon sa volonté, dispersées depuis le pont de Roseman. C'est ainsi que les enfants comprennent enfin pour quelle raison, au-delà de la mort, leur mère aspirait à rejoindre l'homme qu'elle avait passionnément aimé. Pas d'histoire plus émouvante qui, si elle n'était pas traitée avec cette pudeur, cette économie, cette sobriété qui donnent au film sa tonalité propre et son retentissement, pourrait friser le mélo. Eastwood, qui ne devait, dans un premier temps, n'être que l'acteur principal et à qui a fini d'incomber la triple fonction de producteur, metteur en scène et interprète, à la suite de la défection de Bruce Beresford, retrouve - comme par magie - la tendresse, la beauté, la rigueur de ses confrères d'antan, John Ford et Howard Hawks, dans la mouvance desquels se place Sur la route de Madison - et parvient à fonder l'assise du film sur de simples, mais authentiques rapports humains, sans avoir recours à des effets spéciaux, sans violence et sans scènes de sexe.
 


" Lorsque j'ai décidé de faire le film, a-t-il déclaré - je savais qu'il y aurait des préjugés contre moi. Pourtant, j'ai toujours été un romantique. J'adore les atmosphères d'éclairage aux chandelles, avec un bon verre de vin et de la bonne musique. Le livre frise le mélodrame. Nous avons évité au maximum d'envoyer les violons. Dans le film, on nous voit, Meryl et moi, éplucher des carottes ou chasser des mouches. Je voulais que les gens, en nous voyant, pensent à eux, à leurs propres relations amoureuses. Tout le monde, à un moment de sa vie, a eu - ou en a rêvé - une grande histoire d'amour."
 


Il est vrai que moi-même je ne m'attendais pas à découvrir un Clint Eastwood  jouant sur un registre aussi délicat et sensible. J'avais eu la même surprise, autrefois, en découvrant Burt Lancaster en vieil aristocrate italien dans Le Guépard. Ce qui prouve qu'un grand acteur peut jouer dans toutes les tonalités et ne pas cesser de nous surprendre en acceptant des rôles dits de " contre-emploi ".Eastwood a soixante-cinq ans lorsqu'il tourne ce film et, cependant, il n'hésite pas à apparaître comme un homme épris, ébranlé dans sa sensibilité par cette rencontre inespérée. Son style atteint une plénitude artistique exceptionnelle et son jeu tout en nuance, qui se concentre dans ses regards, dans ses attitudes, est proprement admirable. Deux scènes illustrent cette sobriété de jeu que partage également Meryl Streep. Dans la première, alors qu'elle parle au téléphone, Francesca arrange le col de chemise de Robert Kincaid, tandis qu'il lui touche doucement la main et que, bientôt, ils se mettent à danser ensemble. En quelques secondes, sans effusion, sans hystérie, de la manière la plus évidente, tout est dit de l'importance grandissante de leur sentiment. Dans l'autre scène, cette femme mûre étreint la poignée de la porte de sa voiture, prête à en sortir, à quitter son mari pour suivre cet homme qu'elle aime, puis elle relâche sa pression et se refuse à se lever, à sortir du véhicule. Toute son énergie se dresse contre son élan naturel à courir rejoindre Robert, si bien qu'elle démarre et s'éloigne dans le sens opposé. Ainsi, contraints par la force des choses, les amants partent-ils dans des directions différentes.  Le devoir vient de l'emporter sur l'amour qui, néanmoins, ne les lâchera plus. Quelques minutes de bonheur auront suffi à bouleverser leur existence. Dans la dernière séquence, on voit Clint Eastwood sous la pluie, le visage défait, regardant, sans pouvoir la conquérir définitivement, celle qui s'en retourne silencieusement vers son mari. Jusqu'à ce que, plus tard, beaucoup plus tard, leurs cendres, répandues au même endroit, ne signent leurs retrouvailles dans l'au-delà de la mort.
 

