En 1957, la CIA arrête sur le territoire américain un espion soviétique qui se fait appeler Rudolf Abel et se nomme en réalité William Fisher. Il a transmis, grâce à son réseau d’agents, les secrets de la bombe atomique à l’URSS, il est donc promis à la chaise électrique. Comme les Américains tiennent à faire les choses dans les règles – la campagne internationale en faveur des Rosenberg, finalement exécutés en 1953, a laissé des traces - ils offrent à leur prisonnier un avocat d’office, James Donovan, plutôt spécialisé dans les assurances. Intelligent et malin, ce dernier sait qu’il va se mettre à dos l’Amérique bien pensante qui n’accepte pas qu’on défende un espion communiste. Mais Donovan a aussi une haute idée de son métier d’avocat et ira jusqu’à la Cour suprême pour sauver son client. Cet homme est un visionnaire. Il a anticipé l’épisode haut en couleur qui se déroulera quelques années plus tard. Quand l’avion U-2 du pilote Francis Gary Powers, qui photographiait l’URSS du haut du ciel, est abattu en 1960, le gouvernement américain est bien content de pouvoir échanger son pilote avec l’espion qui n’a pas été exécuté grâce à la formidable anticipation de James Donovan (1916-1970). L’échange aura lieu sur le pont de Glinicke, entre Berlin et Postdam, surnommé le pont des espions.
Eclairée de quelques traits d’humour, l’histoire est inspirée de faits réels et se déroule à une époque où les Etats-Unis tenaient à afficher, à la face du monde, et contrairement à leurs rivaux soviétiques, qu’ils étaient un Etat de droit. Ce qui n’était pas prévu, c’est que l’avocat James Donovan allait tenir son rôle si magistralement qu’il parviendra à éviter à son encombrant client la chaise électrique, ce, à la grande fureur de l’opinion américaine qui le lui fera savoir par un attentat à son domicile en présence de sa femme et de ses enfants. Son opiniâtreté et sa compétence le désigneront néanmoins à négocier, peu de temps après, l’échange de l’espion russe contre le pilote américain de l’avion espion U-2 abattu au-dessus de l’Union soviétique et retenu dans les geôles sordides de l’URSS. Une fois encore, Donovan ne fera rien comme les autorités américaines l’envisageaient puisque, à rebours de leurs instructions, il informera ses interlocuteurs russes et est-allemands que l’échange ne pourra se dérouler que s’il inclut, en plus du pilote de chasse, un étudiant américain arrêté à Berlin-Est au moment où il tentait de franchir le fameux mur dont la construction venait à peine de se terminer.
Cette histoire captivante, qui voit un homme seul, étranger à ce monde de l’espionnage, manœuvrer avec une telle maestria et un esprit visionnaire pour sauver la force du droit, l’honneur de son pays et également la solidarité inconditionnelle entre compatriotes, méritait que le célèbre metteur en scène nous la conte avec cette rigueur, cette limpidité, ce sens du rythme et de l’alternance et une reconstitution de l’esprit et de l’ambiance de l’époque absolument remarquables. Par ailleurs, Spielberg a su s’entourer de scénaristes de talent, les frères Cohen et Matt Charman qui nous ont concocté un scénario et des dialogues d’une qualité irréprochable. Avec eux, c’est l’attention portée aux personnes et un humour discrètement sarcastique qu’ils privilégient. S’ajoutent l’interprétation de Mark Rylance dans le rôle de Rudolf Abel, peintre à ses heures et d’une parfaite rigueur professionnelle, espion couleur passe muraille à l’apparente banalité contredite par un humour désabusé et une intelligence supérieure, et celle, tout aussi sobre et convaincante de Tom Hanks dans celui de James Donovan, homme debout, si seul dans son combat, mais qui ne restera pas moins fidèle, envers et contre tout, à sa conviction que chaque individu mérite une défense équitable. Servi par de belles images dont certains regretteront l’académisme, mais que j’ai appréciées pour l’atmosphère qu’elles parviennent à créer, ce portrait contrasté de l’Amérique d’alors et des tensions qui régnaient entre les deux blocs m’apparaît comme une grande réussite.
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