Voilà bien un film étonnant qui alterne cocasserie et émotion. L'action se situe au début du XXème siècle dans une bourgade d'Ukraine nommée Anatevka. Dans ce village, la vie est réglée selon la tradition établie depuis des lustres, comme si le temps avait suspendu son vol, entre la communauté chrétienne orthodoxe et la communauté juive, l'une et l'autre ayant eu la bonne intelligence de se côtoyer sans se mélanger. Chacun respecte chacun et la vie s'y écoule dans une relative harmonie. Le laitier du village - Tevye - est un homme bienveillant qui mène avec sa famille une existence modeste et apparemment heureuse. Son seul souci est de trouver d'honnêtes maris à ses cinq filles. Cela va l'obliger à concéder bien des choses à ses proches, autant qu'à sacrifier certaines de ses convictions religieuses. Jusqu'au moment où ses certitudes seront gravement ébranlées par sa fille cadette, qui lui apprend qu'elle désire épouser un non-juif, le jeune russe Fyedka. C'est alors qu'un décret, promulgué par le tsar, somme les juifs de quitter la région, obligeant Tevye à s'exiler avec sa famille. Ce synopsis a le mérite de donner vie à une quantité de personnages ukrainiens et juifs : la marieuse, le rabbin, le boucher, le tailleur, le brigadier, le bolchevique, hauts en couleur, et de les placer dans des situations singulières, ce qui occasionne des sketchs savoureux, empreints de cet humour juif pittoresque, dont la charge comique et émotionnelle se révèle d'une efficacité remarquable. Ce qui explique, sans doute, le succès que remporta d'abord la pièce, puis le film. En effet, la première adaptation eut lieu à Broadway en 1964 et ne nécessita pas moins de 3242 représentations à guichet fermé. A Londres, en 1967, le nombre de représentations s'éleva à 2030, et ainsi de suite dans le monde entier, sans oublier Paris, avec sur les planches le magnifique chanteur Yvan Rebroff qui disposait - chose rare - d'un registre vocal de quatre octaves et demie. Le film a repris fidèlement le livret de la pièce, en y ajoutant l'ampleur que ne permettait pas une scène de théâtre. La seule différence avec la comédie musicale, montée par Jérôme Robbins, est celle-ci : le cinéaste Norman Jewison se vit dans l'obligation de porter à l'écran un spectacle plus coloré, plus mouvementé, s'inspirant d'un univers chagallien et reconstituant minutieusement l'environnement mélancolique et austère des communautés juives de l'époque, dans les villages de la Russie profonde, pour amplifier l'oeuvre et lui donner ainsi sa tonalité cinématographique. Le rôle principal du laitier fut confié à Chaïm Topol, qui l'avait déjà interprété sur la scène de Tel Aviv, et où il se montre, égal à lui-même, aussi convaincant qu'au théâtre, dans ce personnage fantasque et touchant.
L'intrigue se déroule dans le monde clos d'une communauté juive de la Russie du début du XXème siècle. On y sent le poids des traditions et la crainte permanente des persécutions dont la population était couramment victime de la part du gouvernement. Les pogroms évoqués rappellent l'intolérance qui fut le lot des juifs à travers les siècles, mais la légèreté des dialogues, l'ironie toujours présente, la fantaisie des personnages, la cocasserie de certaines situations, la musique entraînante font que ce long métrage de 2h30 reste une comédie musicale à part entière, jamais pesante, dont l'intérêt ne faiblit pas, pour la raison que le sujet extrapole de beaucoup la seule existence de quelques villageois perdus dans l'obscure campagne russe. Le livret, inspiré d'une nouvelle de l'écrivain Sholem Aleichem, connu jusqu'en Chine, a su anticiper les événements immédiats et percevoir la fureur naissante du XXème siècle, ainsi que les bouleversements qui se profilaient à l'horizon, frémissements d'un monde à l'aube de mutations capitales. Les courants d'idées qui ne vont plus cesser de le parcourir sont déjà subtilement évoqués : perte des valeurs traditionnelles, émancipation de la femme, naissance du bolchevisme et du sionisme, attraction irrésistible de la modernité, au point que la liberté de ton de ce livret, que certains peuvent considérer comme subversive, aurait peut-être donné lieu à des difficultés de réalisation de nos jours. Pour toutes ces raisons, et pour ses qualités artistiques et musicales, Un violon sur le toit (1971) prend place parmi les plus belles, et surtout les plus originales, comédies musicales jamais portées à l'écran. Dans les années 1960-1970, aux lendemains du nazisme et des camps de concentration, le succès était assuré mais, depuis, il n'a pas pris une ride et ce spectacle grave et joyeux ne peut manquer d'émouvoir. De même que nombre de ses mélodies restent indémodables et présentes dans nos mémoires. Salué avec enthousiasme par une critique à l'unisson, il fut couronné par trois Oscars.
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