 

Nous sommes loin, avec ce film, des héroïnes paroxystiques, chères à Tennessee Williams, ou des passions hard qui inondent nos écrans et nous montrent des amours humaines sous l'angle de l'affrontement brutal et sauvage. Là, nous évoluons dans la plus pure mélodie amoureuse, l'alliance des coeurs et des esprits, l'épanouissement harmonieux des corps. Eastwood, renonçant à l'aspect macho que le personnage avait dans le roman, choisit d'en faire un être sensible et vulnérable, contribuant à renforcer, par sa retenue, le personnage de Francesca, finement joué par la merveilleuse Meryl Streep. Et, ce, à un tel degré d'excellence, que La route de Madison est, peut-être, l'un des plus beaux films jamais tourné sur l'amour, dans ce qu'il a de plus accompli, de plus achevé. Oeuvre anachronique, il est vrai, dans l'Hollywood quelque peu tapageur des années 90. Et le modèle d'un film qui a su dépasser sa source d'inspiration : le roman.

 

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27 juillet 2006 4 27 /07 /juillet /2006 11:15
LA CHATTE SUR UN TOIT BRULANT de RICHARD BROOKS

  

Le projet d'un film, à partir de la pièce de Tennessee Williams,  fut envisagé par le producteur Pandro S. Berman, dès qu'il eût assisté à sa représentation à New-York, avec le désir de confier le rôle principal à Grace Kelly, ce qui, selon moi, aurait été une erreur de casting. Finalement la réalisation du long métrage  La chatte sur un toit brûlant est confiée à Georges Cukor, homosexuel notoire, qui refuse, après lecture, d'en assumer le tournage, avouant, qu'à l'époque, il n'était pas possible de traiter honnêtement de l'homosexualité. Mankiewicz fut contacté à son tour sans plus de succès et c'est finalement Richard Brooks, après bien des tergiversations, qui acceptera de mener le projet à son terme et d'être en même temps le scénariste et le metteur en scène.


" Je n'avais pas l'impression que l'homosexualité, latente ou évidente, était indispensable pour l'histoire. Dans un théâtre, vous avez une audience conditionnée mais si, au cinéma, vous voyez un homme à l'écran qui passe son temps à dire qu'il n'a pas envie de coucher avec Elisabeth Taylor, alors le public commencera à siffler. Ils ne peuvent s'identifier avec le héros parce qu'eux ils ont envie de coucher avec Elisabeth Taylor. Mais si Paul Newman disait : " Non, ma chérie, je pense à Skipper ", la salle éclaterait de rire. Il a fallu que je trouve une dramatisation du refus que Brick oppose à Maggie, non parce qu'il est incapable de l'aimer, mais parce qu'il la considère comme responsable de la mort de Skipper."

 


La situation de Brick (personnage central, admirablement interprété par Paul Newman) est doublement tragique, parce qu'il a été trahi par les deux êtres qui comptaient le plus pour lui. Cette situation est remarquablement rendue, lors de la longue séquence où Maggie (Elisabeth Taylor) change ses bas maculés de crème devant Brick et ne parvient pas à éveiller chez lui la moindre réaction amoureuse, tant celui-ci est davantage  préoccupé par ses fantasmes et son bourbon, que par cette femme somptueuse qui s'offre à lui. De même, lorsque, par inadvertance, ses mains se posent sur la combinaison en soie de sa femme, suspendue dans la salle de bains, et dont il se débarrasse avec agacement, comme si cette évocation féminine le dérangeait. Brooks a fait en sorte de jouer sur plusieurs régistres sans se contenter de ce parfum de scandale que représentait, à l'époque, l'homosexualité ; il choisit de ne parler qu'allusivement des rapports qui ont uni Brick et Skipper, bien que certaines phrases soient très explicites - et de dénoncer en priorité un monde contrôlé par le mensonge et la duplicité, un univers où les êtres ne cessent de se dérober aux regards des autres. Le film montre, d'une part, une société en déliquescence qui doute d'elle-même et expose, par ailleurs, les graves problèmes qui n'en finissent pas de la miner en profondeur.


" Dans la dernière partie du film, déclarait Brooks,  les personnages sont donc confrontés à leur passé, le père à tous les objets qu'il a achetés mais qui ne sont plus que des symboles de richesse, parce qu'ils sont devenus inutiles ; le fils, à tous les prix qu'il a remportés et qui ont perdu, eux aussi, toute signification. Il fallait que les deux âmes soient mises à nu, qu'elles se contemplent : on doit voir la vérité en face, aussi affreuse soit-elle. Ce n'est qu'ensuite qu'ils peuvent remonter de cette cave et déboucher dans un espace ouvert et l'histoire peut se poursuivre dans cette ascension vers l'extérieur de la maison."

 

L'intelligence et la sensualité du scénario de Richard Brooks a bénéficié d'une interprétation parfaite, notamment celle éblouissante d'Elisabeth Taylor, dont on ne dira jamais assez combien elle était une excellente actrice, actrice d'instinct qui ne fut pas toujours bien employée, hélas ! et qui trouve là l'un de ses plus beaux rôles. Ce fut, lors de ce tournage, que son mari  Michael Todd disparut dramatiquement dans un accident d'avion. Sa douleur ne l'empêcha pas de revenir trois semaines après dans les studios pour terminer une ultime scène, manifestant ainsi son souci d'assumer jusqu'au bout ses engagements. Le film reçut un accueil mitigé et doit énormément à la renommée des deux principaux interprètes. Il est évident que l'Amérique n'était pas enchantée que l'on dévoile certaines de ses plaies secrètes. On sait l'impact que les films - surtout s'ils ont été réalisés par et avec des gens de talent - exercent sur le public, et celui-ci ne pouvait manquer de frapper les imaginations et d'interroger les consciences. Pour une fois, un réalisateur s'attaquait à des problèmes de société et révélait la nature du mal : un monde en perte de valeurs qui ne se reconnaissait plus dans les fausses apparences qu'il s'appliquait à revêtir. " Il n'y a rien de plus puissant que l'odeur du mensonge " - dit à un certain moment le tonitruant Big Daddy. A travers le personnage frustré de Maggie, c'est une Amérique frustrée de ses idéaux qui est évoquée. Dans cette course à l'héritage, c'est aussi une Amérique polarisée par l'argent qui est dénoncée et ainsi de suite. Ce petit monde grouillant dans la médiocrité de ses aspirations,  le sexe, l'alcool, le suicide, l'argent, la lâcheté, nous fait découvrir que le mal rampant dont il souffre n'est autre qu'un manque d'espérance, un manque d'amour et, par voie de conséquence,  une absence de spiritualité.

 


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ELISABETH TAYLOR, L'ENSORCELEUSE         PAUL NEWMAN

 

 

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23 juillet 2006 7 23 /07 /juillet /2006 08:47
LA DAME DE SHANGHAI d'ORSON WELLES

                                            
La dame de Shanghaï  est un film qui a beaucoup dérangé le public américain de l'époque (1947). En effet, on savait que le couple Welles/Hayworth vivait séparé et que plus rien n'allait entre eux, lorsqu'il fût annoncé que Welles engageait son ex-femme pour tenir le rôle vedette de son prochain film. Le cinéaste traversait alors - et sur tous les plans - une période difficile ; il avait des besoins d'argent pour une pièce qu'il montait, aussi proposa-t-il au patron de la Colombia, Harry Cohn, de produire un film pour lui. Il ne s'agissait d'ailleurs, dans l'esprit de Welles, que d'un film de série B dont le devis de 350.000 dollars lui assurerait toutefois le quadruple poste de producteur, scénariste, metteur en scène et acteur. Cohn ayant accepté, Welles lui proposa d'adapter un policier de Sherwood King "If I die before I wake ", dont le titre avait attiré son attention mais qui, à la lecture, se révéla désastreux.
 

 

Mais la parole était donnée, l'engagement pris, Welles ne pouvait plus reculer. Il allait donc s'employer à porter ce polar à l'écran en restant fidèle à l'intrigue, mais en lui prêtant son talent de metteur en scène, c'est-à-dire une mise en images qui n'allait manquer ni de force, ni d'originalité, même si La dame de Shanghai ne se place pas, à proprement parler, parmi les très grands films. C'est Harry Cohn qui imposa Rita à son ex-époux. Il l'avait sous contrat à la Colombia et pensait que son aura de star assurerait au film une bonne diffusion. L'actrice était alors au faîte de sa carrière et de sa célébrité, elle défrayait régulièrement les chroniques des gazettes hollywoodiennes, et était considérée comme l'une des plus belles femmes du monde. Welles, qui aurait préféré Barbara Laage, s'inclina et considéra que c'était là un cadeau de rupture qui ne manquait pas de piment, mais exigea que l'actrice se fit couper les cheveux et teindre en blonde. Rita, la rousse flamboyante, devenait ainsi une blonde platinée, conforme au moule conventionnel de la capitale du cinéma. Gilda s'était changée en Elsa, une criminelle calculatrice et manipulatrice qui allait assassiner l'ami de son mari, compromettre son amant et trouver à son tour la mort en provoquant son mari dans un mystérieux parc d'attractions. Rita Hayworth ne pouvait pas trouver de rôle plus ingrat et plus antipathique, mais il lui plaisait assez de montrer au public qu'elle pouvait casser son image glamour et devenir une actrice dramatique.
 

 

L'histoire se passe à San Francisco, où le marin Michael O'Hara vient de sauver d'une agression une séduisante jeune femme du nom d'Elsa Bannister. En guise de remerciement, le mari de celle-ci, un avocat de renom, invite Michael à embarquer sur son yacht pour une croisière, ce que le marin ne saurait refuser. N'est-ce pas une opportunité rêvée qui lui permet de rester quelques jours en présence d'Elsa, dont il est follement amoureux ? A bord, il y a aussi Georges Grisby, un ami de Bannister en mal d'argent, qui va jusqu'à proposer à Michael de simuler pour 5000 dollars son meurtre, afin qu'il puisse toucher une importante prime d'assurance. Michael  accédera à ce souhait invraisemblable pour la bonne raison que cette somme lui permettra de partir avec Elsa. Mais Grisby est retrouvé mort et Michael, désigné d'office pour le meurtrier, puisqu'il a eu la sottise de signer un papier compromettant. On apprendra, par la suite, que le meurtrier était une meutrière : Elsa.
 

                     

Film sombre s'il en est, l'intrigue assez loufoque est sauvée par l'interprétation intense et magnétique d'un Orson Welles magnifique en héros manipulé, plongé dans un véritable cauchemar ; par une éblouissante Rita qui campe cette femme glacée avec un détachement inhabituel, comme étrangère à cette intrigue dont elle tire les ficelles ; enfin par une mise en scène techniquement parfaite, pleine de trouvailles, d'angles étudiés qui ajoutent encore à l'ambiance suffocante du film. Ainsi la dernière scène, qui se déroule dans un palais des miroirs, et multiplie à l'infini l'image du couple éclaté. Puis, l'abandon par Michael d'Elsa agonisante, après le différend qui l'a opposée à Bannister.

 

Beaucoup de spectateurs y virent une intention précise de la part de Welles de présenter une Rita odieuse et méprisable et considérèrent que c'était là une vengeance à l'égard d'une femme qu'il avait aimée. Lui-même tenta de s'en expliquer : "Le sujet du film est exactement celui du livre, que je n'avais pas lu. Ainsi la théorie qui veut et qui a été exprimé des milliers de fois, comme quoi il s'est agi d'un acte de vengeance contre Rita et que tout cela était un vaste complot dans lequel je voulais corroder son image, et ainsi de suite, n'a pas de sens puisque tout cela est dans le livre. Elle-même a lu le livre et a voulu jouer le personnage pour montrer qu'elle était une actrice dramatique."

                   

A l'évidence le film choqua et le divorce, prononcé juste au moment de la sortie du film, ne fit rien pour arranger les choses. Il reste à La dame de Shanghaï  sa beauté esthétique, sa gravité douloureuse lors de certaines scènes, la présence de deux monstres sacrés du cinéma et, par delà un policier sombre, l'hommage secret que Welles entendait rendre à l'expressionnisme allemand.



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ORSON WELLES OU LA DEMESURE
            RITA HAYWORTH, DEESSE DE L'ECRAN

 

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LA DAME DE SHANGHAI d'ORSON WELLES
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20 juillet 2006 4 20 /07 /juillet /2006 08:10
L'AVENTURE DE Mme MUIR de JOSEPH MANKIEWICZ


Tiré d'un roman de R.A. Dick, le film  L'aventure de Mme Muir a su créer un climat qui n'appartient qu'à lui et suggère, par la force de l'image, un monde romanesque où la vie elle-même n'est plus qu'une transposition du rêve. Nous sommes à Londres au début du XXème siècle, au moment où Lucy Muir, une jeune veuve, quitte sa belle-famille pour s'installer avec sa fille Anna et sa servante Martha à Whitecliff, au bord de la mer. Lucy remarque une maison un peu délabrée et étrange que les gens du pays disent hantée. C'est là qu'elle veut vivre désormais, attirée, on ne sait pourquoi, par les bruits qui courent autour de ces vieilles pierres. Et, dès son installation, le fantôme du capitaine Gregg lui apparaît. Il lui apprend que, contrairement aux rumeurs, il ne s'est nullement suicidé mais a été asphyxié. Ce fantôme va devenir, au fil des nuits, son familier et faire en sorte de l'aider dans son existence quotidienne. La sachant ruinée, il entreprend de lui inspirer le texte de sa vie aventureuse, persuadé que ce livre rencontrera la faveur du public et la mettra à l'abri du besoin. Et cela se passe ainsi. Un éditeur, emballé par le sujet, le publie et l'ouvrage connait très vite le succès. Mais voilà que, chez l'éditeur, la jeune femme noue une relation avec un homme aux manières élégantes. Le fantôme comprend avec tristesse qu'il doit s'éloigner et, au cours d'une nuit, lui fait ses adieux. Les années passent. Lucy a appris que son séducteur était marié et père de famille ; sa fille Anna se fiance, et elle se retrouve seule et désemparée. Soudain le fantôme de Gregg lui réapparaît et lui ouvre les bras. Lucy quitte alors son apparence charnelle et rejoint pour l'éternité cet homme qu'elle aimait sans vraiment le savoir.

 

L'histoire pourrait être banale. A la réflexion, il n'en est rien, car elle est riche de symboles. Le capitaine Gregg matérialise les fantasmes de Lucy à qui il dit : " Je suis ici parce que vous croyez en moi. Continuez à le croire et je serai toujours réel pour vous." S'il s'éloigne, ce n'est que pour la laisser libre d'assurer ses choix et d'agir selon son coeur. " C'était un rêve, Lucia, et au matin et toutes les années suivantes, tu t'en souviendras comme d'un rêve. Et il mourra comme tous les rêves au moment du réveil. Comme tu aurais aimé le cap Nord et les fjords sous le soleil de minuit, naviguer au-delà des récifs des Barbades où les eaux tournent au vert. Les Falklands où le vent du sud souffle et fouette les vagues blanches d'écume. Que de choses nous avons perdues, Lucia, que de choses nous avons perdues tous les deux. Adieu, mon amour ! " lui dit-il encore la nuit où il la quitte, afin de ne pas entraver son existence terrestre. Ce n'est donc qu'en mourant que cette femme accédera à l'amour et rejoindra le capitaine Gregg, homme idéal, rêvé, espéré, on ne sait. C'est là la merveilleuse énigme que propose le film. Serait-ce seulement au delà du temps et de la vie que s'atteint la réalité de l'amour où, en ce monde, il n'est qu'une gageure ? Qu'en est-il et où le situer ? Devenue la confidente d'un fantôme, Lucy franchit plus aisément le miroir qui sépare la réalité du rêve, le visible de l'invisible, dualité permanente qui trouble notre juste appréciation des choses.  Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est réel ?  Ce film a le mérite de nous interroger sur nous-même, sur le sens de la vie, sur l'importance que revêt l'imaginaire au sein du vécu. On peut y voir également un certain pessimisme quant aux rapports amoureux qui apparaissent si médiocres dans le monde humain. Les dialogues ciselés de Philippe Dunne, et peut-être de  Joseph L. Mankiewicz  lui-même, la musique envoûtante donnent au film une profondeur, une qualité rare de suggestivité, en font une oeuvre à part, étrange, policée, fantastique, évanescente qui nous convainc que le cinéma est vraiment un art à part entière, capable de tout dépeindre et de tout exprimer. Gene Tierney y est une Lucy émouvante, d'une beauté immatérielle, celle d'un ange qui ne serait sur cette terre que par inadvertance. Quant à  Rex Harrison,  il sait allier avec subtilité la tendresse, la force, l'abnégation, la retenue... au long de cet itinéraire initiatique très personnel. On retrouve certains thèmes chers au réalisateur de La comtesse aux pieds nus : un personnage rêvant à un autre monde comme Cléopâtre, Diello, Eve Harrington ou Maria Vargas et qui ne trouve la sérénité que dans la mort. Une mort envisagée  comme un seuil à passer, une étape à franchir.

 


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GENE TIERNEY, L'ATTENDRISSANTE


 

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L'AVENTURE DE Mme MUIR de JOSEPH MANKIEWICZ
L'AVENTURE DE Mme MUIR de JOSEPH MANKIEWICZ
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19 juillet 2006 3 19 /07 /juillet /2006 10:17

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A Casablanca, en 1941, deux courriers allemands sont assassinés. Le capitaine Renault, responsable de la police locale, assure le major Strasser qu'il va arrêter le soir même le coupable dans un night-club de la ville, tenu par un certain américain Rick Blaine, lieu de tous les trafics où se côtoient régulièrement des partisans de Vichy mais aussi de la France libre, des joueurs, des voleurs, des trafiquants et des résistants, en quelque sorte un monde miniature qui représente toutes les tendances d'une société déstabilisée par la guerre et dont les instincts les plus noirs, comme les élans les plus nobles, sont sollicités par la complexité des événements.

 

Arrive dans le même temps un chef de la résistance Victor Laszlo accompagné de sa femme Ilsa Lund. Cette dernière demande d'emblée au pianiste, qui assure le spectacle musical, de jouer " As time goes by " et on comprend, en voyant apparaître Rick, qu'autrefois tous deux ont vécu une passion amoureuse dans un Paris  encore libre. Mais la capitale est bientôt décrétée Ville ouverte  et Rick, résistant américain, qui a déjà opéré en Ethiopie et en Espagne, se voit contraint de quitter la ville pour gagner l'Afrique du Nord. Il était prévu qu'Ilsa partirait avec lui, mais à la gare, on fait parvenir à Rick une lettre de rupture, et il part seul.

 

Depuis lors, il est un homme amer et désenchanté, un opportuniste cynique qui a oublié son idéal d'antan, son combat pour un monde meilleur. Il se contente dans l'immédiat de gérer son établissement au mieux de ses intérêts, sans se soucier du trafic occulte et de la guerre d'influence qui s'y pratiquent. Sa vie a basculé lorsque Ilsa a rompu leur idylle, de façon brutale et inexplicable à ses yeux. Grâce aux flash-back, on apprend qu'à Paris, elle a retrouvé Victor et pensé de son devoir de rester à ses côtés, d'autant qu'il revient auréolé de ses faits et mérites de grand résistant. Voici donc deux hommes qui sont soudain confrontés, non seulement l'un à l'autre, mais à la réalité du moment. Certes, ils aiment la même femme, mais leurs positions sont totalement divergentes et incompatibles : si Victor est resté fidèle à son engagement moral, Rick a oublié ses idéaux et se limite à surveiller les bénéfices de sa boîte de nuit, en corrompant, à l'occasion, les clients qui le sollicitent. Remis en présence d'Ilsa, pour laquelle il éprouve toujours le même amour, il va redevenir, au fil des circonstances, un homme qui renonce à sa neutralité et va prendre les risques qu'implique le retour à des convictions courageuses. Par respect pour lui-même et pour l'amour d'une femme, il fera en sorte de permettre l'évasion du couple vers l'Amérique, perdant celle qu'il aime une seconde fois.

 

 

                      Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Action Gitanes

 

 

Parabole politique et film de propagande américain qui a su bien évoluer, Casablanca a le mérite de mettre en scène, en un raccourci remarquable, le conflit mondial et les différentes forces en présence. On verra Rick lutter intimement entre son amour pour Ilsa et son devoir d'homme en proie à un dilemme moral qui lui fera retrouver son honneur  et son courage, puisqu'il ira jusqu'à abattre le major Strasser, qui s'apprêtait à arrêter les fugitifs, sous les yeux du capitaine Renault. Ainsi le film de Curtiz, par le biais d'une relation triangulaire d'une forte intensité romanesque, revisite-t-il le thème de l'idéalisme, sublimé au cours de la scène où Rick entonne la Marseillaise face aux Allemands qui chantent  Die Wacht am Rhein.

 

En homme blessé, qui cache sa fragilité sous des dehors désabusés et narquois, voire même impudents, auprès d'une Ingrid Bergman lumineuse et assez fine pour  exprimer l'ambiguïté de son personnage, partagé entre le respect qu'elle porte à son mari et l'attirance irrésistible qu'elle éprouve toujours pour son ancien amant,  Humphrey Bogart trouve là son meilleur rôle.

 

Michael Curtiz, émigré hongrois, arrivé aux Etats-Unis dans les années 20 et dont plusieurs membres de la famille avaient fui l'Allemagne nazie, a su rendre sensible l'état d'esprit de ces exilés, plus exposés qu'auncun autres aux dangers et aux trahisons. Certes, le film n'échappe pas aux lieux communs et aux clichés - il fut d'ailleurs tourné de façon anarchique, le scénario et les dialogues ayant été constamment remaniés, au point que l'issue du film n'était pas encore connue quelques jours avant la fin du tournage - mais le talent du réalisateur sut pallier à ces inconvénients et produire une sorte de petit miracle : l'alchimie inespérée et surprenante entre l'élégance de la mise en scène, la beauté des images, des gros plans et des clairs-obscurs, la vivacité et souvent l'humour des dialogues toujours efficaces, enfin l'interprétation remarquable des trois principaux acteurs et des seconds rôles, criants de vérité et de naturel.

 

Classique parmi les classiques, Casablanca est devenu un film culte pour les générations qui ont suivi la guerre et il l'est resté. Nominé huit fois aux Oscars, il obtint l'oscar du meilleur film, ceux du meilleur scénario et de la meilleure mise en scène. Tourné à Hollywood, il partage aujourd'hui le privilège d'être le film préféré des Américains avec Autant en emporte le vent et fit entrer dans la légende des couples romantiques du grand écran Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.

 

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INGRID BERGMAN - PORTRAIT

 

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                     Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Action Gitanes

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14 juillet 2006 5 14 /07 /juillet /2006 11:56
MADAME BOVARY de VINCENTE MINNELLI

 


Lorsque Flaubert envisagea d'écrire Madame Bovary, il ne s'était encore essayé qu'à des oeuvres de jeunesse. Après avoir lu son essai La tentation de Saint-Antoine à ses amis Maxime Du Camp et Louis Bouilhet, qui lui donnèrent le conseil de ne pas le publier, il eut l'idée de s'inspirer d'un fait divers " l'affaire Delaunay " pour élaborer un roman auquel il consacrera cinq années de sa vie. Il se met à la tâche en septembre 1851, après un voyage en Egypte, Syrie et Palestine. A l'épisode Delaunay/Delamare qu'il respecte entièrement, il ajoute, pour le personnaliser et en faire une oeuvre d'art, ses propres souvenirs, l'histoire de sa liaison orageuse avec Louise Colet et ses sentiments personnels, puisqu'il a été jusqu'à dire "Emma Bovary, c'est moi ! " Flaubert fut, à proprement parler, envoûté par son sujet, et sa correspondance nous donne maints témoignages de cette sorte de possession dans laquelle il vécut de septembre 1851 à avril 1856. Il devait, par ailleurs, confier à Taine quelques années plus tard : "Quand j'écrivais l'empoisonnement d'Emma Bovary, j'avais le goût de l'arsenic dans la bouche. Mes personnages imaginaires m'affectaient, me poursuivaient, ou plutôt c'était moi qui étais en eux." Sans doute est-ce là le secret de la vie étonnante d'un livre qui n'a cessé d'émouvoir et de passionner. Ainsi d'un pensum, à l'origine, et d'un fait divers banal, l'écrivain est-il parvenu à tirer un chef-d'oeuvre et à donner à des gens quelconques une portée universelle. Mais la publication en revue n'alla pas sans difficultés et il fallut plusieurs années de lutte pour l'imposer au public.

 

Le 24 janvier 1857, Flaubert passe en correctionnelle sous l'inculpation d'outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs. Il fut acquitté, mais ne resta pas moins coupable, au regard de la société, de ne pas s'être suffisamment rendu compte qu'il y avait des limites que la littérature ne devait pas dépasser. Ce procès valut à l'oeuvre un succès de scandale mais l'auteur s'en retira brisé. Seul Sainte-Beuve loua l'ouvrage comme il le méritait, alors que l'ensemble de la critique se montrait frileuse et s'en tenait à des propos conventionnels qui ne l'engageait pas... Ce qui n'empêcha point l'influence grandissante de Madame Bovary sur l'évolution du roman français et ses adaptations nombreuses sur les scènes de théâtre. Il est amusant de noter qu'en 1949, lorsque le producteur Pandro S. Berman, le scénariste Robert Ardrey et le réalisateur  Vincente Minnelli  projettent d'adapter l'oeuvre à l'écran, ils craignent encore que le code de production de l'époque, dans une Amérique puritaine, ne s'oppose à la représentation du personnage d'Emma Bovary en raison de sa conduite adultère. Aussi prennent-ils l'option de faire raconter l'intrigue par Gustave Flaubert en personne, au moment où il passe en jugement. " Après avoir lu, entre autres, écrivait Minnelli, les essais d'Henry James, Somerset Maugham et Sigmund Freud, j'élaborai une Emma Bovary dans la lignée romantique de Hugo ou de Chateaubriand, ma conception du personnage était celle d'une adolescente rêveuse. Des photos de couples à cheval et de rendez-vous amoureux dans des jardins secrets décorent les murs de sa chambre au couvent et indiquent déjà sa nature sentimentale. Elle est en quête de la beauté et seul son esprit peut enfanter ce concept à chaque instant, puisque sa vie se heurte à une réalité indigne... La sexualité est le moyen qu'elle trouve pour s'éloigner de son mari, médecin de campagne terne et gris. Chaque fois qu'une porte lui claque à la figure, elle en trouve une autre à ouvrir... qui est un nouveau pas vers la vie qu'elle souhaite vivre. Et pourtant, il ne s'agit pas d'assouvir des besoins sexuels. Les femmes de cette époque n'y songeaient pas." Ailleurs, le metteur en scène de  Madame Bovary  précise :  Pour suggérer le narcissisme d'Emma, j'eus recours à divers procédés. L'utilisation de miroirs était l'un des plus efficaces. Elle se contemple dans le miroir, tout en se maquillant pour son époux. Puis, au cours du bal, elle voit de nouveau son reflet dans un immense miroir ovale, ainsi que les hommes qui l'entourent ; elle se voit telle qu'elle s'imagine être, au cours de ses rêveries romantiques... Plus tard, alors qu'elle s'achemine vers la ruine, on retrouve le miroir, mais cette fois, brisé, dans la chambre de Rouen où elle rencontre Léon.

 

Constamment le metteur en scène va jouer avec le rapport qui existe entre l'héroïne et les miroirs, les glaces, les fenêtres, comme si ceux-ci représentaient une ouverture possible, un échappatoire vers un monde différent. A ce titre, la scène de la valse est une séquence révélatrice. Tandis que Charles Bovary boit, Emma danse au point que, grisée par le tourbillon qui l'entraîne, elle commence à s'essouffler, à manquer d'air et qu'on brise une vitre pour qu'elle puisse mieux respirer. Il est remarquable de constater combien Minnelli, soutenu par son équipe, eut le souci de faire sa propre étude introspective sur la personne d'Emma, cette femme qui ne peut accepter la médiocrité de son existence et dont la présence finit par agir comme un révélateur sur les autres personnages. Admirablement séquencé et interprété par  Jennifer Jones  et  Louis Jourdan,  le film est une remarquable adaptation de l'oeuvre de Flaubert, qu'il ne dénature aucunement. La scène la plus émouvante est sans doute celle où seule dans la petite chambre de l'hôtel de Rouen, où elle avait l'habitude de retrouver son amant, Emma valse seule avec la robe de bal qu'elle portait chez le marquis d'Andervilliers. Elle sait alors que ses rêves l'ont quittée et sa vie ne lui apparait plus que comme un gant que l'on jette, un tissu que l'on froisse...Ce film reste aujourd'hui d'une remarquable modernité et nulle adaptation ne l'a encore surpassé.

  


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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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